Chronique découverte : dix manga en cinq tomes ou moins à lire d’urgence !

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Lorsque l’on souhaite se lancer dans la lecture de manga ou bien compléter sa collection sans se ruiner, les mastodontes comme One Piece et Naruto, ou bien encore les plus récents L’Attaque des Titans et My Hero Academia peuvent intimider. C’est pourquoi nous vous proposons dans cette chronique dix œuvres en cinq tomes ou moins susceptibles de plaire tant aux néophytes qu’aux amateurs chevronnés !

L’industrie du manga est en effet l’un des seuls secteurs de la littérature à proposer des œuvres comptant jusqu’à plusieurs dizaines de tomes. Cela est dû au mode de production et de publication, tout autant qu’au fait que les intrigues prennent souvent place au cœur d’un univers très étendu et aux ramifications complexes. Ainsi, il peut être compliqué de se lancer directement dans des manga « à rallonge », même lorsqu’ils sont de qualité et que l’on est très motivé !

Néanmoins, il reste possible de trouver son bonheur avec des séries bien plus courtes. Et cela, les éditeurs l’ont bien compris, puisqu’ils proposent de plus en plus d’œuvres conclues en quelques tomes. Nous vous invitons aujourd’hui à un petit tour d’horizon de ce nouveau champ éditorial, avec dix séries en cinq tomes ou moins qui valent le coup d’œil !

Golden Sheep, Kaori Ozaki

Manga

Tsugu, Sora, Yûshin et Asari forment un quatuor inséparable. Leur amitié s’est consolidée pendant de nombreuses années. Cependant, avant la fin du primaire, la famille de Tsugu déménage ! Pour sceller leurs liens et dans l’espoir de se revoir un jour, les quatre amis enterrent ensemble une capsule temporelle au pied de la statue du Golden Sheep. Sept ans plus tard, Tsugu revient dans sa ville natale. Et elle compte bien retrouver ses amis comme elle les avait laissés. Hélas, le temps a laissé des marques profondes, et leurs retrouvailles se révèleront plus difficiles que prévues !

Déjà connue chez nous avec les très bons Our summer holiday et Mermaid Prince, Kaori Ozaki revient chez Delcourt avec Golden Sheep, sa première série longue éditée en France. Elle nous livre ici une histoire douce-amère sur l’amitié et le passage à l’âge adulte. En effet, la mangaka n’épargne pas ses personnages. Les tourments de l’adolescence sont retranscrits avec une justesse touchante. Les souffrances des quatre amis se révèlent et les font se heurter à une dure réalité, alimentée par des non-dits et des rancunes délétères. Le personnage de Tsugu, quant à lui, représente l’espoir, qui se nourrit des rêves de l’enfance et tend vers l’avenir avec force. Ainsi, la jeune fille est comme un rayon de soleil illuminant cette histoire à l’arrière-plan plutôt sombre et mélancolique.

Ici se dévoile alors tout le talent de Kaori Ozaki : maniant avec force et brio la valse des émotions, elle fait grandir ses personnages et entraîne le lecteur dans leur sillage, pour qu’il ressorte de cette lecture transformé.

Série en trois tomes, éditions Delcourt-Tonkam.

Pour lire un extrait, c’est par ici !

Kanon au bout du monde, Kyo Yoneshiro

Manga

Dans un futur proche, le Japon a été envahi par des extraterrestres surnommés « gelées ». Leur prolifération entraînant une pluie incessante sur la ville de Tokyo, cela a poussé les habitants les plus aisés à s’abriter sous terre, tandis que les autres tentent de vivre au mieux à la surface. Kanon Kozuki fait partie de ceux-là. Pourtant, cette jeune femme discrète semble bien loin des préoccupations de ses contemporains. En effet, elle n’a d’yeux que pour Sôsuke Sakai, héros national engagé dans la guerre contre les gelées, et qu’elle aime désespérément depuis le lycée. Hélas, Sôsuke est marié ! Kanon tentera-t-elle le tout pour le tout pour conquérir son cœur et vivre enfin son amour fantasmé, alors que le destin les amène à se retrouver ?

Mêlant habilement romance, tranche-de-vie et science-fiction, Kyo Yoneshiro nous offre avec Kanon au bout du monde un récit atypique. En effet, le personnage de Kanon fait exploser tous les critères de l’héroïne romantique ! Obnubilée par son amour pour Sôsuke, égoïste, parfois infantile, brutale et distante avec ses proches, la jeune femme aurait tout pour déplaire ! Et c’est là le tour de force de Kyo Yoneshiro : en nous plongeant aux côtés d’une héroïne potentiellement détestable,  la mangaka tisse sans en avoir l’air un lien pérenne entre son personnage et le lecteur. Totalement immergé dans le récit, celui-ci se retrouve pris dans la toile et ne voit pas les chapitres passer ! Et si Kanon, à travers l’agacement mêlé de compassion qu’elle peut provoquer, représentait justement tout la complexité de l’être humain et de ses sentiments, pas toujours louables ni charitables ?

Cette question se retrouve aussi avec le personnage de Sôsuke, soumis à des changements brutaux de personnalité au gré des régénérations subies par son corps après les combats. Qui est-il vraiment ? Le sait-il seulement ? Son amour pour Kanon est-il sincère ou tributaire de ses changements ? Qui est le jouet de qui ? Dans un monde en guerre, la vérité n’est pas forcément là où on l’attend… Parviendrez-vous à la déceler avant de parvenir « au bout du monde » ?

Série en cinq tomes, éditions Akata.

La bande annonce est visible par ici. Vous pouvez aussi voir cette vidéo très intéressante de l’équipe d’Akata à propos de Kanon et la loi de Murphy, pour qui « tout ce qui est susceptible d’aller mal, ira mal » !

Just Not Married, Kinoko Higurashi

Manga

Ritsuko Machida et Shûichi Nonoyama sont en couple depuis dix ans. Ils évoluent tranquillement dans leur quotidien bien agencé. Mais ce serait sans compter la pression de leur entourage, qui semble bloqué sur la sempiternelle question : « Alors, le mariage, c’est pour quand ? » ! Le jeune couple pensait être imperméable à ce genre de remarque embarrassante. Cependant, de plus en plus de questionnements les assaillent et mettent à mal l’harmonie dans laquelle ils vivaient jusqu’à présent. Comment Ritsuko et Non-chan vont-ils gérer cette nouvelle étape de leur relation ?

Avec Just Not Married, Kinoko Higurashi nous invite à partager le quotidien d’un jeune couple de trentenaires, et elle utilise pour cela une méthode pour le moins originale. En effet, chaque chapitre est divisé en deux parties, chacune présentant le point de vue d’un membre du couple. Bien loin de donner lieu à des redites, ce mode de narration permet d’accéder à deux points de vue bien différents. Par conséquent, les non-dits prennent du sens, tout comme les actions et les attentes de chacun, rendant la relation entre les personnages encore plus dense et intéressante. La mangaka nous place en observateurs privilégiés de leur dynamique de couple, mais aussi de leur manière unique de fonctionner. Cela donne au final un récit très bien mené, que nous avons grand plaisir à lire.

Just Not Married est une romance tranquille et qui fait du bien, dont la conclusion est aboutie et sans défaut. Si ces cinq tomes se suffisent à eux-mêmes, Kinoko Higurashi a décidé de nous donner des nouvelles de ses personnages, avec la sortie au Japon le 25 février dernier de Kû Neru Futari Sumu Futari Zoku ! Nous attendons avec impatience l’édition française !

Série en cinq tomes, disponible chez Kana.

Vous pouvez lire un extrait en suivant ce lien !

Ça reste entre nous, Haru Aoi

Manga

Towako Oyanagi est autant connue pour ses notes prestigieuses et sa moralité irréprochable que pour sa violente haine des garçons. Présidente du conseil des élèves, elle accepte sans rechigner d’aider ses camarades – mais seulement les filles ! – et les responsabilités qui incombent à son rôle. C’est dans ce cadre-là qu’elle rencontre Yui Fukasawa, impertinent élève de première année qui accumule les heures de colle. Chargée de le surveiller pendant qu’il s’acquitte d’une nouvelle punition, Towako s’exécute de mauvaise grâce avant de retourner à ses occupations. Elle s’imagine alors ne jamais recroiser ce camarade vraiment trop insouciant… Mais c’était sans compter sur la perspicacité et la pugnacité de Yui, dont l’intérêt a vivement été piqué par cette figure de vierge effarouchée ! Le jeune garçon découvre bientôt un secret très embarrassant pour Towako. Ce secret pourrait bien remettre en cause toute l’attitude de celle-ci envers la gent masculine… Et si tout cela n’était qu’une façade, un masque que Towako se force à porter ? Yui est bien décidé à la faire sortir de sa zone de confort, et il va user de toute sa malice pour cela !

« Les filles y pensent aussi » : l’accroche en quatrième de couverture de Ça reste entre nous pourrait rebuter en faisant croire à un récit aux relents graveleux. Or il n’en est rien ! Tout au long des trois tomes qui composent cette série, Haru Aoi construit des personnages complexes et attachants. Towako, l’héroïne, se révèle aux prises avec une promesse familiale qui s’est transformée en fardeau. En conséquence, elle réprime ses émotions et ses désirs, jusqu’à se penser anormale et souffrir en silence. Yui, de son côté, recèle bien des mystères, mais sa démarche envers Towako est sincère. La relation entre les deux adolescents, si elle semble partir sur d’étranges bases, les aide pourtant à grandir ensemble et à trouver un mieux-être dont il est touchant d’observer l’évolution !

Par ailleurs, le trait dynamique et malicieux de Haru Aoi rend cette lecture encore plus agréable. Nous aurions aimé suivre les aventures de Towako et Yui pendant de nombreux tomes encore, tant ils sont mignons et attachants ! Malgré tout, la conclusion est bien amenée et c’est un plaisir de voir les deux lycéens prendre leur envol. Ça reste entre nous est donc un manga court mais très réussi. Sortant des sentiers battus et mettant les clichés à terre, il nous offre une romance atypique et libératrice qui fait du bien au moral !

Série en trois tomes, éditions Kana.

Un extrait est disponible par ici !

Drop Frame, Shinichiro Nariie

Manga

Août 2016, Sendaï, Japon. Junnosuke Kokusho et trois de ses camarades profitent des vacances d’été pour préparer un film en vue du prochain festival du lycée. Entre les aléas du tournage et les changements intempestifs de scénario, les adolescents passent néanmoins du bon temps et consolident leur amitié. Leur rencontre avec Lou, jeune métisse anglo-japonaise, va donner une dimension nouvelle à leur projet. Quant à Junnosuke, il n’est pas insensible au charme de Lou, et cela semble réciproque. Tout semble aller pour le mieux… jusqu’au terrible drame dont est témoin Junnosuke ! Pourtant, le lendemain, tout paraît normal et personne ne manque à l’appel. Junnosuke a-t-il rêvé ? Pourquoi se sent-il de plus en plus en décalage avec ses amis ? Quelle tragédie se dissimule donc au cœur de ce brûlant mois d’août ?

Fans de science-fiction et de thrillers psychologiques retors, vous serez comblés avec ce chef-d’œuvre de Shinichiro Nariie ! A la manière d’un « livre dont vous êtes le héros », le mangaka plonge le lecteur au cœur d’un récit à tiroirs au centre duquel se trouve le pauvre Junnosuke. Mais le jeune homme ne sera pas la seule victime de ce terrible mois d’août, et il va falloir agir vite pour contrer le destin. Drop Frame pose les choses dès le premier tome, avec cette phrase intrigante qui pousse à relire le manga avec attention : « Vous avez déjà repéré ce qui n’allait pas, n’est-ce pas ? ».

Eh oui, Drop Frame, n’est pas une lecture comme les autres, elle demande au lecteur averti un grand investissement ! En effet, le mangaka place le lecteur à la même place que son héros : à lui d’être attentif au moindre détail et de mener son enquête aux côtés de Junnosuke. Cela rend cette lecture très immersive et aussi jouissive qu’un bon polar. Les personnages sont bien campés, leur psychologie est fouillée et retransmise avec justesse. Nous pouvons ainsi facilement nous identifier à eux. Le trait est incisif, dynamique, alternant noirceur et luminosité, rendant la chasse aux indices encore plus difficile ! Cette merveille méconnue qu’est Drop Frame mérite le détour.  Amis détectives en herbe, êtes-vous prêts ? La course contre le destin est sur le point de débuter !

Série en quatre tomes, éditions Doki Doki.

NB : l’année dernière, l’éditeur a annoncé l’arrêt de commercialisation de la série. Néanmoins, vous pouvez la trouver en occasion !

<harmony/>, Project Itoh et Minato Fumi

Manga

En 2019, le monde sombre dans le chaos : aux émeutes succèdent les guerres nucléaires, et l’humanité frôle l’extinction. Cinquante ans plus tard et afin d’éviter un nouveau « Maelström », la préservation de la santé humaine est devenue la priorité absolue. Ainsi, chaque être humain, désormais considéré comme un bien commun, se voit implanté des molécules médicales reliées à un serveur global chargé de contrôler sa santé au quotidien. La bienveillance et l’amour de son prochain se sont érigés en normes. Pourtant, cette société visant l’harmonie par la biopolitique est bientôt secouée par une vague de suicides sans précédent. Des milliers de personnes se sont en effet données la mort en même temps, partout dans le monde. Tuan Kirie, inspectrice au service de l’Organisation Mondiale de la Santé, est chargée d’élucider cette affaire qui menace l’équilibre sociétal durement acquis. Mais pour cela, la jeune femme va devoir se confronter aux fantômes de son passé, quitte à mettre sa propre vie en jeu…

Avec <harmony/>, Minato Fumi nous propose une magistrale adaptation en manga du roman éponyme signé du maître de la SF japonaise, le regretté Project Itoh (Keikaku Itô). Avec Genocidal Organ et The Empire of Corpses, <harmony/> compose un triptyque sidérant de réalisme, avec comme point central la conscience et la nature humaine, et les manipulations qu’elles peuvent subir. Jusqu’à quel point reste-t-on libre lorsque toute notre vie est régie par une technologie normative, même lorsque celle-ci vise notre bien-être ? Tuan Kirie incarne le contrepoids de ce « fascisme maternaliste », cette dictature bienveillante et bien-pensante qui, sous couvert du plus grand bien pour tous, met l’individualité sous cloche. Tuan se place ainsi volontairement près des marges de cette société aseptisée, tellement lisse qu’elle semble avoir oublié le concept même des sentiments et émotions qui fondent pourtant les bases de l’être humain.

Au-delà du récit de science-fiction mâtiné de who done it (recherche du coupable), <harmony/> est un pamphlet politique et philosophique, un plaidoyer enragé qui nous questionne sans ménagement. Sa résonance est encore plus forte dans le contexte de crise sanitaire et sociale qui est le nôtre actuellement. Jusqu’où faut-il aller pour protéger l’humanité ? Cette protection doit-elle passer par l’extinction des identités individuelles et singulières qui la composent ? À quel point l’individu fait-il partie du groupe, et où s’arrêtent les frontières de celui-ci ? Une autre question sous-tend les œuvres de Project Itoh : celle de l’inné et de l’acquis, ainsi que des instincts les plus profondément enfouis au fond de chacun de nous.

Le trait maîtrisé, dynamique et très expressif de Minato Fumi rend cette adaptation encore plus réussie. Les quatre tomes se lisent d’une traite malgré leur densité, et la tension monte crescendo, nous coupant le souffle à mesure que les motivations des différents protagonistes se dévoilent. Minato Fumi s’est magistralement emparé de l’œuvre originale pour la transcender et nous offrir cette enquête haletante aux confins du concept d’humanité.

Par ailleurs, le manga peut se lire en combinaison avec l’adaptation cinématographique signée par le studio 4°C et disponible en France chez ADN. Aux manettes, les réalisateurs Michael Arias et Takashi Nakamura livrent une interprétation assez différente tant sur le fond (notamment en jouant avec une dynamique des corps plus sensuelle entre Tuan et son « antagoniste ») que sur la forme (on pense aux paysages urbains qui semblent stériles mais lumineux), mais qui reste tout aussi complémentaire à l’œuvre originale.

Série en quatre tomes, disponible aux éditions Pika.

Shikabana – Fleur de cadavre, Nojo et Kei Monri

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Tsuyu Shitoyagawa est un jeune homme que la vie n’a pas épargné. Cependant, il vit depuis trois ans un quotidien doux et heureux aux côtés de sa petite amie Mizore Giboshi. Mais un jour, Mizore meurt écrasée par un camion, et le monde de Tsuyu s’effondre. Plongé dans les affres du désespoir et du déni, l’étudiant découvre par hasard une lettre signée de son amour décédé… Dans cette lettre, Mizore le supplie de ne pas incinérer son corps mais, au contraire, de veiller sur lui « jusqu’à ce qu’un miracle se produise ». Déboussolé, Tsuyu décide malgré tout de répondre aux dernières volontés de sa petite amie. Pendant plusieurs jours, il veille le cadavre de Mizore, enfermé dans les ténèbres de son appartement. Alors que l’année touche à sa fin et que Tsuyu perd peu à peu le sens de la réalité, l’impossible se produit : Mizore revient à la vie ! Le jeune homme est au comble de la joie et profite du retour de sa bien-aimée. Mais il ne se doute pas de la malédiction qui vient de se déclencher et qui l’entraînera dans l’horreur la plus pure…

Avec Shikabana – Fleur de cadavre, Nojo et Kei Monri nous offrent à lire un récit horrifique particulièrement bien mené, qui peut rappeler par certains côtés le désormais culte Tokyo Ghoul (Sui Ishida). Si la bascule est usitée (des morts reviennent à la vie), la raison qui la sous-tend est originale. Des créatures singeant parfaitement les humains proliféreraient au sein de la société, utilisant les cadavres de personnes décédées violemment pour se reproduire. Ces usurpateurs portent le nom de « Kuroe », d’après la souillure de couleur noire qui compose leur corps. Mais les Kuroe s’avèrent aussi capables d’infecter des personnes encore vivantes… C’est ce qui arrive à Tsuyu après qu’il a été attaqué par Mizore. Devenu un « mort-errant », il se retrouve forcé d’intégrer une brigade spéciale de la police japonaise, chargée de traquer et détruire ces créatures. Cela pourrait être le moyen pour lui de retrouver Mizore et de retourner à sa vie d’avant ! Mais pour cela, Tsuyu va devoir traverser de nombreuses épreuves… A commencer par la cohabitation avec le Kuroe qui a infecté la partie droite de son corps !

Un certain philosophe a un jour écrit que tout être humain s’avisant de scruter trop longtemps l’abîme et les ténèbres, se verra à son tour scruter par elles. Shikabana – Fleur de cadavre pourrait être la parfaite transposition de cette locution. En effet, si Tsuyu devient capable de combattre les Kuroe, c’est bien parce qu’il en est « la moitié » d’un, et qu’il se voit dans l’obligation d’accepter sa partie noire pour survivre et retrouver Mizore. Or, ne devient-on pas pleinement soi quand, et seulement quand, nous acceptons toutes les parts de nous-mêmes, y compris les plus sombres ? Le manga de Nojo et Kei Monri pourrait donc bien se lire comme une métaphore de la condition humaine. D’autant plus que le second tome, en nous en apprenant plus sur les Kuroe et leur système sociétal, vient apporter une nuance intrigante au récit. Qui est réellement le monstre, dans cette histoire ?

Le personnage de Tsuyu représente parfaitement bien cette oscillation, cette lutte constante entre ce qui est bien et ce qui est mal. Le graphisme vient renforcer ces éléments, avec une ambiance très sombre qui cependant disparaît lorsque surgit la figure centrale des Kuroe, aux atours d’icône divine, inondée de lumière. Le paradoxe est là, entraînant le lecteur dans ce récit torturé et profond, où les émotions sont traitées avec justesse et le traitement des personnages optimisé, pour un rendu immersif et qui pousse à la réflexion.

Série en trois tomes, éditions Glénat. Le troisième et dernier tome est disponible depuis le 21 avril 2021.

Vous pouvez lire un extrait ici !

Le chat aux sept vies, Gin Shirakawa

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Après un grave accident, Nanao, jeune chaton domestique, se retrouve à la rue. Il fait bientôt la rencontre de Machi, un chaton du même âge destiné à devenir le prochain chef du clan des chats de ce quartier de Tokyo. Mais malgré l’amitié de Machi, Nanao doit faire face à la méfiance de ses congénères. En effet, il porte encore autour du cou le ruban assorti d’une clochette que son maître lui avait offert, et sa défiance envers les humains est teintée de regrets. Alors qu’ils sont à la recherche d’une nouvelle « table » qui leur permettrait de passer l’hiver, Machi et Nanao croisent la route de Yoshino Narita, une jeune femme qui s’occupe des thermes du quartier. Malgré une première rencontre désastreuse, un lien semble se tisser entre les chats errants et la jeune veuve. Mais ce serait oublier les dissensions et le quotidien dangereux auxquels sont soumis les deux amis…

Qui a dit que les mangas sur les chats devaient être légers ? Certainement pas Gin Shirakawa, qui nous livre avec Le chat aux sept vies un drame intense et intimiste. A l’instar du roman Les Mémoires d’un chat de Hiro Arikawa, le mangaka nous plonge dans le quotidien difficile des chats errants, narrant sans fioritures la survie dans un monde hostile. Car les humains, s’ils peuvent apporter de la nourriture et des endroits chauds où dormir, se révèlent parfois cruels voire mortels. L’une des toutes premières scènes du manga le démontre clairement, et nous amène à nous identifier à ces chats courageux qui n’ont pas demandé à vivre ainsi.

À travers des yeux félins, l’auteur dénonce l’égoïsme de certains humains et la trouble compassion des autres, en soulignant nos travers tout en démontrant à quel point les hommes tout comme les chats ont besoin de liens solides pour être heureux et se sentir bien. Gin Shirakawa pose des personnages forts et à la psychologie fouillée. Il ne leur épargne ni le deuil, ni la violence et l’exclusion, et encore moins le bonheur d’être ensemble. Le chat aux sept vies est un récit sur la résilience et l’amour, face auquel il est impossible de rester insensible ! Malgré la dureté de certains passages, on ressort de cette lecture avec un sourire, certes mouillé de larmes, mais un sourire franc qui pousse à regarder avec un œil nouveau nos chers compagnons à quatre pattes.

Série en trois tomes, disponible aux éditions Glénat.

Découvrez Nanao et Machi dans cet extrait !

Transparente, Jun Ogino

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À l’âge de neuf ans, Aya Kinomiya ne grandit pas dans le meilleur des foyers. Son père est violent ; son frère reste sourd et apathique ; et sa mère tente comme elle le peut de protéger ses enfants tout en s’oubliant. La jeune fille n’aurait qu’une seule envie : disparaître… Ce qui se concrétise brusquement lorsqu’elle se découvre le pouvoir de devenir transparente ! Si cette capacité lui apporte un peu de réconfort, rien ne change au sein de la cellule familiale. Âgée désormais de quinze ans, Aya ne supporte plus cette situation. Alors, pour échapper au désespoir qui la gagne, elle va commettre un geste irréparable…

Réflexion autour de la notion de culpabilité, Transparente vient aussi questionner celle de résilience et de traumatisme. Le personnage d’Aya, que nous suivons dans sa construction et dont la voix sert de fil conducteur tout au long du manga, est complexe, mais également touchant par la fragilité qu’il dégage. A un âge où on pense généralement à s’amuser entre amis, Aya est aux prises avec un acte qui avait pour but de la sauver, mais qui a entaché à jamais son esprit. La jeune fille exècre son existence même, ce que reflète son visage souvent caché derrière ses lunettes ou une large écharpe. Néanmoins, Aya va peu à peu s’ouvrir aux autres, d’abord poussée par la nécessité de partager son fardeau, puis par l’espoir de retrouver un semblant de vie normale, au moins pour quelque temps.

Car Aya souhaite se dénoncer à la police, le jour où elle sera prête. On sent à travers les dessins de Jun Ogino, tout le poids qui pèse sur cette adolescente fragile. Cependant, les cases vides se remplissent au fur et à mesure qu’Aya prend conscience de son existence et de la valeur qu’elle a aux yeux de ses amies. Les personnages de Kana Minakami et Shiori Nakayama l’accompagnent et la soutiennent. Par ailleurs, elles apportent un contrepoids au monologue sourd et angoissé qui tourne dans la tête d’Aya. On peut penser que Kana et Shiori, dans leur réaction face à l’aveu de leur amie, incarnent ce que la société pensera de son acte : condamnable mais compréhensible.

Au-delà de la question du pardon ou de la compassion, les deux jeunes filles aiment Aya pour ce qu’elle est, pas pour ce qu’elle fait ou a fait. C’est une belle leçon d’humanisme et d’amitié, qui touche profondément le cœur du lecteur. Enfin, la fin assez ouverte dans sa mise en scène, met ce dernier face à son propre ressenti et raisonnement concernant l’histoire d’Aya. Le flou qu’elle laisse planer, cette double page quasiment vide, est comme un miroir qui nous rappelle que la nature humaine n’est pas simple ou dichotomique, mais bien profondément complexe et variable.

Série en quatre tomes, disponible chez Kurokawa.

Helvetica, Shizuka Tsukiba et Tsumugi Somei

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Asahi Mayuzumi est un jeune étudiant fan de manga et d’anime. Trouvant refuge dans le monde coloré des magical girls, il se protège ainsi du monde extérieur qui le rend très mal à l’aise. Ses amis désespèrent de le voir un jour trouver une petite amie. Mais un jour, une jeune fille accompagnée d’un chat noir débarque chez lui, visiblement à la recherche de quelqu’un. Asahi est déstabilisé, d’autant plus que cette inconnue l’attaque sans raison avant de s’enfuir ! Encore sous le choc de cette brutalité soudaine, le jeune homme voit quelques jours plus tard une cliente fidèle de son magasin se faire agresser. N’écoutant que son courage, Asahi intervient pour aider la jeune fille. Mais la situation tourne au drame lorsque l’agresseur se retrouve dévoré par des flammes ! Est-ce Asahi qui a déclenché l’incendie ? Embarqué par des hommes qu’il pense être des policiers, le jeune homme est accusé d’être une « sorcière » ! Face à quelle organisation barbare est-il tombé ? Cela a-t-il un lien avec la jeune inconnue croisée plus tôt ? Pour sauver sa vie, Asahi va devoir trouver des alliées et apprendre à maîtriser son nouveau pouvoir, alors même qu’il se retrouve traqué par des mercenaires sans pitié !

Helvetica est un manga en quatre tomes qui se démarque tout d’abord par son identité graphique très marquée. Dès la couverture, le style délié et les traits fins et incisifs signés Tsumugi Somei accrochent le regard. Le design des personnages est frappant et vecteur à lui seul de beaucoup d’émotions. On pense notamment à l’uniforme noir et aux masques à gaz portés par les membres de l’organisation, qui transmettent un sentiment de terreur renforcé par leur cruauté sans limite. Cette pseudo-justice aveugle, Asahi décide de la combattre. Il est très plaisant de suivre son évolution au cours des tomes. Les liens qu’il crée avec les « sorcières » qui le recueillent apportent un peu de baume au cœur dans cette histoire sans concession. L’affrontement entre les deux camps devient vite inévitable, tandis que chacun lutte pour préserver sa vie et sa vision du monde.

Shizuka Tsukiba et Tsumugi Somei travaillent donc de concert pour nous livrer un récit intense qui ne laisse aucune seconde de répit au lecteur. Helvetica sonne comme un rappel des heures les plus sombres de l’humanité, lorsque la discrimination aveugle conduit à la haine et à la guerre. Le combat d’Asahi et de ses compagnes d’armes semble alors encore plus juste.

La seule chose que nous regrettons est une question de mise en forme. En effet, Helvetica étant un manga, il est justement imprimé en noir et blanc… alors qu’un traitement en couleur aurait admirablement souligné le travail d’illustration et renforcé la puissance du dessin de Tsumugi Somei ! Nous pourrions peut-être espérer, malgré le format très court, une adaptation animée de ce manga presque parfait ? En tout cas, nous vous invitons vivement à le découvrir et à le contempler une fois votre lecture terminée !

Série en quatre tomes, chez Kurokawa. Pour lire un extait, c’est ici !

C’est maintenant terminé pour ce petit tour d’horizon des séries en cinq tomes ou moins que nous proposent les éditeurs français ! La liste n’est évidemment pas exhaustive, n’hésitez pas à feuilleter les catalogues ou faire des suggestions dans les commentaires ou sur les réseaux sociaux !