Critique « Un Couteau dans le coeur » de Yann Gonzalez : chef d’oeuvre fantastique et anatomique

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Le dernier film de Yann Gonzalez est une ode à l’anatomie humaine, aussi bien visible qu’invisible ; tel un chirurgien, le réalisateur des Rencontres après minuit découpe et décrypte les corps et les émotions, dans voyage visuel exquis. Un Couteau dans le coeur sort ce mercredi en salle, et c’est un des meilleurs films français du moment.

Cul

Paris 1979 : le film prend place dans le milieu du film érotique gay parisien, entre les caméras de tournage et les boîtes de nuit sulfureuses. Anne (Vanessa Paradis), productrice de ces films et qui ne se définit que par son amour pour Loïs (Kate Moran), voit son équipe d’acteurs se faire assassinés les uns après les autres. Se déclenche ainsi un thriller superbement mené, gentiment subversif mais toujours aiguisé, tel ce couteau qui vient se planter dans les entrailles pour extraire l’essence d’un sentiment. Les histoires de cul chevauchent ainsi les histoires de coeur dans un espace-temps assez flou et qui, s’il a tendance à nous faire perdre nos repères, sait inventer et réinventer sa propre logique chronologique. Un couteau dans le coeur, c’est comme l’un de ces films érotiques : tout n’est pas logique, mais tout se tient et se maintient, dans une orgastique harmonie.

Un couteau dans le coeur Critique "Un Couteau dans le coeur" de Yann Gonzalez : chef d'oeuvre fantastique et anatomique

Bouche

L’approche de Yann Gonzalez sur son film est chirurgicale : avec la précision d’un scalpel, il décortique les sentiments, et laisse les émotions de ses personnages à vifs. Malgré un scénario très écrits, les dialogues semblent urgents, les paroles sont incontrôlées et le tout s’imbrique pour donner naissance à des scènes aussi fortes que belles ; on peut penser notamment au morceau de bravoure déchirant de Vanessa Paradis dont le personnage, rongé par son amour pour Loïs (et aussi un peu par l’alcool), se laisse dépasser par les mots et la violence dans un tourbillon destructeur sublime. La bouche est un motif récurrent dans Un Couteau dans le coeur : images du voyeurisme ou d’une fausse perfection, métonymie comique et réjouissante lorsqu’il s’agit de Bouche d’Or, Yann Gonzalez et son directeur de la photographie Simon Beaufils transforme cet élément à la fois glamour et trivial, pour en faire un vice tendre et fascinant. 

Yeux

Impossible de ne pas parler de l’esthétique du film sans parler du travail de l’image, incroyable voyage dans l’univers de Yann Gonzalez. Le réalisateur confirme sa patte cinématographique, en jonglant habilement entre les néons des tournages et des boîtes de nuit, et les lumières plus naturelles plus ou moins sombres des grands extérieurs. Ce contraste fort instaure dès les premiers instants une dualité, celle de la déchirure du personnage principal, qui s’enferme dans un cycle infernal. La dualité est également celle instaurée par le fantastique, tout d’abord à travers les songes de Anne, filmé dans un magnifique noir et blanc à la fois volontairement flou et contrasté ; puis il vient s’immiscer dans le réel et créer une charmante confusion, qui saura ravir les adeptes du genre. Les images brillent et les lumières deviennent presque musical, occasion de relever la très bonne BO produite par le groupe M83, dont le membre principal Anthony Gonzalez est le frère du réalisateur de Un Couteau dans le coeur

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Gorge

Un Couteau dans le coeur parvient à poser dès la première scène un rythme haletant, et instaure tout au long de l’histoire un suspens très bien mené ; ce film est un incontestable thriller urgent et impatient, qui déroule inéluctablement son heure quarante. Mais ce qui reste en travers de la gorge, c’est parfois un jeu d’acteur très moyen et récitant : alors que d’un côté les acteurs principaux excellent de justesse (Vanessa Paradis et Kate Moran dans les rôles de Anne et Loïs) ou bien d’une excentricité à la fois légère et grave (Nicolas Maury dans le rôle d’Archibald), certains personnages secondaires nous font totalement sortir de cette ambiance si bien instaurée (on peut penser au réalisateur des Garçons Sauvages Bertrand Mandico, ici en assistant de Anne, qui peine à aligner les phrases du scénario en leur donnant quelque intonation). 

Coeur

Le dernier film de Yann Gonzalez est un cycle brillant et plein d’espoirs : alors que, jusqu’au générique, ce cycle paraît infernal, avec des meurtres qui s’enchaînent et recommencent et des histoires d’amours avortées qui traversent les époques, une scène post-générique vient délivrer de cette malédiction, et permet une véritable conclusion. Ce long-métrage hybride a de multiples coeurs, mais chacun d’entre eux est empli à la fois d’humilité et d’audace, pour offrir une expérience fascinante et fascinée.

 

Bande-annonce Un Couteau dans le coeur