Critique « Oh Lucy ! » de Atsuko Hirayanagi : un premier long métrage bien dosé

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Oh Lucy ! est la prolongation du court-métrage de fin d’étude de la jeune réalisatrice japonaise A. Hirayagani. Sans clichés, avec un très bon jeu d’acteur, le film mérite les quatre nominations de « la semaine internationale de la critique » à Cannes. 1h 35 de rires et de grincements de dents qui invite à suivre l’évolution de Hirayanagi.

L’expérience schizoïde de Lucy 

Lucy est une femme japonaise, la quarantaine, avec une vie aliénante métro-boulot-dodo sans vie sociale pour respirer. Sa nièce, une jeune japonaise débridée, lui demande de prendre des cours d’anglais à sa place. Lucy fait alors la rencontre de John, ce professeur américain, aux coutumes si éloignées de celles du Japon. Elle sombre alors dans un amour étrange qui la pousse à des actes insensés, comme le rejoindre à Los Angeles avec sa sœur, se faire un tatouage, etc… Des signes indiquant le développement d’une folie : symptôme de la pression sociale dans une société aseptisée japonaise.

L’ouverture sur un quai de métro, nous aspire dans un film d’une douceur violente. Lucy, interprétée par Shinobu Terajima, connue également dans Babel, sombre dans une folie décadente jamais plombée. Le potentiel comique de l’actrice est exploité et ne tombe pas dans le burlesque, il embrasse la douceur que dégage l’actrice et la magnifie. La rencontre avec John renforce le comique de situation. Josh Hartnett, incarne le californien typique, presque un peu trop manichéen avec une seule couleur : l’américain «cool », jeune, peu responsable. La japonaise découvre les normes américaines comme le « Hug ». Le contact physique, banal chez les occidentaux va prendre une dimension démesurée pour Lucy. L’attachement qu’elle éprouve pour John devient alors comme une fuite vers l’expression physique dans tous ses excès. Le corps se matérialise et elle se l’approprie en enlaçant le seul américain qu’elle connaît, en se marquant la peau (un tatouage), en ayant une relation sexuelle brusque et sans véritables désirs amoureux. L’absence de tendresse au Japon va développer un rapport à l’autre qui s’exprime dans le binôme, S. Terajima et Kaho Minami jouant la sœur de Lucy. Elles ne s’enlacent pas, elles ne s’embrassent, leur unique interaction corporelle dans le film est provoquée par un désaccord qui engendre une bagarre. Une schizophrénie touchante entre des normes sociales opposées que traverse Lucy.

Oh Lucy 3 Critique « Oh Lucy ! » de Atsuko Hirayanagi : un premier long métrage bien dosé

Entre comique et tension

Le comique de geste induit par les mimiques de Shinobu Terajima est introduit dans des lieux déplacés, peu communs. Le montage est très tranché et permet de mettre en valeur le décalage entre l’hôtel de passe, dans lequel a lieu le cours d’anglais et l’open space de Lucy. L’absurdité des lieux est renforcée par les personnages : un travesti est à l’accueil des cours, ou encore des serveuses ressemblant à des mangas dans un café anodin.

À l’inverse, une tension peut découler d’un endroit tout a fait habituel. Dans le métro, on assiste à une scène de suicide froide et brusque. Le sous-terrain propre, presque trop propre, vide ou bondé, au silence abyssal, devient une contraction de la pression prégnante du Japon. Cette alternance antithétique participe à la bipolarité de Oh Lucy !

Un petit bémol est à préciser sur le choix de la bande sonore qui préconise des musiques américaines de type pop des années 2000 qui évoquent une niaiserie et ne prolongent pas la dimensionnalité du film crédible, comique et piquant.

Espérons que le retentissement international de Oh Lucy ! donne suite à d’autres long-métrages de cette réalisatrice en herbe qui commence par un très beau travail autour du Japon, dans une société annihilante, qu’elle filme avec une grande tendresse.

Bande-annonce Oh Lucy !