J’irai cracher sur vos tombes est un roman de Boris Vian qui n’en a pas immédiatement reconnu la paternité. En effet, comme beaucoup d’autres ouvrages, il a été d’abord publié sous la plume de Vernon Sullivan, dont Vian se prétendait être le traducteur. Il paraît pour la première fois en 1946 aux éditions du Scorpion.
Buckton, sud des Etats-Unis, en pleine ségrégation raciale. Dans cette petite ville débarque Lee Anderson, une lettre de recommandation et un dollar en poche. Ayant tout laissé derrière lui, il devient gérant d’une petite librairie et s’apprête à changer de vie.
« Les livres sont très chers, et tout cela y est pour quelque chose; c’est bien la preuve que les gens se soucient peu d’acheter de la bonne littérature; ils veulent avoir lu le livre recommandé par leur club, celui dont on parle, et ils se moquent bien de ce qu’il y a dedans. »
Porté par ce mystérieux personnage, le roman sait nous dévoiler progressivement l’intimité de cet homme blessé et animé d’une soif de vengeance. Dès le titre, une haine pure coule sur le texte et toute l’écriture en est imprégnée.
Pour l’époque, les thèmes abordés par le jeune auteur sont scandaleux. Le style est glacial et concis, à l’image du héros. C’est par la violence que Vian dénonce l’intolérance et la ségrégation, un engagement annoncé dès la préface :
« Hélas, l’Amérique, pays de Cocagne, est aussi la terre d’élection des puritains, des alcooliques, et de l’enfoncez-vousbien-ça-dans-la-tête : et si l’on s’efforce en France à plus d’originalité, on n’éprouve nulle peine, outre-Atlantique, à exploiter sans vergogne une formule qui a fait ses preuves. Ma foi, c’est une façon comme une autre de vendre sa salade. »
Un roman noir
Souvent qualifié de polar, dans la ligne directe des grands romans noirs américains dont Vian était un inconditionnel, J’irai cracher sur vos tombes maintient le lecteur en haleine ; il faut ici reconnaître une écriture de génie, car, malgré cette atmosphère de plus en plus pesante et ce climat des plus dérangeants, on ne peut s’empêcher de vouloir savoir comme cela va se terminer.
Le récit est effectivement d’une rare violence. Brutalité des mots, furie libidineuse des corps et des âmes… Ici, point de héros susceptible de susciter la moindre empathie car tout n’est que débauche, luxure et dépravation. Ce récit fou d’une vengeance, sur fond de racisme n’est pas à mettre entre toutes les mains, vous l’aurez compris. Sexe, pédophilie, meurtres… le cocktail est explosif et ne laisse pas le lecteur indemne.
Le scandale
En 1946, Boris Vian a essuyé quelques insuccès littéraires; L’Écume des jours, déjà publié, n’a pas eu l’accueil que lui réservera le public dès le début des années 1970. Il s’amuse alors à plagier les romans noirs américains avec des scènes érotiques, prétendant que le manuscrit lui provient directement des États Unis et que son auteur, Vernon Sullivan, est un noir Américain qu’il ne fait que traduire. Dans le climat de suspicion ambiant, seul Queneau s’amuse de son camarade de calembour qu’il a immédiatement démasqué.
Dès février 1947, Boris Vian est attaqué en justice par le Cartel d’action sociale et morale, mené par Daniel Parker, un architecte protestant scandalisé par le texte. Vian en fera le héros assassin de son second Sullivan, Les morts ont tous la même peau, dès l’année suivante.
La censure
Comme si cela ne suffisait pas, en avril 1947, on retrouve près du cadavre d’une femme assassinée un exemplaire annoté de J’irai cracher sur vos tombes. Le scandale s’aggrave ; on demande alors à Boris Vian de prouver qu’il n’est pas Vernon Sullivan. L’écrivain s’attèle alors à la lourde tâche de traduire l’intégralité de son désormais très controversé chef d’œuvre en anglais, rebaptisée I shall spit on your graves et lorsque le premier tirage paraît, il reconnaît officiellement être l’auteur du livre à scandale. Il touche alors à la fois des droits d’auteur et des droits de traduction sur son texte. Daniel Parker revient alors à la charge et en 1949, l’ouvrage est interdit, considéré comme pornographique et immoral, il est interdit à la vente et son auteur est condamné pour outrage aux bonnes mœurs.
« Retirez le Q de la coquille: vous avez la couille, et ceci constitue précisément une coquille. »
Si vous voulez en savoir plus…
Vous pouvez retrouver le texte de J’irai cracher sur vos tombes dans son intégralité ici au format PDF; au Canada, les oeuvres de Boris Vian sont tombées dans le domaine public.
Un Dossier de l’affaire J’irai cracher sur vos tombes a été publié par Noël Arnaud en 1979 et réédité en 2006 chez Christian Bourgois. Il donne beaucoup de précisions sur le scandale provoqué par le livre, le procès et présente une version intégrale de l’adaptation théâtrale, mise en scène par Alfred Pasquali en 1948.
L’adaptation cinématographique n’a pas été simple non plus et le film controversé qu’en a tiré Michel Gast en 1959 n’a que de lointaines affinités avec le roman. Interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie, le film ne sera autorisé pour tous publics qu’en 2004. Boris Vian désapprouvait cette adaptation, il est mort d’une crise cardiaque dans la salle pendant le générique de sa première projection.
« Je ne suis pas un assassin ! » : source BNF
J’irai cracher sur vos tombes : source L’intern@ute