Critique « Le gouffre des résurrections » – Hirodjee et Rodriguez plongent l’horreur dans la glace

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Les récits d’horreur se nichent partout y compris dans les froides étendues du Gand Nord comme le prouve Le gouffre des résurrections ou comment un dessinateur célébrée aux États-Unis s’adapte très bien à notre pays…

Une clé arrive au Canada

En 1841, dans le Grand Nord canadien, un équipage de marins s’est échoué sur une île gelée. Ils sont devenus des zombies et le narrateur promet une nouvelle transformation. Sans transition, un noble rentre de mission en Tasmanie pour s’installer comme responsable de l’observatoire dans un manoir à Greenwich en Angleterre. Sa famille – dont sa nouvelle épouse – espère une vie tranquille après de multiples expéditions. Mais Sir Haven Greenwood se laisse séduire par une expédition au Canada.

En effet, il rencontre le docteur Mattock chirurgien de la Navy et seul survivant de l’expédition du début du livre. Haven est très intrigué car il espère rentrer dans l’histoire en retrouvant le reste de l’équipage. Cependant, il disparaît avec son navire. Deux ans plus tard, son épouse Lady Pearl Greenwood décide de partir à sa recherche avec un vieil amiral et sa nièce extralucide.

Le gouffre des résurrections se révèle dès la première page très surprenant. Dans Locke & Key, le dessinateur Gabriel Rodriguez adoptait avec talent un style mêlant manga et comics d’horreur alors que dans ce volume ses planches plus denses se rapprochent de la bd. Les décors très détaillés plongent le lecteur dans le passé tout en illustrant la puissance de la civilisation anglaise. La mise en page classique s’organise autour de cases rectangulaires ou carrées. Le cadrage évite toute exagération. Pourtant, Gabriel Rodriguez retrouve l’horreur qu’il maîtrisait dans la série de Joe Hill.

La décomposition des corps est bien rendue. Les corps gelés avides de chaleur humaine sont effrayants et Rodriguez nous surprend en allant encore plus loin avec des ours polaires. L’édition des Humanoïdes associés met en valeur ces planches et la magnifique couverture : le premier plan au vernis mat restitue la dimension réaliste et dramatique du gouffre des résurrections alors que le fond brillant des aurores boréales gothiques amplifie l’effet fantastique. Un dossier très complet restitue le travail préparatoire de Rodriguez.

Les zombies historiques dans Le gouffre des résurrections
Les zombies historiques dans Le gouffre des résurrections

Le gouffre des résurrections, un expéditions dans les différents genres

Les premières pages en Europe relativement calmes permettent à Gabriel Rodriguez d’installer les enjeux mais, une fois sur l’île dans le Grand Nord, la guerre contre l’au-delà devient massive et l’enjeu vital. Le gouffre des résurrections se révèle alors un récit d’aventure prenant. Des humains luttent contre des menaces climatiques – le froid tue – mais également surnaturelles. Des zombies attaquent et l’équipage découvre des lieux magiques. Le rythme s’accélère par de nombreuses scènes d’action.

Cependant Le gouffre des résurrections décrit également une période. Un mari plus âgé que sa seconde épouse est accepté mais leur absence de progéniture est mal vue. En cette période de triomphe de la science, secrets et menaces demeurent présents. Ce sont d’abord des tabous historiques. Le sang coule avant l’heure du thé. Sir Haven Greenwood a écrasé une révolte de bagnards en Tasmanie. Ce lord violent illustre la violence coloniale. il s’agit également de multiples secrets de famille.

Haven Greenwood ment à son épouse : il a une salle secrète d’étude au-dessus des écuries. La mère de Haven n’a jamais accepté son remariage. Elle sous-entend même qu’il serait responsable de la mort de sa première épouse.

Le scénariste Hirodjee joue sur les contrastes. Le gouffre des résurrections oppose surnaturel et réalisme. Le livre commence par l’horreur puis propose un récit historique par un pique-nique bucolique à l’abri du danger dans le manoir de Greenwich. La mode est aux esprit et à l’énergie mais l’administration refuse ces pratiques paranormales. Le contraste se retrouve dans une opposition de genre. Si les hommes sont matérialistes, les femmes croient aux esprits et sont touchées par les visions. Pearl Greenwood a des dons de magnétisme qu’elle a approfondis dans un institut. Sa nièce a des visions au cours de crises de somnambulisme.

Cependant, Le gouffre des résurrections dépasse les codes patriarcaux de l’époque. Une femme va diriger une mission pour sauver son époux. Au départ, par misogynie, les journalistes se moquent. Cependant, le talent extralucide de la nièce et la témérité de Pearl forcent l’admiration de l’équipage… et du lecteur.

Édité par Les Humanoïdes Associés, Le gouffre des résurrections commence comme une histoire d’horreur sur des zombies dans une région isolée mais le dénouement se révèle bien plus intime. Si des zombies cherchent la chaleur des corps, un homme cherche à retrouver la brûlure de l’amour.

Tremblez devant d’autres récits du dessinateur Gabriel Rodriguez avec Ciel et terre et L’âge d’or.