Nos vies d’avant, meilleur film de l’année ? Une histoire de destin

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Past lives

Past Lives est un film de 2023, écrit et réalisé par Celine Song. Avec Greta Lee, Teo Yoo et John Magaro. Il a eu sa première mondiale au Festival du film de Sundance 2023 le 21 janvier 2023. Il a également été projeté au 73e Festival international du film de Berlin le 19 février 2023. Plus tard ce mois-là, StudioCanal et CJ ENM figuraient parmi les distributeurs acquérant les droits de distribution internationale. C’était le film d’ouverture du Festival international du film de Seattle 2023.

Synopsis

Nora et Hae Sung ont 12 ans et ils s’aiment. Nora doit émigrer au Canada avec ses parents mais avant, sa mère lui permet de passer quelques moments avec le garçon, pour qu’elle puisse garder de bons souvenirs. Chacun dans son pays, chacun dans sa propre vie, les années passent jusqu’à ce qu’un jour, ils finissent par se rencontrer à nouveau. Leur histoire est basée sur le « ce qui aurait pu se passer ». Cependant, le présent est toujours là…

Impressions

J’ai rencontré une fois une jeune femme qui avait un tout petit tatouage au creux de son poignet : Vol. 2. La questionnant sur le sens de celui-ci, elle m’a dit qu’elle avait eu un très grave accident. En se réveillant, le médecin l’avait informée qu’elle ne serait plus jamais la même. Qu’elle n’allait perdre ni ses fonctions cognitives ni ses fonctions motrices mais qu’elle ne serait plus jamais la même. Volume 2. Une nouvelle vie dans une nouvelle version d’elle-même. Je me suis demandée alors, à quel volume étais-je, consciente d’avoir vécu plusieurs vies dans la même vie. Je ne suis plus cette petite fille, ni cette adolescente, ni cette jeune fille ni même cette femme qui a dépassé la quarantaine. Et pourtant…

Past Lives, nos vies passées, comme cela a été traduit, nous emmène délicatement vers une réflexion que nous pourrions qualifier d’existentielle. Comme cette chanson qui nous éjecte sans crier gare, vers une époque, vers une situation concrète, vers un moment très précis. Nos décisions. Nos choix. Ces chemins qui se sont croisés. Ce qui aurait pu être mais qui n’a pas eu lieu. Les circonstances. Nos parents, l’argent, la culture, le pays qui nous a vu naître. Nos ambitions, notre passion. Le deuil de ce qui n’est plus mais le deuil aussi de ce qu’il n’arrivera pas. Ce que le destin a voulu à tout prix de nous. Malgré nous. Mais les émotions restent intactes.

Sans tomber dans le mélodrame, mais quand même dans une certaine mélancolie ou nostalgie, Song nous raconte l’évolution des deux enfants qui tombent amoureux à l’âge de 12 ans. À cet âge-là, l’amour est pur et sans encombre. Intense malgré l’absence de l’aspect physique. Leurs destins se dissocient, au sens propre et au sens figuré. Cette scène où le garçon part par un chemin et la jeune fille par un autre en dit long. Et puis, en arrière-plan, le chanteur canadien Leonard Cohen se plaint de sa voix monocorde, en disant que ceci n’est pas une façon de dire au revoir. Si cette affection est coupée net, comme dans ce cas-là, elle ne peut que rester intacte. Comme un très bon souvenir inachevé. Mais si l’enthousiasme d’un enfant doit faire face à la vérité perçue par l’adulte, la réalité s’avère cruelle et sans détour.

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Past Lives est un voyage, l’histoire d’un couple qui n’en est pas un. Ce bonheur ressenti, cette anxiété, l’espoir lointain de reprendre là où leur amour a été interrompu. Cette étreinte émouvante de ces deux personnes qui ne savent pas quoi se dire. L’affection est restée, mais les personnes, leur chemin de vie ont, changé.

Si la première étape de leur romance privilégie surtout quelques prises en extérieur, la deuxième étape se renferme. L’écran de l’ordinateur qui leur sert de moyen de communication, s’avère étriqué et aseptisé. Mais la sensualité transperce ce monde virtuel. Leurs conversations sont étrangement romantiques alors que le sujet de l’amour n’est jamais abordé. Nous ne pourrons plus échapper à cet attachement qui les anime. Les toutes premières euphories s’atténuent pour laisser place à la frustration. Que ce soit à Séoul ou à New York, les deux personnages évoluent en parallèle dans des petits espaces. Nous pouvons sentir le manque d’air, l’espoir qui fait marche arrière comme les vagues de la mer. Les moments sans dialogues sont vastes, les silences très denses, rendant les notes, à savoir les coups de pinceau de la vie de chacun, absolument magnifiques, pleines d’émotions et de sens. Le désir se cache à chaque instant derrière chaque silence. Toutes ces paroles qui ne sont pas prononcées, nous prennent aux tripes.

Nos vies d'avant

Réalisatrice

Et puis, la rencontre. Le choc de cultures. L’espace s’élargit. Ainsi comme Lee Isaac Chung l’avait fait dans Minari avec son pays d’emprunt avant elle, Celine Song s’épanche sur Manhattan avec délicatesse. Nous pouvons sentir son affection, la sensualité qui se dégage des paysages qu’elle aime, exactement comme l’atmosphère qui transpire de l’histoire de ce couple platonique. Cela devient intime sans dépasser la limite. Le film grandit et pour cela, il faut de la place. Les gratte-ciels, en miroir avec ceux de Séoul, la Statue de la Liberté, même les flaques d’eau, tout semble immense. L’amour n’est que plus fort mais il ne peut que se rendre à l’évidence, il n’était possible que dans une autre vie.

À travers ces trois personnages, la réalisatrice explore la complexité des relations humaines. Le passé n’est pas seulement un souvenir mais une empreinte qui nous façonne. L’obstacle n’est pas le mari, mais la vie que chacun s’est forgé de son côté. Celine Song nous expose l’une des innombrables facettes de l’amour. De ce destin qui semble parfois tirer notre main malgré nous.

La réalisatrice prend appui sur le concept du “In-Yun”, qui est comme une forme du destin qui détermine les relations et les rencontres interpersonnelles. Selon cette notion coréenne, nous sommes destinés à rencontrer des personnes dont nous avions déjà un lien dans d’autres vies. Dans Past Lives, ce terme est plutôt utilisé pour décrire un amour qui traverse plusieurs étapes d’une vie. Ces étapes sont tellement différentes les unes des autres, que l’on pourrait les qualifier “d’autres vies”.

Acteurs

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Étonnamment, ce sera en présence du mari de Nora, qu’ils arriveront à se lâcher, non sans une certaine retenue. Cette scène qui démarre le film, est très forte. Son intensité fait mal. La valise qui nous rappelle continuellement qu’il est de passage, la tension devant le uber, la ville qui suit son cours, une femme qui pleure dans les bras de son mari.

Les yeux humides de Teo Yoo , qui rendent humides les nôtres. Ses expressions, toujours tellement appropriées, adéquates. Sa gestuelle corporelle. Le regard de Greta Lee, de face, dans les yeux. Son personnage est une femme qui ne reste pas. Étant donné qu’elle a quitté son pays d’origine à l’âge de 12 ans, elle s’exprime avec un coréen très limité, comme si elle était encore une enfant. Comme si, malgré ses autres vies, elle était restée à jamais dans ses 12 ans avec Hae Sung. Dans une autre vie, elle était quelqu’un d’autre, et cela ne l’empêche pas de regarder vers l’avant. John Magaro, qui donne à son personnage une attitude stoïque mais doublée de peur et d’insécurité. Ces deux hommes ont aussi leur part de vie à vivre en commun. Leur propre In-yun.

Song a demandé à Magaro et Yoo de ne pas se parler avant de filmer certaines scènes, pour que leur première rencontre paraisse authentique. Elle n’a pas voulu non plus que Teo Yoo et Greta Lee se touchent, pour que la scène où ils se serrent dans les bras pour la première fois, paraisse aussi maladroite et tendue que possible.

Past Lives est poignant. Un premier film de la réalisatrice Celine Song imprégné des détails qui vont nous captiver du début à la fin. Une histoire qui n’a pas le même reflet dans son miroir. Une émotion très forte, un film fascinant.