Les Récits d’Obana, par Kazue Kato et Fuyumi Ono : revue de l’étrange

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Ce début d’année 2024 est à marquer d’une pierre blanche pour les fans de Kazue Kato ! En plus du retour de Blue Exorcist en anime, avec la saison 3 disponible sur Crunchyroll, et de la sortie du tome 29 chez le même éditeur, la mangaka nous fait le plaisir de collaborer avec la romancière Fuyumi Ono, à qui l’on doit notamment Les Chroniques de douze royaumes, pour un recueil à la frontière du fantastique et de l’horreur psychologique.

L’histoire

Après leur emménagement dans de vieilles maisons traditionnelles japonaises, des propriétaires se retrouvent confrontés à d’étranges manifestations surnaturelles. Alors que les ouvriers du bâtiment se révèlent incapables de résoudre ces problèmes, Obana, un artisan pas comme les autres, est appelé à l’aide. Capable de saisir les émotions des esprits hantant un lieu, il permet aux vivants de partager leur nouvelle demeure avec les morts…

Les Récits d’Obana : maîtrise graphique et traditions ancestrales

Les Récits d’Obana (en VO, Eizen Karakuya Kaiitan) nous permet de retrouver la patte graphique de Kazue Kato, sous la direction d’un monument de la littérature japonaise, Fuyumi Ono, dont les œuvres ont été plusieurs fois primées au pays du Soleil Levant.

A l’instar des textes de Lovecraft ou d’Otsuichi, l’horreur reste ici patente, plus psychologique que visuelle. Pourtant, le dessin parfois trouble, pesant, retranscrit parfaitement l’atmosphère étrange dans laquelle nous plongent les six récits constituant le recueil. Tout comme les personnages sont perturbés par ce qu’ils traversent et ressentent, nous, lecteurs, en venons à douter de ce que l’on voit… avant de nous retrouver nez à nez avec une page criante de réalisme terrifiant, comme le visage de cette femme torturée dans la première nouvelle.

kazue kato

Ces moments horrifiques, sublimés par une tension constante, révèlent le parfait sens de la mise en scène de la mangaka. Elle peut ici y déployer tout son talent, avec un tout autre style de narration que dans Blue Exorcist. Bien que certaines touches d’humour nous rappellent parfois son œuvre majeure.

Si le paranormal appartient intrinsèquement à toutes les cultures, poussé aujourd’hui à un quasi-paroxysme par la culture populaire, le Japon pourrait faire partie des « précurseurs ». Toute son histoire, depuis le mythe fondateur d’Izanagi et Izanami, jusqu’aux fantômes de lycéennes, en passant par la culture aïnou, est fondamentalement liée aux esprits et autres yôkai (sous l’influence également du shintoïsme).

Rien d’étonnant, donc, à ce que Les Récits d’Obana nous invitent à plonger dans un monde où se côtoient vivants et morts, où la frontière entre ce qui est et ce qui a été s’estompe. Mais si fantômes et cœurs battants cohabitent, la communication entre eux n’en est pas moins difficile. C’est ici qu’intervient « l’artisan de l’étrange » : Obana.

Inquiétante étrangeté, intolérable familiarité

Les personnages que nous rencontrons dans Les Récits d’Obana ont comme point commun d’avoir reçu de la part d’un parent – plus ou moins éloigné -, une bâtisse souvent loin d’être moderne. Pourtant, malgré l’intervention de maîtres artisans, charpentiers et autres menuisiers, impossible pour eux de se sentir vraiment « chez eux ». Des portes s’ouvrent seules, des jardins entiers meurent, ou encore une femme en tenue de deuil se rapproche lentement du pas de la porte…

Impuissants, les ouvriers proposent alors de faire appel à Obana : jeune homme discret et empathique, il a tout d’un artisan ordinaire… mis à part le fait qu’il parvienne à analyser les événements en tenant compte du paranormal qui en est à l’origine. Bien que l’on ignore si Obana « voit » réellement ces fantômes et autres esprits, son intervention permet de mettre à jour la relation problématique qui s’est installée entre vivants et morts… ou plutôt, entre vivants et souvenirs.

Se dévoilent alors toute la complexité et le poids de l’héritage, tout comme la dimension transgénérationnelle, « personnifiée » dans les bâtisses qui deviennent un passage entre l’ici et l’au-delà, entre présent et passé.

Pourtant, ici point d’exorcisme ou d’affrontement violent contre des entités qui seraient foncièrement maléfiques. Au contraire de l’horreur et de la terreur qui imbibent les premières pages, chacun des récits se déploie vers un apaisement des deux parties en jeu. La solution ne réside donc pas dans la peur et le rejet mais dans la création d’un espace commun harmonieux au sein duquel chacun pourra vivre sereinement.

Ne pas craindre son passé, le regarder tranquillement en face, pour qu’il devienne un appui vers un futur apaisé : voilà ce que l’on pourrait retirer de la lectures de ces fantastiques Récits d’Obana.

Délivré dans une jolie édition hardback, Les Récits d’Obana sauront contenter les fans de la première heure du travail de Kazue Kato, tout autant que les néophytes et amateurs d’épouvante. Et si cet excellent one-shot vous happe, foncez dès à présent sur la saison 3 des aventures de Rin Okumura, le fils du Diable en personne !