La minute Yaoi #3 : Le carnivore et le végétarien

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Le carnivore et le végétarien, one-shot d’Akeno Kitahata, fait partie du catalogue très fourni des éditions Boy’s Love. Deuxième figure de proue du Yaoi en France après Taifu, elles nous offrent avec ce titre une histoire toute en sensibilité, qui flirte néanmoins avec quelques interdits et les questionne avec justesse.

L’histoire

Yamato Yamamoto, étudiant à l’université, s’efforce de vivre en ignorant le regard des autres. Beau garçon, né d’une mère japonaise et d’un père écossais, il cache derrière de grandes lunettes son pessimisme et sa timidité maladive. Seul son colocataire, Jôji, semble trouver grâce à ses yeux. Jôji, quant à lui, se démène au quotidien pour prendre soin de Yamato. Néanmoins, sa dévotion cache des désirs bien plus virulents…

Le loup qui avait des vues sur l’agneau

Le carnivore et le végétarien s’ancre dès son titre dans l’imaginaire masculin japonais. En effet, dans l’archipel, un homme viril et plutôt entreprenant sera surnommé « carnivore » (nikushoku), tandis qu’un homme plutôt « passif » sera un « herbivore » (sôshoku, ici traduit par végétarien). Akeno Kitahata s’amuse alors avec ces concepts en faisant endosser ces rôles respectivement à Jôji et à Yamato. Ainsi, Jôji est traversé d’intenses sentiments et ne rêve que de « dévorer » son docile colocataire… Tandis que Yamato semble plutôt subir l’attirance qu’il provoque chez les autres, au point de se grimer pour tenter vainement de casser son image.

Dès la première de couverture, par ailleurs sublime et clinquante, on ressent une grande tension entre les deux protagonistes. La mangaka utilise avec brio les jeux de regards et les  postures corporelles pour donner à ses personnages une large palette d’émotions. Certaines cases, sans paroles, deviennent ainsi plutôt puissantes dans ce qu’elles suggèrent.

Pourtant, au fil des pages, les rôles tendent à s’inverser. En effet, derrière une attitude passive et calme, Yamato apparaît bien comme celui qui mène la danse. Jôji, par l’amour qu’il lui porte et qui est refusé, s’enchaîne à lui et en devient dépendant. La situation bascule alors totalement, d’autant plus lorsque leur relation révèle sa vraie nature !

Le conte des deux frères

Avec Le carnivore et le végétarien, Akeno Kitahata vient en effet questionner frontalement la notion de famille qu’elle confronte à la réalité des sentiments. Car, si Jôji et Yamato sont si proches, c’est parce qu’ils ont été élevés ensemble ! Ainsi, les deux garçons ont fait connaissance alors que Yamato venait de perdre son père, et Jôji sa mère. Leurs parents se sont ensuite mis en couple, faisant d’eux des frères par alliance.

Pourtant, le récit va bien plus loin que l’érotisme dérangeant et quasi incestueux que l’on retrouve dans certaines œuvres promouvant le style « nous ne sommes pas du même sang donc c’est acceptable ». En effet, le personnage de Jôji se questionne depuis longtemps sur le lien qu’il entretient avec Yamato. S’est-il un jour considéré comme son grand frère ou bien a-t-il toujours eu de l’attirance envers lui ? Par ailleurs, Yamato lui aussi s’interroge et cherche à se défaire du carcan dans lequel cette longue relation l’a enfermé.

Le personnage de Manaka, l’amie de Jôji, amène un regard tiers capable d’entrevoir la réalité du lien entre les deux jeunes hommes. L’étudiante représente également la pression sociale qui s’exerce sur les garçons concernant leurs « performances » amoureuses et affectives. Ainsi, la personne convoitée devient une « proie » qu’il faut chasser et « dévorer » quoi qu’elle en dise. Cela donne naissance à d’intenses et très drôles joutes verbales entre Manaka et Jôji, avec en arrière-plan la compétition pour conquérir le cœur de Yamato. Ce dernier semble néanmoins avoir beaucoup de mal à supporter cette pression et l’objectivation dont il peut être la cible, réduit à n’être qu’un objet de convoitise.

Les traits doux et clairs d’Akeno Kitahata mettent en valeur les personnages et leurs émotions. Le carnivore et le végétarien constitue un vrai plaisir de lecture qui permet également de se questionner sur la nature des liens qui nous unissent aux autres. La réalité des sentiments se heurte aux représentations sociales que Jôji et Yamato combattront avec l’aide de leurs proches !

En conclusion, Akeno Kitahata nous livre avec Le carnivore et le végétarien un récit touchant, naviguant avec facilité entre tendresse, humour et dure réalité. Son style graphique magnifique met en valeur ses personnages et nous les rend très attachants. Un encas doux et sucré dont la seule pointe d’amertume, est sa brièveté !

Autres œuvres d’Akeno Kitahata : Ultimate Weapon Honey (Boy’s Love IDP).