La minute Yaoi #2 : 10 Count, par Rihito Takarai

0
827

Après le sulfureux MADK le mois dernier, la minute Yaoi vous présente aujourd’hui l’un des titres phares du catalogue de Taifu comics : 10 Count ! Cette œuvre en six tomes, signée Rihito Takarai, nous offre un scénario original et hypnotique, aux confins de l’inconscient. Prêts pour une nouvelle séance ?

L’histoire

Tadaomi Shirotani travaille en tant que secrétaire particulier du patron d’une grande entreprise japonaise. S’il se révèle efficace et consciencieux, son quotidien reste difficile, tout comme ses relations aux autres. En effet, Shirotani souffre de mysophobie, ce depuis de nombreuses années. Ce trouble obsessionnel compulsif le pousse à craindre le contact avec les autres du fait de sa peur des microbes et de la saleté. Néanmoins, il n’a jamais cherché à entamer de thérapie, estimant que, puisqu’il n’est pas le seul mysophobe sur terre, il n’y a pas de raison de guérir.

Pourtant, sa résolution va définitivement vaciller lorsqu’il fait la rencontre de Riku Kurose. Le jeune homme se révèle en effet être psychologue, spécialisé dans les troubles obsessionnels compulsifs et les maladies psychosomatiques. Comprenant d’emblée la gravité des troubles du secrétaire, Kurose l’enjoint à consulter. Malgré ses réticences, Shirotani accepte de tenter avec le psychologue une thérapie comportementale pour réduire ses symptômes. Mais leur relation dépasse rapidement celle qui unit un patient à son soignant…

Traitement de choc

10 Count se démarque d’autres œuvres populaires par son sujet peu commun. En effet, Rihito Takarai prend un grand soin à nous présenter le personnage de Shirotani et comment sa mysophobie affecte son quotidien. Avec beaucoup de compassion, nous découvrons la souffrance du jeune secrétaire, qui va jusqu’à s’abîmer le corps pour répondre à ses obsessions de propreté. Il lutte également contre de forts sentiments de culpabilité, notamment lorsqu’il se révèle incapable d’aider son supérieur à cause de sa phobie du contact. Le premier tome nous permet ainsi de prendre toute la mesure de son trouble, et provoque un fort sentiment d’attachement envers ce personnage.

L’apparition de Kurose est l’occasion pour Shirotani de se confronter à ses obsessions et de tenter de contrer ses symptômes. La thérapie de désensibilisation systématique mise en place est réellement utilisée dans les thérapies cognitivo-comportementales pour aider le patient à surmonter sa maladie. On sent que la mangaka s’est bien renseignée ; elle souligne aussi à quel point des gestes anodins peuvent représenter une épreuve insurmontable pour quelqu’un atteint de TOC.

La liste d’actions établie par Shirotani le pousse à dépasser ses limites, quitte à se faire extrêmement violence. Néanmoins, Rihito Takarai ne lui évite ni les échecs ni les rechutes, qui semblent survenir lorsque le secrétaire n’est plus en lien avec Kurose… Ainsi Shirotani devient peu à peu dépendant du ténébreux psychologue, dont le comportement s’éloigne de plus en plus de celui d’un soignant, pour prendre une nouvelle dimension.

La valse des sentiments

10 Count est donc un manga particulièrement réaliste dans le traitement de la maladie psychique de Shirotani. Mais son autre force est la relation entre les deux personnages principaux.

En effet, Shirotani et Kurose se déploient ensemble et en miroir tout le long des six tomes de la série. Si on retrouve une dynamique classique entre uke et seme, Rihito Takarai va néanmoins beaucoup plus loin. Ainsi, les positions de « sadique » et de « masochiste » au départ respectivement tenues par Kurose et Shirotani, varient voire s’inversent dans certains chapitres. Si Kurose se montre possessif et pousse Shirotani dans ses retranchements, tant psychiques que physiques, ce dernier se montre tout autant cruel en refusant les sentiments du psychologue à son égard, et en étouffant les siens pour se protéger.

D’une relation de dépendance classique et dichotomique, celle présentée dans 10 Count devient ainsi une interdépendance, et permet à l’auteure de plonger les lecteurs au cœur de cette dynamique basée sur les souffrances de chacun. Kurose et Shirotani se complètent ; chacun trouve en l’autre ce dont il a besoin pour guérir de ses traumatismes. Les scènes charnelles, magnifiquement retranscrites, sont alors comme autant de leviers aboutissant à la levée de souvenirs douloureux et à leur résolution. Par conséquent, leur relation quitte sa dimension utilitaire du début pour se déployer et devenir sincère et touchante.

Le trait expressif et sensuel de Rihito Takarai se met ainsi au service de son récit. Son chara-design très reconnaissable s’inscrit dans un jeu de regards et de postures qui retransmet parfaitement la relation entre les deux hommes. La valse des sentiments devient la valse des corps, et vice-versa. Cela pousse le lecteur à contempler longuement les pages, à décoder les phrases et les gestes de chacun. Nous sommes alors totalement plongés dans ce récit mature et poignant qui grandit et se renforce en même temps que ses personnages. 10 Count est le récit d’une transformation et d’un épanouissement. Cela se traduit jusque sur les couvertures, où les couleurs rose orangé pour Shirotani et bleu froid pour Kurose finissent par s’entremêler dans les yeux des personnages, démontrant leur évolution mutuelle !

10 Count, au-delà d’un récit sensuel et graphiquement maîtrisé, se pose donc comme une œuvre puissante et réaliste. Rihito Takarai donne ici toute la mesure de son talent, n’épargnant rien à ses personnages mais les menant au final vers un espoir et un bonheur mérités. Comme le dirait la chanteuse Pink, l’histoire de ce manga s’inscrit comme un beautiful trauma, une histoire de résilience et d’amour que l’on ne se lasse pas de relire ! Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, après de nombreuses années d’attente, il semblerait que la version animée arrive bientôt !

Autres œuvres de Rihito Takarai : Seule la fleur sait…(Taifu), Graineliers (Ototo), Fleur et sens (Taifu), The bride of the fox spirit (Taifu), Seven days (Taifu), Welcome to hotel Williams Child Bird (Taifu).

Pour lire un extrait, c’est ici !