Grand Prix au Festival du Film Fantastique de Gérardmer, Sleep est, sans surprise, une petite pépite passionnante. Ecrit et réalisé par Jason Yu, assistant de Bong Joon Ho sur Okja, qui signe ici son premier long-métrage, Sleep détourne les clichés du film d’épouvante et d’esprits d’une manière maligne et innovante. Les fans du genre vont adorer cette petite fresque horrifique étonnante.
Sleep : le cauchemar somnambule
Sleep suit le quotidien d’un couple qui s’aime et qui attend son premier enfant. Ils vivent une vie tranquille, nimbée dans l’amour et l’entraide. Mais un jour, l’époux est atteint de crises de somnambulisme de plus en plus impressionnantes. Des crises de plus en plus dangereuses, de plus en plus surnaturelles, de plus en plus violentes, qui commencent à inquiéter Soo-jin, l’héroïne du long-métrage. Cette dernière va tout faire pour aider son mari, et va mettre en place des subterfuges pour vaincre cette maladie qui est arrivée sans prévenir. A moins que ce ne soit autre chose…
Avec Sleep, Jason Yu joue astucieusement avec les clichés du genre. Il reprend les poncifs du style horrifique/esprits pour les détourner avec malice, intelligence et personnalité. Sleep sort largement du carcan habituel de l’horreur, et propose une relecture inédite des films d’esprits. Sous forme d’un huis clos au départ très classique, Jason Yu parvient à proposer un crescendo d’angoisse parfaitement maîtrisé. L’horreur s’immisce doucement et toujours plus profondément dans le cocon familial, mais aussi dans l’esprit des spectateurs à chaque nouvelle crise de somnambulisme. Petit à petit s’installe alors une atmosphère oppressante, le malaise, puis la peur de l’autre, à cause d’un simple dérèglement du quotidien bien rangé de ce couple. Sans esbrouffe, Sleep propose quelques moments de terreur formelle ultra efficaces, sans jamais partir dans une extravagance visuelle ou pyrotechnique. Une approche qui va à l’encontre du genre actuel, dominé par le Conjuringverse et autres productions grand public Blumhouse.
Des thématiques passionnantes
Avec ce prisme, Jason Yu dresse un portrait passionnant du couple moderne. Sleep devient rapidement un thriller psychologique de haute volée qui questionne la condition du couple dans notre société contemporaine. Sleep aborde des thématiques du vivre ensemble par le prisme des voisins, qui sont le reflet d’une société qui porte un regard accusateur à tout ce qui sort de l’ordinaire. Surtout, Sleep est un drame familial de haute volée qui saisit les angoisses profondes du couple contemporain. La peur de l’abandon, la peur de l’autre, la peur de la solitude entre autres. Par le biais des changements comportementaux du mari, Sleep saisit l’évolution d’un couple confronté à l’arrivée d’un premier enfant. Une naissance qui soulève beaucoup d’interrogations, et qui remet en question les responsabilités de chacun. Forcément, l’emprise d’une mère sur son bébé, et le cliché du père capable d’abandonner sa famille face à l’éloignement de sa moitié. Sans jamais tomber dans la facilité ou le cliché, Sleep traite avec intelligence le désordre au sein du couple lors de l’arrivée du premier enfant. Même l’appartement, qui est d’abord un refuge, un cocon familial, devient source d’effroi au fur et à mesure du film.
L’humour s’invite parfois également pour détendre l’atmosphère. Des ruptures de ton jamais condescendantes, souvent malignes, qui viennent encore une fois détourner les codes de l’horreur par le biais de la parodie discrète. Le meilleur exemple est sans doute cette chamane mi-comique, mi-flippante, sortie tout droit d’un Scary Movie. Jason Yu reprend les poncifs du genre, pour les réadapter à travers quelques vannes de situation bien senties. Les premières crises de somnambulisme frisent ainsi la comédie, avant de tomber de plus en plus dans l’horreur pure. Sleep est toujours plein de surprises. Lorsque l’on pense savoir où nous emmène le scénario, Jason Yu surprend son auditoire avec des retournements de situation totalement inattendus.
La dernière partie du métrage est une véritable leçon d’intelligence. Jason Yu inverse les points de vue, fait passer l’épouse pour la folle, alors que la médecine traditionnelle reste impuissante face au mal du mari. Une inversion ultra maligne qui permet d’explorer le prisme du père, par l’impuissance, après celui de la mère, dominée par la méfiance de l’autre. Sleep a également le mérite d’être une aventure condensée, courte, qui ne se perd jamais dans ses tribulations ou dans des sous-intrigues inutiles. Sleep va à l’essentiel ce qui permet de centrer son récit sur des thématiques universelles et sur l’émotion de ses protagonistes.
En plus d’être une histoire d’horreur novatrice, et qui sort du paysage du tout venant hollywoodien, Sleep est aussi une véritable histoire d’amour. Un regard plein d’émotion sur l’abnégation d’un couple, prêt à tout affronter, à tout surmonter, grâce à l’entraide, la solidarité, la confiance et l’amour inébranlable, face au doute, à l’éloignement, à l’adultère et même face à un cas de possession de premier ordre.
Film d'angoisse intelligent, #Sleep joue avec les codes du cinéma d'horreur et d'esprits, pour en offrir une version unique et totalement en dehors des carcans du genre.
Etonnant à chaque instant, c'est une aventure qui détourne les clichés. @thejokersfilms @MenschAgency pic.twitter.com/hUToLwF7is
— Aubin Bouillé (@7emeCritique) February 6, 2024