Marcher sur l’eau : un film tout simplement grandiose  

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Baz'art

Le cinéma, c’est avant tout une expérience qui vise à transporter les spectateurs, leur faire prendre conscience de certaines réalités et d’éveiller les esprits. C’est tout ce que le film Marcher sur l’eau a réussi à faire, avec poésie, humour, émotion et délicatesse. S’il y a un évènement à ne pas manquer en cette fin d’année, il s’agit sans aucun doute de celui là. Ce documentaire réalisé par Aïssa Maiga sublime avec force la beauté du Niger tout en dépeignant la réalité au combien dur que ce peuple doit vivre. Sorti la semaine dernière en salles, ne vous posez aucune question : rendez vous dès à présent pour le voir au cinéma ! Vous ne pourrez en sortir déçu, tant ce film est un chef d’oeuvre. L’une des plus belles réalisations de cette année.

Un magnifique voyage en Afrique 

Ce documentaire prend place dans le village de Tatiste, village peul au nord du Niger, isolé de toute forme d’urbanisation. Niamey, la capitale du pays se trouve à quinze heures en voiture. L’environnement est pur et d’une beauté à couper le souffle, même si la terre souffre de la rareté de la pluie. Les couleurs sont vives et contrastent parfaitement les unes avec les autres. Cet univers qui est aux antipodes de celui qu’il est possible de voir en Occident, semble presque irréel tant sa beauté est saisissante. Tout semble brut, et apparait sous sa forme naturelle.

Les habitants du village vivent en utilisant le système D, et se contentent de l’essentielIci, tout le monde se connaît, chaque personne fait partie de cette grande famille très unie. La premier protagoniste à apparaître à l’écran est le nomade Biguel Boulessey, chef de cette tribu des Tastiste. Petit à petit, on rencontre les autres membres de ce village, allant du nouveau né, à l’enfant et en finissant par les parents. Tous sont charismatiques, dotés d’une grande gentillesse et à l’aise face à la camera. Ils autorisent qu’on puisse voir leur quotidien et ils nous le montrent sans aucun artifice. Le spectateur a le privilège de les voir dans tous les moments de leur vie. Les confidences, rires et pleurs se succèdent : il n’y a pas d’impasse dans la transmission de leur histoire.

Le personnage principal est Houlaye, une jeune fille saisissante de 14 ans. Le caméraman suit en particulier son histoire tout au long de la période où il se trouve avec eux. Son charme, sa maturité, sa force de caractère et son extrême bonté font d’elle une leader des siens. Elle est écoutée, respectée et s’occupe de tous comme de sa propre famille. Elle a d’ailleurs un petit frère que l’on voit apprendre à marcher durant le film, et dont chaque séquence est particulièrement touchante. Son innocence et sa fascination pour tout ce qui l’entoure attendrit et émeut. Peu importe les régions du monde, un enfant reste un enfant.

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© France Info, Damana

Une réalité douloureuse 

« La misère nous fait pleurer ».

Voilà les paroles lucides que dit Houlaye pour décrire leur quotidien. Et ces mots sont tristement juste : les habitants ne peuvent pas boire de l’eau lorsqu’ils le souhaitent. Elle se trouve à des kilomètres du village et à plusieurs centaines de mètres en profondeur. Les sacrifices pour que tout le monde puisse en avoir est quotidien. Les douches se font rares, les jours de pluie sont très attendus… Les enfants sont obligés de faire le déplacement pour en ramener, et de traîner les énormes bouteilles, bien que les animaux usés les aident dans cette tâche. Cela nuit à leur concentration en classe, tant la fatigue les attaque.

Ces scènes sont douloureuses à voir. Personne ne devrait à avoir se battre pour une ressource vitale. L’eau est de ce fait un débat constant dans le village. Il y a de nombreuses discussions communes autour de ce sujet où les femmes ne sont pas en reste. « La parole n’est pas réservée qu’aux hommes » disent-elles avec force. Un officiel fait même le déplacement suite à la demande des membres du village. Cela fait bien longtemps que la requête a été faite, mais elle n’est toujours pas traitée…

La difficile absence de l’eau

L’origine du titre du film est d’ailleurs habilement lié à ce manque d’accès à l’eau. Lorsque le professeur de l’école, qui ne fait ces cours qu’en français, explique cette problématique à la classe, il souligne les centaines de mètres qui séparent l’eau de la terre. L’une des élèves demande innocemment « Cela veut dire que nous marchons sur l’eau ? » Il lui sourit alors, amusé, et lui répond que cela est bien le cas. Même si la situation est en réalité moins poétique qu’elle ait pu le dire…

Car elle oblige les parents à partir en exode pour aller chercher de l’eau. Ils partent également pour vendre leurs créations ou travailler en ville afin de ramener de l’argent au village. Les enfants se retrouvent alors seuls, livrés à eux-même. Les adieux sont toujours déchirants, car les voyages sont longs et dangereux. La cellule famille éclate. Les jeunes attendent toujours avec impatience que les adultes rentrent au village. L’amour qu’ils se portent aux uns et aux autres est puissant. Il est d’autant plus dur de voir que ces longues séparations sont nécessaires à cause du manque d’eau.

Le pays souffre aussi du réchauffement climatique, si bien expliqué par le professeur aux enfants. Il ne manque pas de souligner que les pays riches en sont majoritairement responsables et déchargent leur pollution en Afrique. Tout cela amène à nous questionner en tant que spectateur provenant d’un pays où l’eau est un acquis qui est constamment gaspillé. Le sentiment d’inégalité est violent : comment est-il possible que cette ressource ne soit pas accessible à tous sur la planète ? Et comment lutter pour qu’elle ne s’amoindrisse pas dans les années à venir ? Le documentaire ouvre la porte à des questionnements géopolitiques, ainsi que les enjeux liés à une ressource vitale mais épuisable

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©Baz’art, Houlaye

La magie de la production 

Le film est véritablement rendu extraordinaire grâce à la productionLes images sont stupéfiantes, les plans vus du dessus transportent et montrent le village d’une façon inédite. Certaines scènes ne nécessitent pas de mot, puisque la séquence s’exprime très bien toute seule. Ces scènes sont d’ailleurs particulièrement prenantes et émotionnelles.

Les scènes en plan rapprochés sont nombreuses, mais les cameramans ne semblent pas s’immiscer de façon intrusive dans la vie de cette communauté villageoise. Tout est transmis avec justesse. Il n’est pas difficile de comprendre au combien les habitants souffrent du manque d’eau, car cette problématique est la ligne directrice du documentaire. L’eau est ainsi très présente sur les images où elle apparait comme précieuse.

Il est possible de voir des plans annonçant des mauvaises nouvelles arrivant à l’horizon, et la musique va toujours accompagner les scènes sans les étouffer. Logiquement d’origine africaine, elle est chaleureuse et colorée. Elle donne envie de s’abandonner complètement à ce qu’on voit, à pleurer lorsque que cela semble nécessaire, à rire lorsque les scènes s’y prêtent.

Des larmes viennent souvent apparaître à la fin de ce voyage qu’est ce film, et il ne sera pas rare que la salle applaudisse ce qu’elle vient de voir. C’est l’essence même du cinéma : émouvoir et faire réfléchir ce spectateur, et qu’il continue à penser à ce moment même bien après être sorti de la salle. Ne pas négliger ce qui est acquis, ne pas négliger l’eau. Merci Aïssa Maga pour ce chef d’œuvre, le succès qu’il connaît déjà est amplement mérité.

Marcher l’eau, actuellement au cinéma