Black : la critique du film par nôtre duo de rédacteurs.

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Anthony et Maéva, nos rédacteurs Justfocus nous livrent chacun leur point de vue sur le film

Le film «Black » des 2 réalisateurs Belges Adil El Arbi et Bilall Fallah est sorti en Belgique dans les salles depuis le 11 novembre 2015. Malgré l’interdiction aux moins de 16 ans et suite aux débordements de violence des spectateurs lors des premières projections du film, il a été décidé que Black ne sortirait pas en France. Il est seulement disponible en e-cinéma depuis le 24 juin 2016.

Black
Black

 

 

L’avis de Maéva :

L’idée de montrer un côté caché de la vie, au sein de même d’une capitale européenne, est très intéressante. Voir la noirceur et les conditions dans lesquelles vit une minorité de personnes est plutôt surprenant. Le film nous plonge pendant 1h30 dans une atmosphère oppressante, imprégnée de paranoïa ambiante, on découvre alors un quotidien vraiment très loin du nôtre. Entre coups, viols, meurtres, injures, vengeance, braquages, deal et haine; la violence extrême est plus qu’omniprésente de la première à la dernière seconde du film. Bien qu’un peu « too much », l’univers des gangs est assez bien représentéPeu importe la police qui d’ailleurs est assez caricaturée dans le film comme étant souvent dépassée ou inutile, constamment en retard, ridiculisée et même violentée par les jeunes.
Black illustre aussi la position des femmes dans une gang : on peut y voir que la femme est reléguée au statut d’objet sexuel ou de faire-valoir, voire parfois à celui de « morceau de viande ».
Le gang des 1080 d’origine nord-africaine est lui spécialisé dans le vol à l’arraché, pour ne pas décevoir les clichés. Le gang des Black Bronx excelle plutôt dans le commerce de drogues. Mais quel que soit le gang, on peut observer qu’il fonctionne selon un schéma similaire avec un leader et ses subordonnés tous de même origine ethnique, leurs journées étant bercées de drogues et d’alcool. De plus, tout au long du film, les 2 gangs œuvrent dans un but commun qui est d’empêcher la longévité du couple formé par Mavela et Marwan.

 

L’histoire d’amour de Mavela (incarnée par Martha Canga Antonio) et Marwan (Aboubakr Bensaihi) paraît sincère à l’écran et on peut voir une réelle complicité s’installer petit à petit entre les personnages.
Cette passion est centrale dans le film car elle permet de rapprocher ces jeunes du spectateur lambda en les humanisant. Grâce à leur amour, ils ne sont pas seulement perçus comme de jeunes délinquants violents mais le spectateur les perçoit en tant que personnes et capables de réels sentiments à tel point qu’ils deviennent attachants : Mavela, une très jolie jeune fille intelligente et courageuse, et Marwan un garçon drôle et sincèrement amoureux.
Le spectateur rentre un peu plus dans le film car il se met à espérer que cette romance devienne possible, il change de regard sur ces jeunes qui, grandis de leur relation, commencent à penser à un changement de vie radical.
Mais ce côté de tragédie Shakespearienne digne de « Roméo et Juliette », victimes eux aussi de cette fatalité de l’amour interdit, est trop marqué. On joue excessivement sur la corde du pathos, la scène finale étant clairement digne d’un tombé de rideau des plus théâtraux. Black étant lui-même décrit par la presse comme un « Roméo et Juliette brutal et moderne ».

Black
Black

Black veut faire passer un message très clair sur les raisons qui selon eux peuvent pousser une certaine catégorie de la jeunesse à penser trouver refuge dans un gang. Pour cela, la situation sociale des personnages et leur famille suit un schéma très précis et reprend des idées assez clichées : les jeunes qui composent le gang sont issus de l’immigration et se sentent exclus. Tous les jeunes viennent également de familles avec des situations financières délicates et qui sont également victimes de discrimination comme on peut le voir avec la mère de Mavela qui possède un diplôme de médecine qui n’est pas reconnu. Dans le film, le fait que la génération de leurs parents soit dénigrée est présentée comme étant la raison principale à ce que les jeunes cherchent à fuir, ce modèle de vie précaire et tenter d’avoir de l’argent facile. La vision des choses que le film veut transmettre est trop simpliste à mon goût car on pourrait la résumer par : «jeunes désœuvrés + quartier défavorisé = entrée justifiée dans un gang ».
En revanche, une fois entré dans un gang, l’engrenage dans lequel sont embarqués les membres y est bien dépeint. « Tu ne veux pas, ou tu ne peux pas quitter les Black Bronx » prononcé par Marwan, illustre à quel point il est difficile de sortir de ce milieu même avec beaucoup de volonté.
Les policiers qui s’occupent principalement de Mavela et Marwan, ont un côté ange gardien qui en devient presque ridicule et déplacé : chaque jeune trouve de l’aide grâce à un policier bienveillant, qui est comme par hasard de la même origine ethnique que lui.
Si on ajoute à cela le fait que durant l’intégralité du film tous les éléments s’enchaînent dans un timing millimétré pour que les amoureux se retrouvent dans la pire situation possible, c’est comme s’ils avaient en plus la malédiction du « mauvais endroit au mauvais moment ».
Enfin, le fait que chaque gang soit composé tout au plus d’une dizaine de personnes, avec une seule arme, donne un côté « épique burlesque » lors des affrontements, ce qui décrédibilise un peu le film.

Black
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  • L’avis d’Anthony sur Black:

A la question “que faisais-tu hier soir ?” posée par une policière (qui connaît de toute façon très bien la réponse), le jeune Marwan répond “je lisais. Je lisais Shakespeare”. Cette énième référence directe au maître anglais est inutile et ne fait que sur-signifier le lien de parenté avec Roméo et Juliette.

La comédie musicale West Side Story, puis le film de Baz Luhrman, avaient déjà exploité l’histoire de manière contemporaine, Black la transpose une nouvelle fois. Molenbeck, la tristement célèbre cité belge, devient le théâtre d’un amour au cœur de deux gangs rivaux. Mais contrairement à ses glorieux aînés, il n’y a ici ni passion, ni magie, ni caractère épique….juste une violence maladroite. La violence est en réalité le principal protagoniste de ce récit. Ce n’est en soit pas un problème, de nombreux cinéastes ont en effet su traiter et questionner le sujet (Cronenberg et son A History of violence en tête) avec suffisamment de distance et d’intelligence combinées.

Mais les deux cinéastes semblent ici utiliser la violence comme un produit d’appel commercial pour nous dire ça à chaque plan “regardez comme c’est violent ! Regardez comme ils sont méchants !”. Une musique plombante, comme si ce n’était pas suffisamment, conforte le propos. Sauf que malmener le spectateur ne suffit pas à faire un film. Au final, cette violence paraît même pornographique. Surtout que l’on vous en sert avec bagarres générales, pitbulls et viols en prime. Le cahier des charges est rempli. Alors certes El Arbi et Fallah parsèment leur film de plans et de séquences assez réussies (Hollywood leur ferait d’ailleurs des avances) mais au-delà de la technique il y a un vide, celle-ci regarde d’ailleurs trop ses modèles américains. La photographie joue aussi le jeu de la surenchère avec un traitement (trop) grave et des tons (trop) sombres. Là où le propos mériterait d’être nuancé (surtout vis à vis de l’actualité), il est noyé dans un flot de clichés, frôlant souvent le ridicule, digne d’un numéro d’Enquête exclusive sur W9. Dommage, car il y avait du potentiel, les jeunes acteurs en tête. Enfin…quand ils ne récitent pas des répliques risibles où un jargon arabo-flamand précède des phrases longues au langage plus soutenu et à la diction trop parfaite. Et si Black, soit disant censuré en salles françaises pour son caractère violent, aurait été boudé pour ses qualités cinématographiques discutables… ?

Black
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Anthony Haillant & Maéva Joalland