Le Lycéen de Christophe Honoré : Fantômes du père

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Pour son 14e long-métrage en 20 ans, le Stakhanoviste Christophe Honoré crève un lourd abcès : la mort de son père alors qu’il n’était qu’adolescent. En fantasmant ses souvenirs à travers son héros tourmenté, il livre, avec Le Lycéen, un très beau drame sur les rapports humains, où la paternité est ainsi omniprésente.

Le Lycéen : un très beau drame solaire, aux comédiens habités

Il ne passera bientôt plus une année sans un film signé Christophe Honoré. Au total, 14 longs-métrages depuis son premier, 17 fois Cécile Cassard, sorti il y a 20 ans. Un rythme effréné pour cet artiste également romancier et metteur en scène, qui ne l’empêche pas d’aborder des thèmes variés comme l’homosexualité, le deuil, le suicide ou la famille. Le Lycéen, dernière production en date de l’auteur, semble être la synthèse de son cinéma centré autour des rapports humains.

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©JeanLouisFernandez

Lucas est un jeune lycéen de 17 ans dont l’existence bascule lorsque son père meurt brutalement d’un accident de voiture. Alors que l’absence de cette figure protectrice réveille des démons en lui, il reste entouré de son frère et de sa mère pour continuer à espérer, vivre, aimer. Pour sûr, Le Lycéen ne réconciliera pas les détracteurs de Christophe Honoré avec son art. Dans une logique naturaliste, la fougue des acteurs et l’oisiveté latente de leurs personnages révulseront les plus réfractaires à cette esthétique bourgeoise du cinéma.

L’art du personnage

Parce qu’avec sa dernière œuvre, le cinéaste se livre corps et âme, avec, dès l’introduction, une merveille de découpage qui s’offre aux spectateurs. Une route de campagne, la froideur savoyarde et une pierre tombale de fortune, avant d’arriver sur un jeune homme atone réconforté par sa mère dans une voiture. La mort et le deuil seront omniprésents dans l’esprit des protagonistes. Christophe Honoré, qui interprète lui-même cette figure paternelle, devient ici « le fantôme de son père », recréant alors, par méta-écriture, son traumatisme adolescent.

Mais nulle question de psychanalyse cinématographique d’un artiste exposant ses fêlures, quoi que ceci soit un bon pléonasme. L’artiste fantasme ce sentiment d’abandon de l’être à travers Lucas, son héros d’un film, qui va tomber peu à peu dans l’abîme à l’âge où les pensées s’entrechoquent. Sa relation avec sa mère, la découverte d’un autre cocon familial chez son frère, des idées noires, autant d’éléments qui étofferont la psyché d’un personnage volontairement contradictoire dans ses actes et paroles. Honoré a d’ailleurs l’idée de génie de filmer ses moments de réflexion, dans une belle théâtralité, esquivant alors le piège balourd de la voix-off.

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©JeanLouisFernandez

Tendres bourgeois

Au plus près des personnages, la mise en scène brille par la sensibilité qu’elle transmet par de simples gestes, Honoré hésitant avec sa caméra tout en restant adepte de plans resserrés et rarement fixes. Et ce qui aurait pu être une démarche paresseuse est en réalité un magnifique liant entre les protagonistes et le spectateur, nous emportant au cœur de leurs turpitudes. Le cinéaste enchaîne des situations limpides qui convoquent en eux-mêmes plus d’émotions que les réels traumatismes suggérés à l’écran. Le Lycéen, c’est un film fait de chair et de sang, où les sentiments semblent palpables, à portée de main.

Le film navigue toutefois sur un fil, entre la délicieuse légèreté de l’être et le toc mélodramatique. À quelques moments, plutôt rares admettra-t-on, Christophe Honoré semble dans le dur pour renouveler les situations, créant un sentiment dissonant pouvant culminer, au choix, à l’ennui ou à l’agacement. Un peu à l’image de Paul Kircher (vu dans T’as pécho ?), dont le naturel peut autant transpercer l’écran que faire soupirer. Une performance « 16e arrondissement » d’un grand acteur qui n’a pas encore tout à fait éclos, surtout lorsque brillent de magnifiques comédiens comme Vincent Lacoste ou Juliette Binoche à côté de lui. La vraie révélation du film reste Erwan Kepoa Falé, merveilleux de prestance et de charme.

De par sa mise en scène de velours et sa quête du réel, Le Lycéen est une bouffée d’air frais avec un beau souffle émotionnel. Dans le soin apporté aux relations entre ses personnages, Christophe Honoré livre peut-être son meilleur film, celui qui résonne et attendrit le plus. Si d’aventures l’ensemble a ses faiblesses légitimes, le cinéaste se dévoilant comme rarement, il reste un drame solaire et émouvant, aux comédiens habités.