Sur la tête de mon père, une bd coloniale et familiale

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sur la tête de mon père
couverture de la bd sur la tête de mon père

Gaston reprend son arbre généalogique. L’auteur nous avait parlé de sa mère si libre dans Sur la vie de ma mère. Mais la branche paternelle est tout aussi haute en couleur comme le prouve Sur la tête de mon père. Suivez-nous entre l’Indochine, la France, le Maroc et les Comores.

Un dynastie défaillante

Le portrait intime de Sur la tête de mon père

Jean-Claude Rémy était un chanteur populaire dans les années 1970 mais ce succès éphémère cache une vie unique. Pour lui rendre hommage, le fils de Jean-Claude, Gaston, lui consacre Sur la tête de mon père où il est à la fois scénariste, dessinateur et coloriste. Ce livre édité par La Boîte à Bulles est d’emblée paradoxal car même s’ils sont reconciliés, Jean-Claude est resté très éloigné de la vie de son fils. Les premières pages éloignent Sur la tête de mon père d’une biographie linéaire par un début éclaté. Le premier chapitre commence de nos jours à Madagascar. Jean-Claude Rémy s’y est installé mais il bouge très peu en raison de son surpoids et de son arthrose. Les chapitres suivants alternent ensuite entre la vie du grand-père puis l’enfance du père et sa vie actuelle. En effet, Sur la tête de mon père se calque sur les différents lieux de vie de Jean-Claude.

En effet, les Rémy forment une dynastie de voyageurs. Le grand-père, René Rémy est un fils d’immigrés lorrains venus à Paris. Il quitte la métropole pour l’Indochine afin de vivre l’aventure coloniale. Pourtant, son passé le rattrape car il se retrouve père à la suite d’une rencontre d’un soir à Montmartre. Il assume la charge de l’épouse et des enfants mais l’amour est peu présent… jusqu’à ce qu’il adopte deux Vietnamiens, Jean-Claude et sa sœur. Pendant toute son enfance, Jean-Claude ne sait rien de ses parents biologiques. Ce secret montre que Sur la tête de mon père repose sur les souvenirs du père. On peut le voir également par des photos de famille placées en fin de tome.

Un récit colonial

La carrière de chanteur dans Sur la tête de mon père

Sur la tête de mon père n’est pas une hagiographie lénifiante mais une bd le plus objective possible. Le livre est d’abord un portrait à charge du grand-père jusqu’à ce qu’il s’assagisse en vieillissant. Sans remords, il profite des autres en Indochine : des populations locales, des femmes européennes et de la nature. Le fils aîné de la famille, jamais accepté par le père, est renvoyé très vite en France. Chez les Rémy, le climat est chaud mais l’ambiance est glaciale. Sans le vouloir le fils a mené la même vie que le père. Tout aussi infidèle, il a multiplié le épouses et refuse la vie rangée à l’occidental. Ce côté déplaisant est renforcé par le dessin de Gaston. Les traits sont bruts. Il n’y a pas de bord de case mais des vignettes aux bords flous. La forme cartoony des dessins dissimule la noirceur des propos. Enfin, lors de l’adolescence de Jean-Claude, Sur la tête de mon père intègre des sentiment positifs.

Cette lourdeur du propos s’explique aussi par le contexte de l’époque. Sur la tête de mon père décrit l’oppression coloniale. Jean-Claude a été marqué par un souvenir d’enfance. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les vietminh attaquent leur maison et il doit fuir en pleine nuit. Le contexte de la conquête de l’Indochine est très bien expliqué. Le lecteur comprend le racisme intrinsèque de la société et la prétendue mission civilisatrice des Européens quand les Rémy élèvent leurs enfants vietnamiens comme des européens. Face aux colons, Gaston explique la naissance du communisme indochinois par Ho Chi Minh. Moins connu, on découvre la situation pendant la domination japonaise qui est restée sous administration française. Le retour en France de la famille est l’occasion de montrer la dureté de l’éducation. A l’inverse ,le Maroc paraît plus libre dans les années 60 : Jean-Claude y profite de la liberté de faire la fête.

Sur la tête de mon père est une chronique familiale honnête. Le livre n’héroïse pas la famille ou la colonie mais donne une image dure et parfois vulgaire du passé. L’émotion arrive dans les dernières pages par un départ poétique.

Retrouvez la chronique sur Une histoire populaire de la France du même dessinateur et une bd décrivant la guerre d’Indochine.