Masiko, une madone shakespearienne chez Ankama

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Masiko est un recueil de trois histoires indépendantes, constituant un spin-off de la série Freak’s Squeele, publié chez Ankama, dont les deux premières histoires avaient déjà été publiées dans deux numéros séparés de la revue DoggyBags… 
Album réservé aux adeptes, aux initiés ou album d’intérêt général ? Ce qui est certain, c’est que cette livraison est d’une meilleure facture que ce que l’auteur nous en dit au départ.

Masiko késako ?

Les trois histoires de ce recueil ont pour objectif de raconter une période de la vie de Masiko – tueuse à gages et néanmoins mère de Li Xiong Mao, personnage centrale de la série principale.
La première est centrée sur la fuite de Masiko d’un Hong-Kong dominé par la Mafia, peu après la naissance de sa fille.
La seconde nous raconte l’échec de la jeune femme à entrer dans une vie ordinaire pour élever sa fille.
La troisième nous renvoie avant les deux premières histoires, à la rencontre du père.

La madonne au bonnet E et un édito qui commence mal

Si, comme votre serviteur, vous ne connaissiez pas la série originale, vous êtes accueilli en couverture par une madone contemplant un crâne à la Hamlet. Le genre accorte brune, taille mannequin, with blue smocky eyes, grain de beauté sous l’oeil et poitrine de bandes dessinées : du pur cliché tel qu’il fleurit dans nos rayons BD.
La genèse de l’héroïne, née de la rencontre entre le projet DoggyBag et de la série Freak’s Squeele, est ainsi racontée par l’auteur :
« J’allais faire une histoire complète avec un début, une fin et pleins de nichons entre deux. J’ai adopté le postulat caricatural et outrancier d’une femme devant se battre avec son nourrisson à charge. »

Bien.

Ne refermez pas le livre de suite. En fait, c’est beaucoup mieux que ça.

Clichés ou citations ?

En vrai, la composition tant graphique que scénaristique de Florent Maudoux permet de sortir très rapidement de ce postulat caricatural et outrancier à gros seins. D’abord en inscrivant l’ouvrage dans un style volontairement emprunté à la « sex and fury » des années 1970, ensuite en instillant tout au long de sa narration de multiples références, l’auteur détourne le cliché dans une mosaïque de citations, donnant un ton bien plus intéressant à ses histoires.

Ce n’est pas sans malice, ni talent et culture que l’auteur mêle, en vrac, Sin City et Daft Punk (première histoire), cite Botticelli et s’inspire des estampes japonaises (troisième histoire) ou cale tout le scénario de la seconde histoire en miroir à From Dusk till Dawn de Robert Rodriguez.

Tous ces clins d’œil sont efficacement intégrés au sein d’une unité narrative efficace et cohérente et évite donc l’effet de catalogue. Ils constituent l’un des principaux points d’attractivité de l’album, qui peut se transformer parfois en jeu de piste pour découvrir les significations au deuxième voire troisième degré.

Les trois histoires utilisent trois schémas narratifs différents, dont le plus original est sans conteste le dernier, sorte de body-movie entrant en résonance avec la voix off du père absent. On regrette un peu les quelques incohérences que cette histoire entraîne, notamment avec le premier épisode, mais on pardonnera assez facilement ces quelques problèmes de prequels – d’autres, et de plus prestigieux, s’en sont moins bien tirés…

Une maternité et un destin, Masiko entre mythe et réalité

En bon spin-off, le recueil nous offre des moments-clés venant éclairer l’histoire d’un personnage secondaire de l’univers d’origine.

Voilà donc Masiko, tueuse à gages renommée – son nom dérive de « massicot » – extrêmement douée, devenue mère célibataire.

Le thème de la maternité est centrale dans l’ensemble des histoires. Devenue mère, Masiko essaye de se ranger et d’élever sa fille. Mais être une légende vivante dans le milieu du crime ne rend pas la tâche aisée, et c’est à son ancienne vie que Masiko est une première fois confrontée dans le premier épisode.

Dans un second temps, la situation est inversée : Masiko, de retour à une vie « normale », découvre que celle-ci se révèle tout aussi dangereuse que ses précédents emplois, et qu’elle ne manque pas d’armes – de toute nature – pour y faire face.

Cette période de la vie de Masiko, centrée sur sa maternité est abordée assez intelligemment. A la fois un mythe en perpétuelle création pour ses adversaires et ses amants, mais se vivant aussi mère célibataire, Masiko réussit l’équilibre entre une héroïne aux aptitudes exceptionnelles et une jeune femme ordinaire.

Tout ingrédient nous donnant à lire un personnage complexe et attachant, servie par une composition impeccable et des scènes d’actions proches du manga bien exécutées.

Au final Masiko nous donne à lire une histoire malicieuse et bien ficelée disposant d’un niveau de lecture très accessible.

Faut-il se procurer ce livre au plus vite ?

Si vous êtes un fan ultime de Freak’s Squeele, vous avez déjà probablement l’album, vous l’avez fait dédicacer et vous avez décidé d’ajouter Masiko à votre tatouage-totem.
Si vous êtes fans de la série, mais que vous n’avez pas les DoggyBags, cet ouvrage est clairement fait pour vous.
Si vous ne connaissez pas la série, commencez plutôt par le début, vous y reviendrez quand vous aurez atteint le point précédent.