Critique « Britannia » de Bliss Comics : l’horreur dans la Rome antique

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Les séries historiques et les séries fantastiques, on connaît ça en France mais que donnerait l’alliance des deux ? Le premier tome de Britannia paru chez Bliss Comics donne une partie de la réponse.

Les démons rôdent à Rome

Dès l’instant où on voit la splendide couverture de Cary Nord, le ton est donné : un buste typique des sculptures romaines mais avec un homme grimaçant et des cornes de bouc. Cette série limitée nous plonge dans la face sombre de l’Empire. En exclusivité chez Valiant, elle n’a aucun lien avec le reste des séries de l’éditeur. On ne croise aucun super-héros mais c’est un récit historique d’horreur. Aux frontières de l’Empire, en Bretagne (la Grande-Bretagne aujourd’hui), de nombreuses morts étranges sont rapportées par une garnison. Antonius, enquêteur à Rome, est envoyé pour découvrir la vérité sur ces faits qui menacent la conquête.

Peter Milligan qui était déjà le scénariste d’une partie de l’intégrale Shadowman utilise avec malice les lieux communs de l’horreur : le brouillard masquant la menace, les bains de sang, les cultes païens démoniaques, un monstre de sang plein d’yeux…

Un empire perverti

Ca va mal pour l'armée romain

Il nous présente un Empire romain sombre et brutal. Reprenant la vision classique des auteurs romains, il présente une société dépravée. Néron est au pouvoir et sa folie commence à apparaître. L’ambition et la jalousie des hommes appellent les démons et des alliances contre-nature. Les romains sont brutaux et naïfs alors que les femmes sont plus intelligentes mais manipulatrices et dangereuses. Rome est une société patriarcale mais la vestale Rubria manipule ces hommes en jouant sur leur orgueil.

Ce sont les peuples conquis qui s’en sortent les mieux. Les Celtes sont plus malins et l’esclave breton est sarcastique vis-à-vis du peuple romain supposé supérieur. Le scénariste britannique n’hésite pas à recourir à un vocabulaire anachronique pour se faire comprendre (impérialiste et terroriste) et dénoncer la domination romaine (et américaine). L’armée romaine en Bretagne ne vient pas apporter la civilisation mais c’est une armée d’occupation qui colonise un peuple celte en résistance. Au milieu de soldats violents, Antonius est le seul homme sage. Milligan refuse l’héroïsation de l’armée.

L’ignorance des Romains est dangereuse alors que le savoir aide les vestales et Antonius qui a été sauvé par ces prêtresses mystérieuses. Le codex des vestales offre une connaissance rationnelle et un esprit critique affuté. Antonius l’a lu et absorbé. Utilisant l’observation et débarrassé des superstitions, le centurion est devenu une personne différente. Il ne croit plus et devient un grand observateur comme Sherlock Holmes. Bien que les démons rôdent, le lecteur suit plus une enquête policière par un rationaliste qu’un récit d’horreur pure.

Antonius face à un démon

Côté dessin, c’est également une réussite. Mis à part la très agréable introduction dessinée par Raúl Allén et Patricia Martín (Secret Weapons) expliquant la place des vestales dans l’empire, les quatre épisodes sont dessinés par Juan José Ryp. Son travail renforce encore plus le côté sombre du scénario. Il a un dessin réaliste et n’hésite pas à représenter le gore et suggère le sexe. Chaque visage masculin ou féminin est brutal. Le sol est constamment boueux. Les limites entre les cases sont floues comme entre les éléments, entre la terre et le ciel par le brouillard. On voit ainsi que la frontière entre monde réel et démoniaque s’estompe. Les couleurs sombres (vert, marron, rouge toujours foncé) s’adaptent à la quête contre le mal. L’arrière-plan des pages ou une image au fond sont tous sombres.

Qu’en dire une fois le livre achevé ? Le dessin et le scénario se mêlent avec plaisir pour nous emporter dans le passé sombre de Rome et parfois même dans des mondes démoniaques. Il s’agit donc d’un très bon début d’une série d’enquêtes occultes mais, pas d’inquiétude, le volume se lit très bien tout seul.