Critique « Premier Amour » : une pièce de Beckett rondement menée

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Premier amour, une énième adaptation de la célèbre pièce de Samuel Beckett. Certes. Mais pas des moindres ! Le texte y est incontestablement mis en valeur grâce au jeu épuré et sans failles du comédien Jean Michel. Cette pièce est la première production de l’Atelier Théâtre du Cerisier dont le but est de promouvoir la langue française en accordant une place essentielle au jeu de l’acteur.

Un texte aux échos intemporels

Cet homme très seul qui raconte son premier amour, c’est un peu aussi l’histoire secrète de chacun et chacune d’entre nous lors de nos chagrins d’amour. Un brin de misanthropie, des sentiments peu démonstratifs et une profonde solitude surtout lorsque les choses ne fonctionnent pas comme on voudrait. Et alors, la place dédiée à l’amour reste vacante. Parce que l’autre que l’on cherche à rencontrer ou que l’on rencontre, est toujours un peu dérangeant. Et puis il y a aussi la question de la liberté en amour. Pour parler de cela, Beckett excelle. Rien de superflu ni d’accessoire. Juste l’essentiel de ce que l’âme ressent et que les mots des maux ne parviennent pas à traduire. Cette excellence de l’écriture du dramaturge, oscillant entre cynisme et humour affiché, le comédien Jean Michel les restitue avec brio. Le ton badin et léger souhaité par Beckett, Jean Michel l’interprète avec
justesse et grande finesse.

image0 2 Critique "Premier Amour" : une pièce de Beckett rondement menée

Une interprétation fine au service du texte

Rejeté par les siens, le personnage de cette pièce est étranger et inadapté à toute vie sociale. La mise en scène de Jean-Pierre Ruiz sait mettre en valeur cette dimension particulière du texte. Les notes de musique à la guitare acoustique interprétées par Roland Gomes, quant à elles, pourraient paraître superficielles mais il n’en est rien… Bien au contraire. Elles soutiennent avec une grande poésie l’aspect brut et décalé du personnage, à la limite d’une certaine sauvagerie. Rien de superficiel dans l’interprétation de ce comédien qui demanderait à être connu davantage. Tout est taillé au cordeau : le regard, les gestes, les silences. C’est intense et simple à la fois. Une performance remarquable pour ce texte pourtant connu mais qui revêt ici une dimension particulièrement sensible. Samuel Beckett n’a donné aucune indication scénique à sa pièce et c’est de cette liberté-là que le comédien Jean Michel a su jouer en trouvant la juste mesure. Aucun affect mais une sobriété élégante et raffinée.

Jouée récemment pendant deux mois au Théâtre de la Croisée des chemins à Paris, cette pièce interprétée par un comédien exceptionnel se jouera à nouveau au Sham’s Théâtre lors du Festival d’Avignon 2022 en juillet prochain.

D’autres dates sont en attente de programmation d’ici la fin de l’année. Amoureux de Samuel Beckett et du théâtre « bien fait », soyez à l’affût pour ne pas rater un moment de spectacle que vous n’oublierez pas de sitôt.