Critique « Master of None » S1 (Netflix) : ode à nos vies banales

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Salué par la critique, Master of None a largement fait l’unanimité outre-Atlantique à sa sortie en 2015. En témoignent les nombreuses nominations et récompenses dont peut se vanter la sitcom. Passée plus ou moins inaperçue en France, cette dramédie d’un genre nouveau mérite que l’on s’y attarde un moment. Ne serait-ce que pour évoquer la justesse avec laquelle Ansari décrit le quotidien des jeunes adultes du 21ème siècle. Focus sur une série qui n’a pas peur de voir les choses en petit.

Les fans de Parks and Recreation se régaleront à l’idée de retrouver la joyeuse frimousse d’Aziz Ansari. Le comédien et stand-upper revient cette fois avec une série originale de sa propre composition, Master of None. Mais attention, pas d’humour absurde ou de personnage en dehors des réalités cette fois. Ici, on parle de la vie, la vraie. Celle de tous les jours, banale et insipide. Celle qui d’habitude n’intéresse pas grand monde. Surtout pas les scénaristes. Et c’est bien dommage. Parce derrière les histoires en apparence sans intérêt se cachent de profondes réflexions sur notre manière de vivre.

Intéressé par tout, expert en rien

Heureusement pour nous, il semblerait qu’Ansari fasse exception à cette règle. Le titre Master of None vient de l’expression anglaise « Jack of all trades, master of none ». Littéralement : « Valet de tous les métiers, maître d’aucun ». Soit une personne qui s’illustre dans une multitude de disciplines sans pour autant pouvoir se targuer d’être expert dans l’une d’entre elles. En gros, un généraliste, pas un spécialiste.

Master of None - Dev and Rachel

Avec un nom pareil, on capte direct qu’il ne sera pas question d’un super-héros à la Marvel ou quoi que ce soit de ce genre. Personnage principal de sa propre série, Ansari interprète Dev, un trentenaire new-yorkais d’origine indienne, acteur modeste pour des pubs par-ci, par-là. Un rôle pas très éloigné de sa vie personnelle au final, et dont les centres d’intérêt sont clairement les mêmes…

Un alter ego à peine fictif

Comme dans ses stand-ups, tous deux disponibles sur Netflix et qu’on vous invite très sérieusement à mater, Ansari se concentre sur des thèmes qui lui sont chers. Tirant parti de ses propres expériences de vie ou des témoignages de son entourage, le comédien dépeint avec justesse les questionnements de son temps.

Que faire lorsqu’on est un grand amoureux de bouffe dans toute sa diversité et qu’on est à la fois sensible au sort des animaux ? Parce que nos ancêtres se sont battus pour nos libertés, est-il juste de les enfermer dans un hôpital le jour où ceux-ci ne sont plus capables de s’occuper d’eux-mêmes ? Peut-on quantifier à quel point la personne en face est l’amour de notre vie ? Pourquoi les hommes se comportent de manière si creepy avec les femmes ? Ne se rendent-ils pas compte à quel point un simple trajet nocturne, après une soirée arrosée, peut se révéler bien différente dès lors que l’on porte un utérus plutôt qu’un phallus ? On vous laisse quelques minutes pour méditer là-dessus.

Pourtant promis, Master of None ne donne pas mal à la tête. C’est de là même que la série puise toute sa force. Pas besoin de se replonger dans ses cours de philo pour répondre à toutes ces questions existentielles. On s’est tous déjà posé ce genre d’interrogations, et Ansari nous rappelle que c’est normal de chercher quelques réponses.

Master of None ou la maladie du siècle

La focale de Master of None se pose quelques instants sur des détails insignifiants de nos vies contemporaines. Les textos, les personnes âgées, les personnes malpolies qui vous coupent la queue au magasin de glace… Ce genre d’expériences que l’on a tous vécues mais sur lesquelles on s’arrête rarement. Pourtant, ces petits détails à première vue sans importance pourraient bien cacher un phénomène sous-jacent beaucoup plus important qu’il n’y paraît.

Il y cette scène criante de vérité pour qui s’est déjà essayé à la drague dans les années 2010. Dev chope un +1 pour un concert et en tant que célibataire aguerri, compte bien inviter une fille ! Mais la charmante serveuse à qui il propose de l’accompagner décline au dernier moment après plusieurs jours de silence radio… Que faire alors ? Envoyer plusieurs messages en même temps afin d’éviter d’y aller seul ? Se concentrer sur une autre fille dans l’espoir que celle-ci ne refuse pas ? Que celui qui n’a jamais vécu une situation malaisante similaire jette la première pierre !

Ce phénomène porte un nom : FOMO. Ou Fear of Missing Out, pour les anglais LV1. Cette peur constante de passer à côté de quelque chose de mieux. Principalement dans les interactions sociales. Une plus jolie fille pour un rencard, une soirée plus sympa, voire même une simple notification Facebook. Ça peut aller loin. Qui n’a jamais répondu « j’te tiens au courant » à une invitation au lieu de confirmer sa présence, tout ça par peur de louper une perspective plus réjouissante ? Master of None décrit avec franchise et justesse cette anxiété sociale en pleine évolution depuis l’essor d’Internet. Une peur partagée par la plupart d’entre nous, et toujours en toile de fond dans la série.

Master of Non - Dev and Arnold

Quand le détail prévaut sur l’histoire

Ansari joue donc avec ce genre d’anecdotes dans lesquelles on se reconnaît facilement. Ainsi, la série n’est pas axée sur l’histoire, bien que Dev soit vite fait à la recherche de l’Amour ou d’une quelconque romance éphémère (et encore). Il s’agit plutôt d’une exploration de l’âge adulte moderne, à une époque où la quête de sens et de bonheur est devenu le fer de lance des millennials. D’ailleurs, l’acteur lui-même dit de son époque : 

« On peut se comporter comme des salauds, et c’est un fait accepté par les gens ! C’est une des raisons les plus chouettes d’être en vie aujourd’hui ! »

Ok Aziz. Pourquoi pas. On a affaire à un grand enfant qui tient absolument à profiter de tous les bonheurs que peut lui procurer sa vie tout en s’interrogeant sur le monde qui l’entoure. Un équilibre pas si facile à trouver entre moments yolo stupides et méditations sur des sujets plus profonds.

Un indien dans la ville

Les dix épisodes de la saison s’articulent chacun autour d’un thème. On a déjà parlé de la galère des textos en mode drague et du pauvre sort réservé aux personnes âgées. La dénonciation du sexisme tient également une place importante dans Master of None. Très bien exposé par l’acteur, celui-ci a d’ailleurs très largement embrassé le mouvement #MeToo (et lui a carrément donné une nouvelle tournure avec une polémique qui porte désormais son nom…). Un sujet récurrent vient également rythmer la série sous plusieurs formes. Il s’agit des origines indiennes de Dev.

Ses parents (joués par les vrais parents d’Aziz Ansari) ont émigré d’Asie pour venir s’installer aux États-Unis peu de temps après leur mariage arrangé. Leur union et leur expérience en tant qu’immigrés donnent matière à réfléchir à Dev. Lui n’aura jamais à traverser ce qu’ils ont enduré. Il est parfaitement « intégré ». Il a la possibilité de se marier (ou non) avec qui il veut. Et en même temps, il sait tellement peu de choses sur la culture de ses parents… Pas facile de trouver sa place au milieu de tout ça.

Master of None - Parents

Et puis, il y a le racisme ordinaire. La difficulté de trouver un rôle parce qu’il fait « trop typé ». Même les personnages indiens sont parfois joués par des Blancs maquillés ! Et puis deux Indiens sur la même affiche, ça fait « film de communauté » ! Ansari montre parfaitement les agressions racistes dont il peut être victime, particulièrement dans son métier. Le comédien est d’ailleurs le premier Asiatique à décrocher le Golden Globes du meilleur acteur… Preuve de l’invisibilité des Asiatiques dans les médias encore aujourd’hui. Heureusement, Ansari arrive à ouvrir les yeux au spectateur sur les injustices de son quotidien. Tout ça en nous faisant rire. Et pour le coup, chapeau.

On pourrait aussi vous parler de ses amis extraordinaires, dont la magnifique Denise (love sur toi Lena Waithe). Ou de son amour inconditionnel et un poil flippant pour la cuisine, en particulier les pâtes. Ou encore cette manière de placer ses idoles dans la série sans pour autant se la jouer re-sta. Sans oublier cette réalisation parfaitement soignée et d’une discrétion rare à Hollywood (tellement elle se fond dans chaque épisode). Et puis il y a cette BO, tellement bien maîtrisée qu’on dirait presque que Walk On the Wilde Side de Lou Reed ou Africa de Toto ont été créés pour les besoins de la série… Mais on se retrouve à court d’arguments et on se dit qu’il est largement temps pour vous de lancer le premier épisode. Histoire de vous faire votre propre avis à propos de ce petit bijou d’inventivité. En espérant vous avoir convaincus !

Bande-annonce de Master of None :