Critique des tomes 5 et 6 de Shy : passage à l’âge adulte

0
704

Après un quatrième tome particulièrement émouvant, Bukimi Miki revient avec ses super-héros attachants et atypiques pour faire face à la menace grandissante d’Amalarilk. Mais le projet du mystérieux Stigma semble devoir impliquer bien d’autres personnes… à commencer par la nouvelle amie de Teru : Ai Tennôji !

Mélange des genres

Shy continue de tracer sa route dans le catalogue shônen des éditions Kana. Mais cette œuvre transcende bien évidemment toute catégorisation éditoriale pour dépasser les frontières du genre, tout comme celle des cultures.

Le cinquième tome en est la parfaite illustration. En effet, il permet aux lecteurs de faire plus ample connaissance avec Ai Tennôji, frêle (en apparence !) jeune fille en fugue, qui se dit poursuivie par un mystérieux individu. Ai cache en effet bien des secrets, à commencer par son origine. Elle appartient en réalité à une famille de shinobis !

C’est l’occasion pour Bukimi Miki de mêler avec talent l’imagerie d’un Japon plus traditionnel à l’ambiance comics prépondérante jusque-là. L’influence réciproque de ces deux cultures se matérialise dès la jaquette de ce tome, avec un cercle rouge orangé, rappelant le drapeau nippon, devant lequel se dressent Teru et Ai, chacune portant l’uniforme de son identité secrète. Ensuite, le mangaka s’en donne à cœur joie avec le personnage d’Ai, sa relation à son arme, « Cœur pur », et les attaques de la jeune shinobi, soulignées par des tourbillons de pétales de fleurs de cerisier et des onomatopées plus rondes.

« Cœur pur » apparaît par ailleurs comme une arme puissante et possédant un pouvoir proche de celui de Shy, dont la sensibilité extrême lui permet d’entrer en empathie totale avec les autres, malgré, ou grâce à, sa timidité. C’est un sabre qui semble avoir une personnalité propre, à l’instar du terrible Enma manié par Roronoa Zoro dans One Piece. Et c’est à travers « Cœur pur » que nos héros vont s’approcher de l’un des antagonistes les plus redoutables rencontrés jusqu’ici.

Mode intense activé

La tension scénaristique, qui s’était apaisée après le combat en territoire russe du tome précédent, reprend de plus belle. Ainsi, une attaque d’une ampleur jamais vue frappe la capitale japonaise. Le centre-ville de Tokyo se retrouve brusquement enfermé sous un immense dôme noir ! Les héros sont mobilisés à l’international pour faire face à cet évènement.

C’est alors l’occasion pour Shy de se surpasser et d’affronter ses craintes, puisqu’Unilord la nomme leader de l’un des groupes d’intervention super-héroïques. Bukimi Miki en profite pour subtilement questionner la notion de leadership et les qualités requises pour en faire preuve. Qu’est-ce qu’un leader ? Grâce à quoi ou à qui existe-t-il ? Peut-il tenir cette place sans s’appuyer sur ses compagnons ? A l’instar du parcours de Deku dans My Hero Academia, être un héros ou un chef ne se définit pas par une absence de défauts ou de faiblesses. Au contraire, c’est à travers ces dernières que se construit la figure du meneur ou de la meneuse d’hommes.

Cela, Shy semble l’avoir bien compris. Elle s’entoure ainsi de héros et héroïnes qui, s’ils ne sont pas aussi puissants ou charismatiques que Stardust ou Century, se complètent à la perfection, et en deviennent ainsi redoutables.

Au cours de cette nouvelle mission qui requerra tout leur sang-froid, chacun des héros va trouver son antagoniste, dans une confrontation qui sera autant physique que morale. Néanmoins, et paradoxalement, le combat ne symbolise pas obligatoirement le point culminant de ces rencontres. En sont pour preuve les retrouvailles entre Pepesha et Mademoiselle Foufou, que les héroïnes avaient déjà croisée en Russie. Bukimi Miki transforme brillamment ce conflit avorté en réflexion sur le deuil. Le mangaka prouve ainsi qu’il n’hésite pas à déstabiliser ses lecteurs en brisant la dynamique shônen classique pour offrir une nouvelle dimension à son récit. Le combat prend fin avant même d’atteindre son point culminant, et l’adversaire n’est pas encore à terre qu’une discussion s’ouvre avec lui. Ainsi, l’éclatement du manichéisme, déjà représenté par le personnage de Shy, s’intensifie et fissure la frontière entre héros et vilains.

Séparation et retrouvailles

Cette vision du deuil et de la perte vient s’entremêler au passé des membres d’Amalarilk. En effet, les guerriers qui entourent Stigma semblent tous avoir traversé de terribles épreuves. Ce qui leur a amené à développer une perception pervertie du monde… Mais pour qui ne l’est-elle pas ? Par la confrontation entre les héros et leurs adversaires mus par de sombres sentiments, Bukimi Miki vient questionner l’échelle de valeurs que nous mettons en place pour évaluer nos actions et celles des autres. Qu’est-ce que le bien ? Le mal ? La justice ? L’auteur semble tendre à ses personnages des miroirs déformants, et à travers eux ce sont nos propres idées et perceptions qu’il interroge.

Le récit prend alors une nouvelle dimension et gagne en maturité. Au-delà des questionnements philosophiques, cela se ressent également dans le changement de ton et de décor. Les cases deviennent plus sombres, les traits plus épais. Une touche d’horreur se glisse également parmi les pages, avec la transformation des habitants de Tokyo, qui n’a rien à envier à celles des zombies de The Walking Dead. A l’instar du groupe mené par Shy, le lecteur se retrouve enfermé sous le dôme noir, sans retour en arrière possible, et sans perspective directe sur la fin du combat.

Le sixième tome se termine par un émouvant flashback sur l’enfance d’Ai. Cela nous permet d’obtenir quelques clés de lecture, avec une révélation fracassante sur la réelle identité d’Abysse, personnage à l’origine du dôme sous lequel a disparu le centre-ville de Tokyo. Loin de faire baisser la pression, ces quelques pages de souvenirs nous font prendre toute la mesure du combat qui attend nos héros. Alors que les membres de l’équipe de Shy se retrouvent séparés les uns après les autres, comment leur leader trouvera-t-elle la force de faire jaillir ses flammes dans les ténèbres qui se referment autour d’eux… et qui s’apprêtent à déferler sur le monde ?

Avec ces deux nouveaux tomes, Shy continue de s’affirmer comme une œuvre phare et atypique. Derrière des atours de shônen nekketsu, ce manga vient questionner des valeurs profondes, et confronte deux visions du monde. Alors qu’Amalarilk s’étoffe de manière fulgurante et dévoile son projet, les héros se retrouvent confrontés à la limite de leurs pouvoirs. Tout semble montrer qu’ils devront, pour réussir cette mission, céder leur place à quelqu’un d’autre… Le salut du monde résiderait-il entre les mains d’Ai, la jeune shinobi ? A vous de le découvrir, dans le prochain tome !