Pauvres créatures : un voyage initiatique d’affranchissement féministe passionnant

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D’origine grec, Yórgos Lánthimos est déjà bien inscrit dans l’imaginaire collectif grâce à des films emblématiques. Que ce soit Canine (2009), The Lobster (2015), Mise à mort du cerf sacré (2017) ou La Favorite (2018), le cinéaste s’est fait, en quelques années, une solide réputation. Célèbre pour des films perturbants, décalés, fantasmagoriques, absurdes, violents, chacune de ses œuvres est une expérience et un phénomène très attendu. Il est de retour ce mercredi avec Pauvres créatures, librement adapté du roman éponyme d’Alasdair Gray. Pour l’occasion, le metteur en scène retrouve Emma Stone (auréolé d’un Golden Globe pour sa performance) dans une sorte de Monstre de Frankenstein revisité et passionnant.

Pauvres créatures : une esthétique renversante

Yórgos Lánthimos a mis le paquet avec son dernier film. Le cinéaste propose un voyage pictural inédit, sublime, troublant, qui joue avec les codes et les conventions du blockbuster hollywoodien. A grand renfort de méthodes différentes (maquettes, miniatures, peintures mais aussi écrans LED), le cinéaste grec s’amuse à créer un monde unique, iconique, qui s’inspire en permanence du cinéma de Terry Gilliam. Via un noir et blanc superbe, il propose une introduction passionnante à grand renfort de fish-eye, ces plans en grand angle déjà très présents dans La Favorite. Esthétiquement c’est superbe, et ça sert le propos de son histoire, de son personnage.

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Au départ, Emma Stone incarne une femme rebootée, qui repart de zéro, l’esprit d’un bébé dans le corps d’une femme mature. Elle est en phase d’apprentissage, affranchie de tous les codes sociaux, des mœurs, des carcans féminins, mais aussi d’intellect, de culture, etc… Le noir et blanc et ces plans paradoxalement étriqués nous racontent l’apprentissage en cours de notre protagoniste, qui n’a encore rien gouté aux plaisirs de la vie, qui se réduit à cette approche fade en noir et blanc.

Et puis, plus le récit avance, plus le personnage se développe, plus Yórgos Lánthimos va entrer dans des approches visuelles variées et différentes. Il propose des relectures passionnantes de Paris, Lisbonne, Londres, où les envolées esthétiques sont sans limites, et toujours magnifiques. Une vision de science-fiction futuriste en opposition à un récit qui se déroule dans le passé. Volontairement anachronique, le film perturbe autant qu’il fascine dans son approche visuelle unique, picturale, et plus créatif que la majorité des productions hollywoodiennes contemporaines.

Le voyage initiatique d’une femme-enfant

Difficile de savoir si Yórgos Lánthimos a lu Des Fleurs pour Algernon de Daniel Keyes, mais le développement de son héroïne rappelle beaucoup le schéma de ce roman publié en 1966. Comme le héros de ce bouquin Bella (Emma Stone) apprend, découvre la joie, la peine, l’intelligence, la curiosité, la créativité dans une danse effrénée, comme pour rattraper son retard. Notre héroïne, comme l’assistance, est en effervescence devant tant de générosité visuelle et scénaristique, proposée au cours d’une course sans fin (malgré un léger ventre mou au milieu du film). Une chose est sûre, il sera difficile de tout assimiler en un seul visionnage.

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Pauvres créatures est un voyage initiatique aux confins de la raison, de la morale, qui questionne notre philosophie, nos mœurs, sur ce que nous apporte la vie de ce qu’il y a de plus positif au plus négatif. Bella est au départ dénuée de toute bienséance, ce qui lui permet de s’affranchir du dicta de l’homme, de la masculinité, du mariage, de l’appartenance. Elle goûte à la liberté en tant que femme dans une société ou cette dernière est enfermée, bridée, cantonnée à jouer un rôle dans l’ombre de l’homme (épouse, fille, amante, objet, etc…). Véritable réflexion comportementaliste, Pauvres créatures nous parle d’amour, de sexe, de liberté, de religion, d’argent, avec une vision toujours pure, rationnelle, pragmatique, presque factuelle, dénuée d’interférence émotive, et finalement d’une logique toujours implacable. Une approche évidemment emmenée par le caractère de plus en plus prosaïque de la protagoniste.

Pauvres créatures est un terrain d’expérimentation permanent pour les spectateurs comme pour les personnages. Le cinéaste aborde tous les genres, de la romance au drame, de la comédie au gore, il passe par tous les aspects de son cinéma dans un film fleuve presque synthèse de son œuvre. Comme d’habitude, il a un rapport au corps et au sang omniprésent via quelques séquences d’opération qui rappellent Mise à mort du cerf sacré. Toujours avec un énorme souci du détail (les cheveux de Balla qui ne cesse de pousser au cours du film), Yórgos Lánthimos parle finalement d’affranchissement féminin. Film féministe, Pauvres créatures est avant tout une expression pour désigner la gent masculine, et dépeint les hommes comme une figure paternelle hypocrite et repoussante, comme un mari violent et arriériste, comme un amant toxique et possessif. Et l’histoire de Bella n’est finalement qu’un passionnant récit d’émancipation sociale, sexuelle, intellectuelle et émotionnelle.