La Terre et l’Ombre : la critique

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La Terre et l’Ombre, présenté à la Semaine de la critique au dernier Festival de Cannes, est le premier long métrage de César Acevedo, metteur en scène colombien déjà à l’origine de deux courts métrages, Los Pasos Del Agua et La Campana, très remarqués en Amérique du sud.

 

Un film muet 

Le film de Acevedo traite des relations familiales compliquées entre une mère qui refuse d’abandonner la terre qu’elle a défendue toute sa vie, un fils qui ne parvient pas à quitter sa mère, au risque d’y laisser sa santé, une épouse courageuse qui se bat pour sauver les siens, un père confronté à ses erreurs passées pour retrouver la famille qu’il a abandonnée et un enfant désespéré. La Terre et l’Ombre nous fait osciller entre tristesse, mélancolie et regret du temps perdu, mélangés à un dégoût sous-jacent face à tant de gâchis. En effet, la mère refuse de quitter la maison familiale alors que le monde autour d’elle s’effondre petit à petit, laissant place à un décor désolé, presque post-apocalyptique, entrainé par l’exploitation intensive de la canne à sucre qui dégage alors dans l’atmosphère de dangereuses particules, de la cendre  issue de la combustion des plantes ramassées. Son fils est tombé malade à cause de cet air néfaste, et sa survie est incertaine. Malgré des paysages attrayants, le soleil et la chaleur cohabitant dans ce qui semble être, au premier abord, un havre de paix, l’exploitation massive des cannes à sucre par l’Homme entraine la destruction de l’environnement.

La Terre et l'OmbreLe protagoniste retrouve sa famille et doit se réadapter à leur présence, doit réapprendre à leur parler, une situation dont va découler beaucoup d’émotion. La Terre et l’Ombre va présenter des personnages attachants, sobres, calmes, interprétés brillamment par une équipe composée de seulement deux professionnelles : les deux actrices principales du film ; les autres ne sont que des amateurs passionnés et largement convaincants. Dans ce microcosme composé d’une petite maison et d’un magnifique arbre, chaque protagoniste va être un pion contrôlé par la main du destin ; l’environnement et les rebondissements dépassent les personnages, qui ne savent pas comment communiquer, les deux femmes de la maison travaillent jour après jour d’arrache-pied pour couper des cannes à sucre. aucun personnage ne semble contrôler son avenir, ils sont tous  prisonniers de traditions, de souvenirs qui deviennent une ancre les entraînant inexorablement vers le fond, telle cette vieille femme refusant de quitter sa rustique mais précieuse habitation. Ces personnages sont profondément complexes, ils semblent rester impassibles, en dépit des bouleversements qui les affectent, mais parfois les passions internes qui les consument refont surface. Un paradoxe étonnant, subtilement interprété par les acteurs mais également intelligemment mis en scène par Acevedo qui exprime le poids dramatique de ce conflit moins par les mots qu’à travers les silences, la distance entre les corps, les regards qui ne se croisent jamais et la contemplation de l’environnement. Finalement l’important ne se décèle pas dans ce que le spectateur voit ou entend mais bien dans ce que cachent les différents protagonistes.

Une mise en scène précise au service d’un film intelligent 

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Puisque le film s’articule autour d’un drame familial, il fallait une mise en scène capable de capter les émotions, les faiblesses et les sensations des personnages en dépit de leur manque de communication. Les plans séquences, les plans fixes, les travellings permettent de rendre palpable l’enfermement des personnages dans un espace physique et émotionnel et guider simultanément leurs actions dans le cadre. Les plans, subtiles et fixes, expriment le temps qui passe, les images colorées et sublimes offrent une réelle profondeur de sens, l’image observe une fusion avec l’histoire et les personnages. Le rythme du film est dicté par l’état émotionnel des personnages, par l’évolution de leurs sentiments. De plus, l’absence quasi-total de musique confronte réellement le spectateur aux diverses étapes du film, aucun divertissement n’apparaît, aucune musicalité sonore, l’image se contente de dicter sa musique, sauf le temps d’une chanson, choisie avec précision. Le début de La Terre et l’Ombre est marqué par l’isolement des personnages, par la distance qui les sépare, le malaise que crée cette promiscuité retrouvée : le rythme est alors ralenti, oppressant, parfois jusqu’à l’inconfort. Mais à mesure que l’histoire progresse et que les personnages commencent à réparer les liens qui les unissaient jadis, la caméra prend des distances, le rythme et les situations s’écoulent de manière plus organique.
La Terre et l’Ombre est également l’occasion pour César Acevedo de montrer quelques problèmes sociaux, éthiques et politiques communs dans son pays d’origine. Ainsi le cinéaste présente l’exploitation de masse et les effets néfastes que cela entraine pour l’environnement, la santé, le travail. La récolte intensive des cannes à sucre harasse les employés qui se chargent de ce dur labeur, surexploités, en danger sanitaire et physique, et qui vivent dans des conditions difficiles. Il montre les terribles ravages de la pollution, le manque de moyen des hôpitaux, le manque d’accès à la santé, la pauvreté… Acevedo montre son pays sans mentir, sans édulcorer la réalité, sans omettre les points négatifs.

Ainsi à travers cette histoire familiale compliquée le réalisateur s’attaque aux travers qu’il détecte, au manque de discernement de l’être humain et le gâchis qu’il mène partout sur la planète jusqu’à un final sublimé par des adieux tristes et réalistes.