Première édition des Rencontres du cinéma marocain de Toulouse

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Rencontres du cinéma marocain, l'affiche
Affiche de la première édition des rencontres du cinéma marocain.

Le 23 septembre 2023, le cinéma indépendant Utopia Tournefeuille a organisé un évènement inédit : la première édition des Rencontres du cinéma marocain de Toulouse. 

Durant la matinée, cette rencontre a mis à l’honneur une jeune génération prometteuse de cinéastes marocains. 

Quatre courts métrages ont été projetés : 

– « Qu’importe si les bêtes meurent » de Sofya Alaoui

– « Bêlons » de El Mehdi Azzam

– « Bab Sebta » de Randa Maroufi

– « Alès » de Faiçal Ben. 

La programmation éclectique a constitué un véritable intérêt. Elle a mis en avant une diversité de sujets et de problématiques touchant la société marocaine contemporaine ; ainsi que des esthétiques multiples qui ne s’inscrivent pas dans un courant particulier. 

affiche du film qu'importe si les bêtes meurent
Affiche du court-métrage qu’importe si les bêtes meurent

Dans « Qu’importe si les bêtes meurent », Sofia Alaoui utilise la science-fiction pour questionner une société marocaine où la religion, le dogme, le poids de la famille et des coutumes ancestrales sont profondément ancrées dans la vie des individus ; qui risquent d’être marginalisés s’ils rejettent ces fondements. Dans les hautes montagnes de l’Atlas, Abdellah, un jeune berger et son père, sont bloqués par la neige dans leur bergerie. Leurs bêtes dépérissant, Abdellah doit s’approvisionner en nourriture dans un village commerçant à plus d’un jour de marche.

Avec son mulet, il arrive au village et découvre que celui-ci est déserté à cause d’un curieux événement qui a bouleversé tous les croyants. La réalité monotone d’une vie rurale rude est ébranlée par un ciel mystérieux et la présence supposée d’extraterrestre, qui amène le personnage principal à remettre en question ses certitudes profondes : la place de l’Homme dans l’Univers ainsi que la protection de Dieu.  

A travers ce court métrage, Sofya Alaoui bouleverse le réel de façon sobre et humaniste. Le travail précis de la lumière, de la photographie, du son, ainsi que le jeu des formidables interprètes non professionnels entrainent jusqu’au bout le spectateur dans une atmosphère puissante de tension. 

affiche du court-métrage bêlons
Affiche du court-métrage bêlons diffusé aux rencontres du cinéma marocain

Le court métrage « Bêlons », d’El Mehdi Azzam dresse un tableau de la condition humaine dans sa dimension absurde, décalée, ironique et poétique. La veille de la Fête du Sacrifice, dans la banlieue de Marrakech, Kamal, le personnage principal est expulsé de chez son oncle chez qui il vivait. Il se réfugie alors chez son père, un vieillard marginal et poétique. Kamal est un antihéros aux prises avec sa misère, il vit en dehors des normes établies par la société : il n’est pas marié, il n’a ni logement, ni revenu ni travail stable ; et entretient de ce fait des relations compliquées avec sa famille.

Il est conscient de ne pas trouver sa place dans un monde incapable de donner un sens à sa vie. Pas tout à fait à la marge, Kamal oscille entre des moments d’évasion illusoire procurés par la drogue et l’alcool et une certaine lucidité où sa malice lui permet d’échapper furtivement au poids du réel. Toutefois, ses stratégies de survie sont vaines, puisqu’il est rattrapé par son destin tragique. Le réalisateur manie avec habilité l’ironie et la poésie, et dresse ainsi une satire de la société de consommation, d’un monde plastique et technologique dépourvu d’âme. On ne peut que constater la fragilité du lien social, d’une société en proie à des inégalités et des injustices béantes. 

affiche du film bab sebta
Film Bab Sebta diffusé aux rencontres du cinéma marocain

« Bab Sebta » (La porte de Ceuta) de Randa Maroufi est un court métrage expérimental, qui met en lumière l’absurdité engendrée par cette porte improbable séparant deux pays : l’Espagne et le Maroc. La réalisatrice observe de l’intérieur la frontière de Ceuta, enclave espagnole, sur la côte nord de l’Afrique, à 18km de Gibraltar. Comme Mellila, Ceuta détient le statut particulier de port franc, elle est une zone en marge de deux pays et de la légalité. Les habitants de ces zones limitrophes peuvent la traverser sur la simple présentation de leur papier d’identité, la frontière est difficile à contrôler, ce qui en fait un lieu d’agitation où transitent chaque jour, plus ou moins légalement, des Hommes, des denrées alimentaires, des biens de consommations et de la drogue.

Le choix de filmer en hauteur les quelques kilomètres carrés de cette frontière n’est pas anodin. Il fait référence aux systèmes de surveillance sophistiqués mis en place par les Etats pour contrôler les zones transfrontalières. Il est ainsi plus aisé pour le spectateur de s’immerger, de prendre conscience de l’espace en jeu, de la dure réalité économique et sociale de la frontière. Le public est invité à questionner ses représentations et ses perceptions de la frontière, ainsi que les tensions contemporaines qu’elle suscite, à travers l’observation de son activité journalière : les trafics qui s’y jouent, l’attente pénible et interminable des contrebandiers, la présence des agents de surveillance, des membres de la Guardia Civil, des touristes, et les ballots de marchandises qui vont et viennent dans un ballet incessant qui tourne en boucle. Randa Maroufi parvient à théâtraliser le réel. D’une part la frontière est dématérialisée et remise en scène dans un studio de cinéma, d’autre part les protagonistes sont des acteurs non professionnels, qui incarnent avec réalisme les personnages qu’ils jouent. Ainsi, le réel reconstitué de façon fictive, est d’autant plus amplifié et rendu explicite. 

Durant la pause méridienne, les spectateurs ont pu se régaler d’un délicieux repas marocain préparé avec soin par Amine et sa maman et servi par les équipes des films, dans une ambiance musicale chaleureuse. 

L’après-midi a été consacré à la projection du 5ème long métrage de Faouzi Bensaidi : « Déserts », suivi d’un échange riche bien que virtuel, entre les spectateurs et le réalisateur.

Affiche du film Déserts
L’affiche du film marocain Déserts

« Déserts » raconte l’histoire de Mehdi et Hamid, deux bras cassés du recouvrement de crédit, qui font le sale boulot. Traversant le Maroc pour réclamer les impayés auprès des familles surendettées, extorquant leurs derniers biens, le spectateur découvre très vite les vies cabossées de ces antihéros miséreux, vivant en marge de la société. Ces personnages servent une cause dont ils ne profitent pas et sont eux même abusés par le système. 

Les aventures extravagantes de ces antihéros sont des prétextes à présenter des tableaux de vie et des scènes de mœurs où les personnages rentrent en contact avec toutes les couches de la société, dans le Maroc rural et urbain. En filmant avec tendresse ces « petites gens » dans des grands espaces vides, minimalistes, le réalisateur connecte l’Histoire à une dimension cosmique de la nature. Cette œuvre dépeint l’histoire marocaine et mondiale des effets dévastateurs du capitalisme : un pan entier de la population est dans la survie, les populations précaires sont abandonnées par le pouvoir central, la fracture sociale est béante. Faouzi Bensaidi donne corps à la violence sociale, au clivage entre monde urbain et rural et à l’ubérisation néolibérale. 

Le film fonctionne dans sa première partie comme un roman réaliste où l’on suit une histoire et des personnages burlesques dans une satire du capitalisme moderne. Dans sa seconde partie, il se présente comme un recueil de poème mystique. Le spectateur est invité à participer à la fabrication du film en acceptant de ne pas tout comprendre, ce qui peut être déroutant. Il faut pour cela se laisser aller à une expérience sensorielle, et ainsi réfléchir à une utopie possible dans la fragilité ; où l’Homme, l’animal et la nature ne font qu’un. 

Sous la forme d’un conte, d’une odyssée, d’un monde mythologique qui vit au-delà des paroles et du langage ; ce film sort des cadres conventionnels du récit avec un début et une fin. Déserts au pluriel car il y a plusieurs histoires en une : les déserts des êtres, de leurs vies spirituelle et intérieure, mais aussi de leur existence quotidienne. Il y a l’histoire qu’on voit, l’histoire qu’on raconte, l’histoire dans l’histoire. 

Rencontre véritablement riche tant dans la qualité des films visionnés, que dans les échanges avec les réalisateurs et l’accueil chaleureux des équipes de l’Utopia Tournefeuille. En espérant qu’il puisse y en avoir d’autres.