Critique de Bang Gang (une histoire d’amour moderne) : le premier film audacieux d’Eva Husson

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Eva Husson porte un regard doux sur les expériences d’une jeunesse en quête de soi dans Bang Gang (une histoire d’amour moderne), un premier film d’une intensité propre à ce moment qu’est l’adolescence, sorti le mercredi 13 Janvier 2016.

Après Love de Gaspar Noé sorti courant 2015, il semblerait qu’un vent de liberté souffle sur le cinéma français, l’image pornographique est de nouveau portée au grand écran dans Bang Gang (une histoire d’amour moderne). L’idée du film est tirée d’un fait divers similaire à celui qui s’est déroulé aux États-Unis en 1999, puis dans divers villes d’Europe. Dans la banlieue de Biarritz au milieu de la banalité du quotidien de lycéen, la réalisatrice porte à l’écran, comme autant d’histoire d’amour, les dérives sexuelles d’un groupe d’amis de 16 ans. Traitant de ce phénomène de société, Eva Husson décide de cibler son intention sur le côté personnel de l’expérience plus que l’expérience de groupe. Les corps se mélangent mais les esprits s’éloignent de plus en plus, et à travers leurs sexualités on retrouve les problèmes de l’adolescence et l’inhibition sexuelle des corps augmentent par contraste l’isolement intime de chacun.051703.jpg-rx_640_256-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx

Que ce soit Nikita, Alex, Georges, Laetitia ou Gabriel, chacun semble avoir des motivations diverses et tirer de ses actes des ressentis différents et vivre une expérience qui leur est personnelle. Ce sont des motivations intimes, des caractères et des psychologies qui leurs sont propres qui amènent les cinq protagonistes à réagir différemment à chaque nouvelle étape franchie, à aller plus ou moins loin dans le dépassement de leurs limites et à tirer différemment les enseignements de cette passade de leur vie. Dans la même veine que Jeune et Jolie de Ozon, on ne connait pas l’intention profonde des protagonistes et de leurs actes. Pourquoi font-ils cela? si ce n’est pour tenter de combler avec l’entrechoque des corps la solitude de chacun.

Le retour à la normal et à la réalité orchestré par la ré-intrusion du système scolaire dans cet onirisme pornographique replace les personnages dans leur réalité. Ils n’ont que 16 ans et les conséquences sont là : avortement, maladies sexuellement transmissibles, et jugement du monde extérieur sur le statut déviant de ces lycéens. Le regard des parents et leurs différentes réactions participent d’autant plus au dévoilement de la réalité et à la fin du rêve obscène et interdit qu’étaient ces expériences tels des rites initiatiques d’un passage au monde adulte.

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Eva Husson, qui semble s’être attachée à chaque détail de ce premier film, pose un regard neutre et bienveillant sur ce groupe de jeunes qu’elle a créé attachants et dont elle a mis plus d’un an et demi à parfaire le casting, uniquement sur coups de cœur, et le résultat en est incroyable. Des personnages qui crèvent l’écran, une osmose qui rend les scènes de sexe bestiales et rajoute de la profondeur au film tout en permettant de contourner totalement le problème de vraisemblance et en apportant une sincérité au film. Un film où le sexe est omniprésent à l’image comme dans les conversations ; et pourtant quand l’écran s’éteint, on a déjà presque oublié les corps nus et on ne retient que les visages, les regards éteints et les sourires tristes de ses adolescents, aussi mal à l’aise avec eux-même qu’avec leur nudité et leurs sexualités. Les petits secrets des uns et des autres dévoilent leur fragilité quand ils voudraient nous faire croire que cette génération est invincible et que ces histoires d’amour modernes ne craignent plus les humiliations et les lourdes étapes du passage de l’adolescence au monde adulte, et qu’au contraire, ils s’épanouissent dans les orgies et le fracas des corps.

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La lumière signée par le chef opérateur Mathias Troesltrup, participe à beauté et la réussite de ce film. Une lumière naturelle, travaillée dans le détail qui sait révéler la beauté de chacun et adoucit les cotés sombres et la crudité des actes qui se jouent à l’écran. Plus qu’esthétique, c’est un vrai travail narratif, et d’après les dires de la réalisatrice même, qu’il s’agisse du traitement de la lumière ou du son, on retrouve des influences assez éloignées du cinéma français actuel qui participent encore plus à dévoiler l’originalité et à faire sortir du lot ce premier film qui crée une expérience de ressentis particulière pour le spectateur plongé dans l’intimité des corps. 

Bien sûr, Bang Gang ne sera pas le film qui fera l’unanimité cette année, peut être y’aura-t-il des polémiques comme autour de Love, ou peut être un clivage des générations, mais il est loin d’être un film de jeunesse fait pour la jeunesse, c’est un film qui s’adresse à toutes les générations puisqu’elle s’adresse à notre moi / ça / sur-moi : les personnages ont dépassé le « ça » freudien et fonce têtes baissées sans peur. On les regarde, on les envie puis on les plaint, et enfin, on finit par les aimer.