Mettez la VHS de Gun Crazy en route

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Une poignée de personnages dérangés veulent enfin vivre leurs rêves et sont prêts à tout pour cela… quitte à sortir les flingues. Voici le point de départ de Gun Crazy, le polar allumé sorti chez Glénat.

Bonnie and Clyde dépassés

La latino Dolly Sanchez & la noire Lanoya O’Brien roulent au milieu du désert américain sans dire un mot. Ces filles blasées avalent des pilules pour oublier le glauque de leur quotidien. Pour vivre, elles font des spectacles de pole dance dans des bars miteux au bord des highways. Mais ce n’est pas juste un travail car elles aiment choquer les rednecks en se grimant tout en blanc pour dévoiler peu à peu leurs origines. On découvre au fil des pages le passé de chacune de ces deux rebelles. Lanoya était une bonne chrétienne en Alabama jusqu’à ce qu’elle devienne soldat en Afghanistan où elle a rencontré Dolly en l’espionnant sous la douche. Les deux femmes sont tombées amoureuse et ont voulu s’enrichir pendant cette guerre. Elles reviennent ensuite au pays pour s’emparer de tout ce que la société raciste et patriarcale leur refuse. Elles vont s’approprier les outils de dominations des hommes dans la société américaine : les armes, leur corps et l’argent. Ce récit se veut féministe en montrant la libération de deux femmes mais la représentation des corps et des actes sexuels lesbiens pose problème, ainsi que le postulat que pour s’imposer, il faut reprendre les méthodes des hommes : la violence et la recherche d’argent.

Deux films hallucinées de Gun Crazy

Sans transition, on suit ensuite plusieurs hommes en mission pour des motivations différentes. Superwhiteman, un néo-nazi déçu décide de sillonner l’Amérique pour tuer des noirs, des immigrants et des indigènes en prenant un costume inspiré du Klu Klux Klan. Lui aussi se gave de drogues chimiques pour atteindre son rêve : retrouver une Amérique blanche. Le sergent Nolti d’une petite ville se drogue également pour oublier qu’il est méprisé de tous. On croise ensuite John St-Pierre, un ancien enfant abusé qui veut tuer tous les pédophiles du pays avant de se suicider. Comme dans Pulp Fiction, ces personnages différents vont tous se rencontrer dans la deuxième partie du livre à Cortez dans le Colorado. Les premières escarmouches éclatent mais la tension qui monte crescendo aboutira à Las Vegas dans le deuxième tome.

Une bd sortie d’une VHS

Si le résumé qui précède vous fait penser à Thelma & Louise ce n’est absolument pas un hasard. En effet, même si l’action se passe de nos jours, Gun Crazy est explicitement un hommage aux films d’action des années 80 et 90 et au Nouvel Hollywood. Lors d’un combat, on pense aussi à Fight Club mais remixé au féminin. Cela passe dans la conception même du livre. La quatrième de couverture reprend la forme et la décoration d’une VHS et tout le début du livre est organisé comme si la page était l’écran de télévision où le film va commencer : la mire, l’écran avec Play, les crédits de productions comme tirés des premiers temps des effets spéciaux numérique de Tron et les premières pages sont conçues comme un générique. Il y a même une surprise au milieu du livre. Les lecteurs qui ont adoré Il faut flinguer Ramirez devrait être comblés. On retrouve même les fausses publicités. Les auteurs nous proposent même une bande son avec l’album punk anglais Never Mind the Bollocks des Sex Pistols et des références à Betty Davis ou Country Joe Mac Donald qui servent à catégoriser des personnages.

Le shérif de Gun Crazy

Il ne faut pas lire ce livre comme une vision réaliste de la société ou des femmes. Le scénariste Steve D propose une parodie déjantée des films d’action en inversant la perspective. Gun Crazy dévoile l’envers actuel des États-Unis et son passé sombre. Ce sont deux femmes qui sont les Rambos et leurs ennemis ne sont pas les minorités mais des blancs tous idiots et racistes. L’une tue un mec tatoué d’une croix gammée avec un tomahawk indien ! Plus on avance dans le livre et plus le récit devient délirant : un chien dessiné comme Snoopy fume. Le dessin de Jef ne vise pas non plus le réalisme mais rend hommage aux dessinateurs des années 70 et 80. La forme des visages, l’encrage et certains paysages peuvent faire penser à Moebius.

Ce premier tome de Gun Crazy est au niveau de ses références. Il est un voyage en bd qui, plus que l’essence, sent le sexe et la poudre de canon. Cependant, on y trouve aussi beaucoup d’humour quand ces deux femmes s’attaquent aux États-Unis dominés par des ploucs racistes et misogynes.

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