Critique « L’Île des oubliés » de Victoria Hislop : un voyage dans le temps

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L’été est la saison idéale pour se plonger dans un livre. L’Île des oubliés de Victoria Hislop est l’un de ces romans qui nous fait voyager. Il nous amène directement sous le soleil crétois entre histoire familiale et Histoire. Paru en 2005 et en 2012 en France, L’Île des oubliés est traduit dans vingt-cinq pays et vendu à plus de deux millions d’exemplaires. Véritable succès, il a également remporté plusieurs prix notamment celui du British Book Awards en 2007.

Synopsis de L’Île des Oubliés

Victoria Hislop, autrice de l'Île des Oubliés
Victoria Hislop le 25 avril 2014 à Paris. (Crédit photo : PIERRE ANDRIEU)

Alexis, une jeune Anglaise, ignore tout de l’histoire de sa famille. Pour en savoir plus, elle part visiter le village natal de sa mère en Crète. Elle y fait une terrible découverte : juste en face se dresse Spinalonga, la colonie où l’on envoyait les lépreux… et où son arrière-grand-mère aurait péri. Quels mystères effrayants recèle cette île des oubliés ? Pourquoi la mère d’Alexis a-t-elle si violemment rompu avec son passé ? La jeune femme est bien décidée à lever le voile sur la déchirante destinée de ses aïeules et sur leurs sombres secrets…

Une fresque de portraits de femmes

Couverture de "L'Île des Oubliés" de Victoria Hislop
Victoria Hislop, “L’Île des Oubliés”, ed. Les escales, 2012.

L’Île des Oubliés est une fresque de portraits de femmes sur plusieurs générations : Alexis, sa mère Sophia et sa arrière grand-mère Eleni. Le récit commence avec Alexis Fielding, une jeune femme de vingt-ans d’origine anglaise et diplômée d’archéologie. En couple avec Ed, elle est en plein questionnement sur sa relation et sur sa vie. À la croisée des chemins, elle ressent alors le besoin vital de renouer avec ses racines familiales afin de lever le voile sur tous les nombreux secrets qui planent. En effet, malgré ses nombreuses questions, sa mère, Sophia, ne parle jamais de son passé et de ses origines grecques. Elle y est pourtant restée plus de dix-huit ans. Malgré leur relation mère-fille soudée, Alexis ne sait rien de sa arrière grand-mère maternelle. Elle se retrouve confrontée à un problème identitaire. Comment se construire en tant que femme sans connaître son histoire familiale ? Nous découvrons alors le courage et le destin tragique d’Eleni. L’Île des Oubliés met en avant ce lien fort entre ces femmes, un lien par le sang qui se transmet de génération en génération.

Un récit porté par des secrets d’une famille

Alors que l’été s’achève doucement, Alexis s’envole pour la côte nord de la Crète, dans le village natale de sa mère : à Plaka. Elle emporte, dans ses bagages, une lettre écrite par sa mère adressée à une certaine Fotini. En l’espace de quelques jours, elle retrouve Fotini qui s’apprête, pour la première fois, à lui narrer l’histoire de sa famille et plus particulièrement celle de sa grand-mère, Eleni, de son mari Giogis et de ses deux enfants, Maria et Anna. L’histoire est tragique car la famille se retrouve déchirée entre la guerre et la passion. Fotini lui raconte les secrets de sa famille, les histoires d’amour contrariés ou les passions dévastatrices et les drames. Mais, à travers ce récit familial, Alexis découvre une histoire bien plus vaste encore.

En venant dans le village natal de sa mère, elle réalise que ce dernier se situe juste en face de l’île de Spinalonga : une colonie de lépreux. Les secrets de famille se dévoilent, toujours portés par le récit émouvant de Fotini. Ainsi, elle apprend que sa arrière grand-mère Eleni et l’une de ses filles ont été touchées par la lèpre. Sophia, sa mère, lui a non seulement caché le décès de sa propre grand-mère sur l’île de Spinalonga, mais aussi la raison de son exil loin de la Crète. Tout semble s’éclaircir pour Alexis. Au travers de cette quête identitaire, Victoria Hislop souligne l’importance de connaître ses origines et son histoire familiale. Il est ainsi question de ce passé qui se transmet et impacte une famille sur les générations futures. Un lien invisible à travers le temps.

Carte qui présente le lieu où se déroule l'histoire du roman de Victoria Hislop
Carte détaillée de l’île (au nord), face à Plaka, et de la presque-île de Spinalonga. (Source : Wikipedia)

Un roman au cœur de l’Histoire

Victoria Hislop nous embarque dans le passé d’un village, au milieu du XXe siècle, dans la vie quotidienne de ses habitants, entre leurs us et coutumes. Mais il s’agit aussi d’une vie rythmée par la souffrance et les drames. Et ce qui rend L’Île des Oubliés d’autant plus poignant est que l’autrice s’inspire de faits réels. Se mêlent alors fiction et l’Histoire au cœur de la narration. Ainsi, l’écrivaine nous dépeint cette vie paisible qui commence à imploser face à l’invasion de la Crète pendant la Seconde Guerre mondiale, entre le refus des habitants de se soumettre et l’engagement de certains d’entre eux dans la Résistance.

Puis, L’Île des Oubliés met en lumière l’histoire de Spinalonga. De 1903 à 1957, Spinalonga est une colonie de lépreux, une terrible maladie infectieuse, mutilante et considérée incurable. Lorsqu’un cas était détecté, la personne était immédiatement envoyée sur l’île pour un aller simple, sans l’espoir d’un retour. L’isolement des lépreux était absolument nécessaire afin de protéger le reste de la population. Au début du XXe siècle, aucun traitement n’existait et le mode de transmission était encore inconnu. La maladie était jugée, à tort, comme extrêmement contagieuse. La population voyait alors la lèpre comme une véritable malédiction. Les lépreux devenaient des pestiférés. Aujourd’hui, grâce au roman de Victoria Hislop, l’île, désormais inhabitée, est devenue un site touristique, permettant de ne jamais oublier cet « épisode honteux » dans l’histoire de la Crète.

L’Île des Oubliés : une ode à la différence et à la résilience

Spinalonga : lieu de l'histoire du roman de Victoria Hislop
Photographie de l’Île des Oubliés : Spinalonga

Victoria Hislop décrit avec brio ces deux populations qui évoluent de part et d’autre de la mer. D’un côté, il y a les lépreux qui se confrontent à l’exil et à l’isolement, et de l’autre, la population non-atteinte dont la vie est rythmée par un quotidien tranquille mais assombri par la peur de la maladie. Nous découvrons alors la réalité de la lèpre, sans artifice, à travers l’isolement que vivaient les lépreux sur l’île, loin de leur proche et exclus de la société. La romancière nous retranscrit avec précision la peine et la douleur, sans jamais tomber dans le pathos. Elle dresse également le portrait d’une réalité en clair-obscur, car tout n’est pas noir, ni blanc.

Spinalonga apparaît alors comme une micro-société, où les personnes touchées par la maladie parviennent à retrouver leur place. Les habitants de l’île recréent une vie de village, avec école, épicerie, boulangerie, cafés, barbier, hôpital, pharmacie, maisons individuelles, cinéma. Cette société alternative apparaît comme un véritable nouveau départ, permettant de rompre avec la solitude et l’exclusion. Ainsi, la vie continuait à Spinalonga. Et lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata, les lépreux inspiraient une telle peur qu’ils étaient parvenus à arrêter l’invasion des Allemands.

Au-delà de la dimension historique, Victoria Hislop met en avant les fausses croyances qui découlaient de le lèpre. Elle évoque avec une parfaite maîtrise l’exclusion et la peur de la différence. Elle parle aussi de la résilience que possèdent les habitants de l’île face à la maladie. En effet, l’espoir semble résister. L’espoir d’un traitement, l’espoir de retourner au village, l’espoir de vivre. Cette résilience, Alexis la perçoit dans le récit de Fotini, entre le courage d’Eleni et des siens, la constance et la bonté de Giogis, son mari, qui, chaque jour apportait des marchandises sur sa barque. L’Île des oubliés est donc une ode à la résilience et une magnifique et vibrante plaidoirie de la différence. 

Et pour continuer votre voyage en Grèce, retrouvez la critique du roman Circé de Madeline Miller sur Justfocus.