Céleste, la femme derrière Marcel Proust

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2022 marque le centenaire de la mort de Marcel Proust. A cette occasion, les expositions et les publications se multiplient. Mais l’autrice de bd, Chloé Cruchaudet propose un regard décalé en s’intéressant à Céleste, la domestique du grand homme ou comment l’ombre de Proust passe désormais dans la lumière.

L’histoire d’une fan
Le sous-titre du premier volume, « Bien sûr, monsieur Proust », montre la complexité du projet de Chloé Cruchaudet. Plutôt qu’une biographie de l’écrivain, elle dessine le portrait de Céleste Albaret, gouvernante puis secrétaire de Marcel Proust jusqu’à sa mort. Son rôle était assurer sa tranquillité pour qu’il puisse se consacrer à son œuvre. Cette femme a vécu dans l’ombre de l’écrivain français le plus reconnu dans le monde mais ne semble avoir laissé aucune trace dans l’histoire. Ce pas de côté dans l’Histoire est une spécialité de la scénariste, dessinatrice et coloriste Chloé Cruchaudet. Loin d’écrire de vastes fresques sur la grande histoire, Cruchaudet dresse des portraits intimes mais complexes qui sont tout aussi révélateurs de l’époque qu’un récit de bataille. Elle s’était intéressée à la croisade des enfants au Moyen-Âge et à un déserteur travesti dans Mauvais genre pendant la Première Guerre mondiale. Elle retrouve la même période mais passe des classes populaires à l’élite.

Celeste1 Céleste, la femme derrière Marcel Proust

Céleste n’est donc pas une biographie traditionnelle mais on en apprend beaucoup sur Proust. Il vit dans le souvenirs de ses amis les plus anciens. Des passages de La Recherche émerge du livre lors des séances de travail de l’écrivain. Nouvellement engagée, c’est Céleste qui livre les premiers exemplaire du premier tome de La Recherche du temps perdu. Proust est un maître exclusif et Céleste lui sert de modèles pour faire émerger ces souvenirs. Ce livre est également un voyage dans le temps. Même s’il se concentre sur la très riche bourgeoisie, on découvre les intérieurs cossus et les changements techniques : les premières automobiles, les débuts des enregistrements sonores… La guerre est aussi présente. Proust est certes épargné mais son hôtel normand est réquisitionné.

Le dessin de Chloé Cruchaudet sort également des lieux communs. La mise en page refuse les bords aux cases géométriques mais elle opte pour une forme libre selon la colorisation ou le sens qu’elle veut donner à la lecture. De plus, chaque page de Céleste propose une très grande variété de composition comme lors des moment où l’inspiration déclenche l’écriture de Proust. Les couleurs à l’aquarelle rendent l’œuvre encore plus humaine. Elle est a la fois très précise comme pour la voiture mais aussi plus synthétique dans le fond des cases. La dessinatrice joue sur l’encrage ou son absence pour séparer la réalité et les visions de différents personnages. Le lecteur suit la découverte de Proust dans les pas de Céleste. Au départ, son visage est stylisé tant que Céleste ne l’a pas vu.

L’histoire d’une femme

Celeste2 Céleste, la femme derrière Marcel Proust

Sans aucun didactisme, Céleste est également un livre engagé. Le livre commence en 1956. Céleste vit avec son mari Odilon dans un petit logement parisien mais des dandys se pressent pour rencontrer la femme qui a connu le grand homme. Son mari apprécie mal cette célébrité surtout qu’il est allergique aux madeleines. C’est pourtant par lui qu’elle rencontre Proust. Taxi, il avait l’écrivain comme client régulier et lui a proposé de l’engager pour éviter qu’elle s’ennuie. Totalement dans son époque, elle a un caractère timide et s’efface derrière son mari. Pénétrer dans la chambre du maître est une aventure digne des contes comme l’illustre Chloé Cruchaudet. Cependant, elle sait aussi ce qu’elle ne veut. On peut signaler pour conclure la qualité de l’édition par Soleil dans sa collection Noctambule, la couverture solide mais granuleuse invite au toucher. La première page reprend les motifs des livres anciens.

Si Céleste peut apparaître au premier abord comme un gadget dans le cadre du centenaire de Proust, le talent de Chloé Cruchaudet en fait une bd marquante. Loin des biographie classique sans invention, elle propose une vision par le côté de l’écrivain bien plus riche et touchante. Elle dresse le portrait d’un milieu et égratigne certaines personnages connus (Gide) ou anonyme (l’époux de Céleste).
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