Prix Joséphine : interview de Christophe Palatre et Frédéric Junqua

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À l’occasion de la première édition du Prix Joséphine des artistes, nous avons rencontré ses fondateurs, Christophe Palatre et Frédéric Junqua. Alors que le paysage musical français connaît une redynamisation de ses courants, nous avons discuté des enjeux de ce prix à l’heure où la création artistique musicale du pays est en pleine profusion et que les limites du genre tendent à se redéfinir.

christophe fred 2 Prix Joséphine : interview de Christophe Palatre et Frédéric Junqua
Les fondateurs du Prix Joséphine : Christophe Palatre et Frédéric Junqua

 

On observe un renouveau dans le milieu des prix musicaux où certains prix ont été annoncés (comme la cérémonie des Flammes[1]) : en quoi un prix comme le Prix Joséphine est nécessaire aujourd’hui ?

Frédéric Junqua : On a identifié un manque dans les prix musicaux, où certains sont des prix de médias ou encore des prix du métier. Nous concernant, on voulait faire un prix qui soit très ouvert, qui dépasse les frontières musicales, et qui ne s’embarrasse pas de contraintes ou de règles d’inscription trop compliquées. Et avant tout, on voulait donner écho à l’élan actuel qu’il y a dans la production musicale en France, avec des artistes qui se mélangent, qui mélangent les styles et les sonorités, choses qui ne sont pas forcément perçues par le public. Ce qui était important, c’était de restituer la réalité de la production française qui est très éclectique avec une nouvelle génération d’artistes qui n’hésitent pas à mélanger l’acoustique et l’électronique, l’instrumental et le vocal, etc., et qui est très aventureuse.

 

À quoi fait référence le nom Joséphine ?

Christophe Palatre : Le nom est une sorte de clin d’œil sympathique à Joséphine Baker pour son métissage culturel et à son audace artistique. C’est aussi une référence à Alain Bashung qui, pour nous, est l’un des artistes les plus emblématiques de la culture et de la scène musicale française.

 

Vis-à-vis du prix, on remarque que deux points sont mis en avant : l’indépendance et la transparence des processus de sélection.

Christophe Palatre : C’est vrai que le prix a comme partenaires des organismes comme le CNM, la SACEM ou l’ADAMI qui embrassent tous les courants musicaux et qui ne sont pas parties prenantes dans la production des albums. En ce sens, il y a une volonté d’indépendance pour que les résultats soient ceux du comité de sélection et du jury d’artistes, et pas ceux d’une corporation ou d’un métier. Concernant la transparence, on pense que c’est important d’expliquer au public pourquoi on est arrivé à ce palmarès-là* et d’être clair sur les conditions d’inscription, de participation, mais aussi vis-à-vis de ceux qui font la sélection des quarante albums, de ceux qui choisissent le palmarès et enfin le/la lauréat.e ultime.

 

Comite de selection photo de groupe scaled Prix Joséphine : interview de Christophe Palatre et Frédéric Junqua
Le comité de sélection composé de journalistes spécialisés

 

On sait que la plupart des prix sont en lien étroit avec les labels ou des médias (comme par exemple les NRJ Music Awards). Qu’est-ce que cela implique vis-à-vis de la représentativité des artistes et de leurs œuvres dans le paysage musical français aujourd’hui ?

Frédéric Junqua : Je pense que pour répondre à cette question, il est intéressant de revenir à notre propre processus de sélection. On a eu plusieurs sources d’inspiration, l’une d’elles étant le Mercury Prize[2] en Angleterre. Le discours de ce prix est de dire que les albums sont mis en valeur par la qualité de la production musicale. En gros, la musique est dans l’album. Il n’y a donc pas d’enjeux de notoriété des artistes, ni de savoir si c’est un premier album ou pas. De fait, l’idée était d’abord que les modalités d’inscription soient les plus ouvertes possible. On s’est également inspiré des prix issus de la littérature, comme le Prix Goncourt et le Prix Fémina, ou encore du cinéma où le grand modèle reste le Festival de Cannes. Dans ces cas, on demande aux artistes et aux auteurs eux-mêmes de choisir et de juger des œuvres. La seule distinction qu’on a faite, c’est qu’on a organisé le Prix Joséphine en deux étapes : d’abord en demandant à des journalistes issues de différentes générations et forts de leurs connaissances des différentes scènes musicales, de faire une première sélection en choisissant quarante albums parmi les plus de trois cent albums inscrits. Puis, on a demandé au jury d’artistes de définir un palmarès de dix albums parmi les quarante. De cette manière, on donne la parole aux artistes en phase finale et donc on leur rend ce choix, mais en même temps on leur débroussaille un peu le terrain en leur indiquant et en allant voir dans tous les genres musicaux qui sont produits aujourd’hui en France, ceux qui ont semblés être au comité de sélection les quarante albums de l’année.

 

Vous avez fait appel à des journalistes spécialisés, comment on parvient à les faire échanger sur des albums issus de genres auxquels ils ne sont pas forcément familier ?

Christophe Palatre : On a d’abord choisi ces journalistes sur la base de leurs parcours et aussi au travers des discussions qu’on a pu avoir avec eux. On ne voulait pas des gens qui soient l’expression d’une chapelle, mais qui soient avant tout motivés par leur passion commune pour la musique. De plus, aujourd’hui les formes musicales comme on les connaît sont dans des formes de plus en plus hybrides, donc on a voulu refléter ce que les amateurs de musique plébiscitent, c’est-à-dire des formes musicales qui sont métissées et qui mélangent les courants qui ne sont pas juste l’émanation d’un genre prédominant.

Frédéric Junqua : On a d’ailleurs mis en ligne des interviews et témoignages du comité de journalistes et ils étaient assez unanimes dans le fait de dire qu’ils arrivaient avec des albums qu’ils avaient envie de voir intégrer la sélection, et ce qui les a intéressés c’est l’échange et le dialogue avec d’autres qui les a sorti un peu de leur ligne et des albums auxquels ils étaient habitués. Ici, ils n’avaient pas d’obligation par rapport à leurs médias d’origine, ils étaient juste là pour partager leurs analyses d’albums. Le fait que le prix leur donne un espace pour échanger qui leur a plu.

 

On sent que les journalistes et le comité d’artistes ont une large part de liberté pour faire leur choix. Comment vous envisagez votre rôle ? Comment encadrez-vous l’organisation du prix ? Avez-vous des attentes particulières ?

Christophe Palatre : Nos attentes correspondent aux valeurs qu’on veut défendre, notamment la valeur fondatrice du prix : la diversité. On voulait un prix qui montre et qui exprime la diversité de la scène musicale française. Trop souvent dans les prix, les choses sont réduites à des histoires de notoriété. Ce qui nous intéressait, c’était de mettre le doigt sur la représentativité de tous les artistes qui viennent de régions, de labels ou de structures différentes, afin de se rendre compte que la richesse musicale française est large et multiple. Dans la façon dont on a choisi les membres du comité de sélection et le jury d’artistes, on a fait en sorte que tous les courants musicaux soient représentés. Notre rôle a été de réunir des personnalités et des talents en leur disant « ce qu’on veut, c’est le plus de diversité possible » parce qu’aujourd’hui, on pense qu’un amateur de musique peut autant écouter un album de chansons, qu’un album de hip hop, que demain un album de jazz.

 

Jury dArtistes photo de groupe Prix Joséphine : interview de Christophe Palatre et Frédéric Junqua
Le jury d’artistes à l’origine du palmarès des 10 meilleurs albums

 

Finalement, la finalité du prix ne réside-t-elle pas à accompagner les auditeurs/auditrices de musique à s’ouvrir à d’autres courants ?

Frédéric Junqua : Tout à fait. On a d’ailleurs eu des retours très positifs sur la sélection et on a donc décidé de continuer de la mettre en avant sur notre site* et sur nos réseaux parce qu’on s’est rendu compte qu’elle avait une valeur en elle-même, et que le palmarès n’était finalement qu’une condensation de la sélection, mais que cette dernière était déjà intéressante à proposer au public du prix. Le prix est un itinéraire, ce n’est pas juste une soirée. Ce qu’on a voulu faire, c’est de mettre en place une série de rendez-vous avec les inscriptions, la sélection, le palmarès puis la cérémonie à la rentrée. Sur la durée, on essaye de faire en sorte que les gens gardent tous ces albums à l’esprit.

 

Du contenu autour du prix est partagé et continuera à être diffusé tout au long de l’été pour mieux découvrir les albums : que peut-on en attendre ?

Christophe Palatre : Le prix et son actualité s’exprime sur une période de trois mois et pas juste le temps d’une cérémonie un soir. Pendant l’été, notre challenge est de donner envie au public amateur de musique de découvrir les albums du palmarès. Pour ça, on a effectivement créé des contenus autour des jury où ils expriment leurs points de vue, pourquoi ils ont choisi tel ou tel album, comment ils les ont retenu, etc. On vient de finir une série d’interviews des artistes du palmarès où chacun se présente, chacun explique comment il a fait son album, de la phase d’enregistrement jusqu’à la réalisation de la pochette. Ce sont des formats courts et ergonomiques pour le digital parce qu’on pense que les aspects de conversation et d’échanges aujourd’hui se font en grande partie sur les réseaux et que la période d’été est propice pour aller butiner les informations et avoir envie d’écouter les albums. On fait également un podcast où il y aura une partie écoute de morceaux et une partie éditorialisée pour expliquer pourquoi l’album de Koki Nakano se retrouve à côté de celui de Laurent Bardainne ou encore d’Orelsan. Ce sont des outils de support de communication qui doivent normalement aider à donner envie d’en connaître un peu plus sur les artistes du palmarès.

Frédéric Junqua : En plus de tout ça, il y aura d’autres rendez-vous en septembre. On espère organiser une ou deux masterclass pour expliquer comment certains albums ont été conçus avec la participation de l’artiste mais aussi ses équipes créatives pour mettre en avant les métiers de l’ombre comme les métiers de mixeurs, de beatmakers, de réalisateurs artistiques, etc. Enfin, au cours de la cérémonie prévu le 23 septembre, il y aura la possibilité de voir tous les artistes sur scène

 

Qu’espérez-vous pour l’avenir ? Que voulez-vous aue les gens retiennent du Prix Joséphine ?

Frédéric Junqua : La première chose, c’est déjà que le prix devienne un instantané du meilleur de ce que la production musicale a à offrir chaque année, et qu’il devienne petit à petit dans l’esprit des gens une forme de label de qualité et de recommandation, qu’ils sachent que lorsqu’ils vont dans l’univers du Prix Joséphine, ils vont à la fois découvrir de nouveaux artistes et écouter les albums importants de l’année.

Christophe Palatre : On veut que le prix ait une valeur de préconisation avec une liste d’œuvres recommandées par les artistes eux-mêmes qu’il faut écouter dans l’année lorsqu’on s’intéresse un peu ou beaucoup à la musique.

Frédéric Junqua : Idéalement, on veut que, dans les labels et parmi les artistes, il soit reçu comme un relais d’exposition pour les albums qui seraient peut-être passés un peu sous les radars parce qu’il aura été sélectionné ou choisi dans le palmarès, et que cela puisse lui apporter une nouvelle exposition. Ce serait vraiment la meilleure récompense.

 

Retrouvez la sélection et le palmarès 2022 sur le site du Prix Joséphine, toutes les séries de vidéos sur la chaîne Youtube du prix, ainsi que toutes les actualités du prix sur ses réseaux sociaux :

 

[1] Les Flammes est une cérémonie célébrant les cultures populaires organisée par Yard, Booska-P et Smile, et dont la première édition est prévue pour 2023

[2] Le Mercury Prize est une récompense annuelle qui consacre le meilleur album britannique ou irlandais des douze derniers mois. Créée en 1992, elle se veut une alternative aux Brit Awards.