Tyranny : Gloire à Kyros ! (test)

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Dans l’ombre de l’illustre Final Fantasy XV, le mois de novembre s’avère propice aux RPG. A ce titre, le 10 novembre sur PC sortait Tyranny, le dernier CRPG du tandem de choc Obsidian / Paradox Interactive. L’ascension du conquérant est-elle une réelle réussite ou n’est-ce qu’une illusion ? On vous dit tout dans ce test sans détour.

Deviens le bras armé de l’envahisseur

Oubliez les RPG dont vous êtes le héros qui cherche à défaire la horde démoniaque du Mal. Dans Tyranny, Kyros le chef suprême a envahi et écrasé de sa toute-puissance les forces de ce monde. Ce nouvel ordre bien implanté doit néanmoins s’occuper des derniers rebelles qui parasitent le bon fonctionnement du royaume. Kyros a donc laissé ses représentants terrestres, chefs de guerre aux pouvoirs impressionnants, les Archontes, résoudre les derniers conflits en vigueur dans les Tiers de Kyros. Et le joueur dans tout cela ? Il incarne un scelleur ou une scelleuse du destin, chargé de faire appliquer les décrets magiques et les volontés du tout puissant chef suprême. Deux Archontes s’opposent sur les actions à mener et avec chacun d’eux, leurs armées. Ce postulat de départ a le mérite de faire céder la notion de Bien et de Mal. Il n’y a plus de frontière, et le joueur comprendra bien vite qu’il n’y a pas une voie meilleure que l’autre. Tout ce que vous faites ne se définira pas selon une barre empathique ou pragmatique, non, il n’y aura comme facteur décisif que des réputations avec les factions, les personnages et compagnons. Les uns vous seront loyaux, les autres seront en colère, certains auront peur de vous mais vous respecteront alors que d’autres seront à jamais animés d’une haine véloce. Votre chemin n’aura de cesse de croiser celui des Disgraciés et du Chœur écarlate, ces deux armées des Archontes rivaux. L’histoire est plus complexe qu’elle n’y paraît, la densité de ce monde créé par Obsidian est impressionnante. N’en déplaisent à certaines mauvaises langues, si on voit où le jeu veut nous amener, plusieurs rebondissements narratifs ne sont pas prévisibles. D’autres se devinent parce qu’il n’y a aucune volonté de cacher la situation. Toute la subtilité narrative repose sans doute sur un personnage très important que nous ne voyons pourtant jamais et dont les intentions sont toujours rapportées. Mis bout à bout, les différents éléments de l’histoire offrent à la fin du jeu une lecture assez originale et interroge sur la destinée.

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Quand le chat n’est pas là, les souris dansent !

Tyranny propose dès le début de choisir sa difficulté (Mode histoire pour facile, normale, difficile et voie des Damnés) qu’il est possible de corser davantage en sélectionnant les options « mode expert » (désactive l’assistance de certaines fonctionnalités) et « épreuve de fer » (niveau ultime de maitrise, qui permet dans les différentes difficultés de n’avoir qu’une sauvegarde unique qui se conclut par un game over définitif si votre groupe meurt). Tyranny c’est un peu comme un munster artisanal, il vaut mieux éviter de se montrer trop vantard et prendre d’abord une petite tranchette avec du pain avant de vouloir manger un gros bout nature.

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Judas, un personnage qui inspire la confiance !

Une fois ce choix délicat de la difficulté effectuée, comme tout bon CRPG qui se respecte, Tyranny vous propulse dans la personnalisation de votre avatar et de son histoire. Sans être un monstre d’options, Tyranny offre la possibilité de choisir néanmoins avec soin. On peut incarner un homme ou une femme, choisir entre 3 morphologies, sélectionner un visage, toucher aux cheveux (coupes et couleur), aux barbes pour les hommes, ainsi que rajouter un tatouage. On aurait aimé avoir un peu plus de portraits à disposition, même s’il en existe déjà de quoi trouver son bonheur avec 18 pour les hommes et 20 pour les femmes. Dès que votre précieux Scelleur du destin a enfin un physique à la portée de son rang et surtout de vos espérances, nous arrivons dans le cœur du Background. A vous de définir le passé de votre personnage. Vient ensuite le choix qui définira votre style de combat avec « l’expertise primaire ». Rien de vraiment nouveau dans le genre, il faudra choisir entre : épée bouclier, Grande épée, Petit Arc, Sorts de choc, sorts de vigueur, javelot, maniement double, attaques à mains nues, sorts de givre et sorts d’atrophie. Et une expertise secondaire, une arme avec laquelle vous pourrez switcher, à savoir quasiment les mêmes que la première expertises avec des variantes comme la massue de guerre. A noter que pour les deux expertises, on vous demande de choisir entre deux compétences une fois l’arme sélectionnée. Oyé Oyé, grand guerrier, il faudra définir votre emblème, sa couleur ainsi que celles de votre personnage. Mais que serait un RPG sans attributs et compétences ? A vous de sélectionner ceux qui seront les plus utiles, tout en restant un minimum cohérent si vous ne voulez pas finir dans les pommes face à la puissance du munster ! Blague à part, faites vos choix avec justesse. Pour les plus impatients, les choix de personnalisation s’arrêteront là. Pour les autres, si vous êtes consciencieux et que vous voulez encore plus d’immersion dans le background, alors sélectionnez le mode « conquête ». Cela vous amènera pendant l’invasion de Kyros, avant que le jeu ne commence réellement. C’est une agréable manière de définir le rôle de votre scelleur et ses choix surtout que cette mise en bouche vous obligera à prendre des décisions auprès des Disgraciés et du Chœur Écarlate.

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Décidez des grandes étapes de la conquête de Kyros !

Un univers cohérent et sans langue de bois !

Oubliez les licornes, les princesses qui font des bulles et les dialogues bisounours avec Tyranny, pas d’hypocrisie dans les thèmes abordés et la façon de le faire, ça déménage. Vous comprendrez très vite que dame censure n’a pas œuvré. Les PNJ n’auront de cesse de vous dire clairement ce qu’ils pensent de vous et de la situation, ce qui donnera lieu à des échanges verbaux cocasses. Il est agréable de noter que le jeu a été traduit entièrement en français, tous les textes sont soignés et le choix des réponses que vous ferez ne regarde que vous… et vos compagnons qui ressentiront de la peur si vous partez sur des chemins qui leur déplaisent. D’ailleurs, parlons bien, parlons compagnons. Pour éviter de vous spoiler, j’éviterai de les nommer et de définir leur nombre exact. Sachez simplement qu’il y en a pour tous les goûts, que cela soit en caractère, en moralité, en classe et en visuel. Quand vous foulez les terres de ce monde pour rendre justice, accompagné de vos compagnons, vous avez la sensation d’appartenir à un univers réaliste avec des PNJ souvent hauts en couleur. Du côté des Archontes, plusieurs croiseront votre route, eux aussi bénéficient d’un look et d’une personnalité propre. Chacun à une histoire personnelle enrichie, qu’il ne sera possible de connaitre qu’en fonction des faveurs que vous avez gagnées auprès d’eux. Mention spéciale à Tunon, que je trouve personnellement très classe et à la mentalité très intéressante. Le système des réputations est d’ailleurs très approfondi puisque vos actes entraîneront nécessairement une réaction sur : les factions (faveur/colère), les compagnons (loyauté/peur), les Archontes (faveur/colère) et les Artefacts (ici, il est question de la renommée pour débloquer des capacités uniques). Tyranny est un vivier de codex et de dialogues, en digne héritier de la grande heure des CRPG, il ne s’adresse pas aux allergiques de la lecture.

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Une femme distinguée !

Votre périple vous conduira à parcourir des régions variées, qui auraient pu l’être encore plus, allant de la terrible « Mer de pierres » à la dangereuse « Sépulture des lames« . Et pour ce faire, vous aurez besoin de voyager sur la carte du monde d’une zone à une autre. Les déplacements impactent sur le temps, vous demandant parfois de traverser pendant 12h, influant ainsi sur le cycle jour / nuit et sur le calendrier. Par exemple à quelques missions de la fin, j’étais au « Jour des Forgerons, 25 Cycle des Ruines 431 JD« . Tyranny offre d’ailleurs de jolis graphismes soignés. Certes, ceux d’Original Sin 2 sont plus détaillés, mais la palette des couleurs de Tyranny est moins flashy et plus appropriée aux thématiques du jeu. Le zoom révèle parfois des petites imperfections des décors mais les personnages restent impeccables. Tyranny n’est pas un open world, à l’instar des anciens RPG isométrique, il propose des zones restreintes qu’il est possible de visiter et revisiter. Attention cependant, certains choix pourraient vous interdire l’accès à tous les endroits, tout comme la progression dans l’histoire vous empêchera de revenir partout. Les amoureux de Pillars of Eternity regretteront sans doute l’exploration en recul, mais d’autres comme moi trouveront le choix peu handicapant. Les chargements de début de jeu sont souvent longuets. Une fois la partie chargée, le problème n’en est plus un. Les quêtes vous obligeront souvent à être un fin globe-trotter car les cartes de Tyranny sont peut-être petites mais elles recèlent de parties cachées et d’accès à d’autres cartes (comme pour les donjons par exemple ou l’intérieur des bâtiments de façon générale). Inspirez par la sublime bande-son et ses musiques d’ambiance, vous ne rechignerez pas à la tâche et ne verrez pas le temps passer. Et dans tout cela, qu’en est-il des quêtes ? Comptez environ 25 chaînes de quêtes principales (il faut souvent faire évoluer les objectifs, c’est un peu comme si vous en aviez le double dans les faits) et une bonne vingtaine de quêtes secondaires. Cela serait sans doute un défaut si le jeu ne bénéficiait pas d’une excellente rejouabilité. Pour une seule partie, il m’a fallu 35h pour faire le tour et terminer avec des personnages niveau 15. En effet, les différentes fins du jeu, les alignements, les choix liés aux quêtes et aux personnages, l’enrichissement des backgrounds, les variétés de gameplay feront que vous serez inlassablement amenés à refaire le jeu. A 40 euros pour une expérience de jeu aussi vaste et aussi riche, c’est donné.

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« C’est quand qu’on est arrivé ? »

Des combats mais pas que !

Venons en au cœur du sujet : le gameplay. Commençons d’abord par établir un fait absolu : votre équipe ne peut être constituée que de 3 compagnons et de votre avatar. A vous de bien choisir vos forces, de travailler sur les points forts et faiblesses de vos alliés pour obtenir la meilleure alchimie. Les templates des personnages proposent généralement deux ou trois voies dans lesquelles vous pourrez débloquer des capacités passives, des attaques et des bonus. Pour votre personnage principal, c’est un peu différent. Ma scelleuse proposait six arbres de compétences, ce qui permet de varier les plaisirs et de réellement jouer comme on en a envie. Tyranny propose bien entendu la pause stratégique, qui permet de prédéfinir à l’avance les actions de ses troupes et qui s’avère vitale. Mais surtout, chaque personnage à un combo avec le vôtre, l’actionner mobilisera le duo et donnera un effet unique. Certains combos redonnent de la vie, d’autres permettent une attaque coordonnée ou des « buff ». La barre de raccourcis vous permet à tout moment de changer les sorts et attaques selon votre utilisation mais pas de panique, il y a une autre barre qui récapitule tous les onglets pratiques: les sorts, les combos, les talents, les aptitudes d’Artefact, de réputation, les postures de combat, les potions, les armes. A noter que grâce à certaines compétences, vos personnages pourront s’équiper de 3 armes différentes et vous permettre de changer pour étendre le champ des possibles. Tyranny réussit le tour de force d’être très dynamique et prenant en dépit d’une pause stratégique classique. Dans la liste des petites options bien appréciables, on notera la possibilité de passer l’IA alliée en automatique / manuelle, la furtivité, les différentes formations de groupe et enfin le bivouac. Tout comme dans Pillars of Eternity, ce ne sont pas les dégâts qui importent le plus mais bien les statistiques de résistance des personnages (esquive, parade, défense d’endurance, défense de volonté, défense magique et armure). Suite à un combat, si un personnage est lamentablement vaincu, il sera blessé. Sa barre de vie apparaîtra en orange, le rendant beaucoup plus fragile. Le bivouac qui vous permettra de vous reposer sera nécessaire pour deux choses, recharger certaines compétences et guérir. Faites donc attention à être toujours bien équipé. Les consommables sont à ce titre indispensables, que cela soit la nourriture qui donne des bonus, les potions de soin (il y a quand même un succès qui nécessite d’en utiliser aucune pendant le jeu) et les poisons. Pour une raison inconnue, il est très difficile de séparer ses piles de consommables, il faut souvent s’y reprendre à plusieurs fois et c’est bien dommage. N’attendez pas d’être en combat pour équiper les consommables sur vos personnages, sinon malheureux, vous êtes voués à une mort certaine. Si vous disposez d’un compte Paradox, vous aurez le droit à des récompenses journalières pour vous remercier de jouer. Un petit plus bien appréciable.

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Par l’invocation des rochers pointus !

Attardons-nous quelques instants sur les sorts, non pas que je sois une fétichiste de la magie mais bien que Tyranny propose une confection des sorts particulièrement bien pensée. En effet, il existe dans le monde des Tiers, des Sigils. Pour créer un sort et pouvoir l’équiper, il faut avoir un certain niveau de connaissance. Puis en trouvant ou achetant des parchemins Noyaux (définissent la nature du sort) et des parchemins Expressions (définissent leurs effets) et en ajoutant des Accents (modifient la portée, la durée…), on créé un sort unique. Plus le sort est élaboré avec de multiples accents, plus son porteur doit avoir une excellente connaissance. L’avantage du système de création des Sigils, c’est qu’à tout moment, vous pouvez inventer et modifier des sorts.

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Il faudra une bonne connaissance pour lancer cette Pluie d’Acide !

Une fois que vous aurez débloqué plusieurs Flèches, des bâtiments uniques, vous passerez votre temps à essayer de les améliorer et à concevoir des objets qui vous seront grandement utiles. Les Flèches apportent une dimension gestion et craft intéressante. Elles nécessitent de s’investir et de voir le temps passer pour venir récupérer ce que vos ouvriers auront réalisé. Sans en dire davantage pour vous laisser la surprise, les Flèches deviendront bientôt votre principale source de repli pour parler avec vos compagnons, lancer de nouvelles recherches, faire le tour des marchands et mettre toutes les chances de votre côté pour gagner les combats. Certains accès aux Flèches vous donneront des cheveux blancs, parce que vous en viendrez à penser que vous avez juste oublié des éléments en route. Mais les petits gars d’Obsidian ont l’art et la manière de ruser.

Tyranny c’est un mélange savoureux de la grande époque des CRPG avec des influences plus modernes en matière de gameplay et d’histoire. Avec son contexte mature où l’on transcende le Bien et le Mal, Tyranny offre la possibilité de se forger de nombreuses histoires dans l’Histoire. Porté par un scénario bien écrit, des dialogues soignés, des personnages qui ne font qu’un avec cet univers et une bande-son merveilleuse, Tyranny devient un des meilleurs RPG d’Obsidian.S’il n’est pas exempt de défauts comme les premiers chargements plus longs et la séparation fastidieuse des consommables, le potentiel qu’offre Tyranny permet de passer outre et de vivre une expérience palpitante. Il ne reste plus qu’à souhaiter qu’un Tyranny 2 voie le jour et lève le voile sur toutes ces questions qui restent en suspense.

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Non, ce n’est pas un club SM !