Un maître de l’horreur à l’honneur, Junji Ito

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L’hiver est placé sous le signe de l’horreur par les multiples actualités liées au très grand souverain de l’effroi, Junji Ito. Présent en France, une exposition lui est consacrée au festival international de la BD, mais il est aussi dans les librairies par deux sorties : un artbook et le recueil L’amour et la mort.

Le brouillard apporte le destin dans L’amour et la mort

La folie amoureuse de Junji Ito

Ce recueil de nouvelles écrites et dessinée par Junji Ito nous fait visiter Nazumi, ville plongée en permanence dans un épais brouillard. A peine arrivé, Ryûsuke Fukada est mal à l’aise. Il y déteste les superstitions. En effet, à Nazumi, des jeunes sortent pour demander un oracle à la première personne arrivant à un croisement. Ce jeu innocent tourne au drame quand des jeunes filles se suicident. Un homme tout en longueur serait responsable. Commencé par un court récit, Junji Ito voulait rester dans ce sombre village. L’accumulation forme un vaste récit de plus en plus délirant.

Comme le montre le titre, L’amour et la mort vous présente deux habitants de Nazumi : Eros et Thanatos. En effet, ces récits prépubliés dans des revues shôjo mêlent le frisson de l’amour adolescent et celui de la mort. Les collégiens jouent à se faire peur, mais la vrai terreur se diffuse comme virus alimentée par la rumeur. Ito ne se réfère pas à des contes, mais à une horreur du quotidien. On se suicide avec un cutter. Les personnages principaux sont des collégiennes, des passants ou des salarymen.

Nazumi est une ville condamnée à l’échec amoureux. L’amour n’y est pas heureux, mais une obsession morbide. On ne peut avouer ses sentiments et ce secret le rend fou. Pour Ito, le sentiment amoureux devient une addiction à la douleur. La raison disparaît, tout comme les règles sociales. Subissant des chocs émotionnels brutaux ou une pression constante, les corps se transforment. Les cernes se creusent avec une ombre noir autour des yeux. Cet homme portant une boucle d’oreille est androgyne. Junji Ito montre que le harcèlement scolaire et l’exclusion des personnes différentes peuvent ébranler au plus profond les jeunes au point de leur faire douter de leur identité. De quelques cas individuels, la folie devient collective. Cependant, Junji Ito insère au milieu du livre un élément déclencheur positif qui relance l’intérêt du lecteur.

Dans le dernier tiers du livre, Ito présente l’étrange fratrie Hikizuri. Depuis la mort de leurs parents, cinq frères et sœurs séquestrent la plus belle de la famille. On se croirait dans un conte pour enfant, mais est-ce si simple ?

De belles horribles images

L'artbook de Junji Ito

L’autre sortie récente est le splendide artbook consacré aux illustrations de Junji Ito. Plus de 130 images pour la plupart en couleur démontrent tout le talent du maître. Pour l’occasion, l’éditeur Mangetsu propose une édition de qualité. Le livre est un grand format proche des catalogues d’exposition. La couverture amovible noire et grise propose une glaçante image d’une veuve noire aux yeux orange fluo.

Le néophyte découvrira les illustrations des titres emblématiques de Junji Ito. C’est logiquement, la fameuse Tomie qui accueille en premier le lecteur. Cependant, le terrible garnement Soïchi n’est pas loin. Les tailles de ces estampes est très variables de la pleine page verticale à la double-page horizontale. Si ces pages ne contiennent aucune information pour laisser s’exprimer au maximum le génie graphique de Junji Ito, le lecteur peut facilement trouver l’origine de ces images dans l’index en fin de volume où chaque image est commentée par l’artiste. Le volume ne se contente pas de compiler ces incontournables, mais le fan découvrira également des illustrations plus rares comme des couvertures de disques. On ne peut s’empêcher de faire des rapprochements entre les œuvres. Les visages épurés réussissent à transmettre de multiples émotions. Les corps sont très allongés et très souvent déformés. Des animaux reviennent souvent : les chats, les vers… Junji Ito rend fréquemment hommage à des maître de l’art occidental.

Il n’y a pas seulement des couvertures mais également des pages marquantes du maître issus des manga. Plutôt que de simplement reproduire ces pages, l’éditeur propose un fond argenté renforçant l’étrangeté des images. La deuxième partie du livre ajoute également une interview de Junji Ito où il détaille ses techniques artistiques.

Plus de trente ans après avoir débuté sa carrière, Junji Ito est enfin reconnu à sa juste place en France : la première. Il fallait alors l’honorer par de beaux ouvrages. L’éditeur Mangetsu le fait avec honneur par la magnifique artbook puis le terrifiant L’amour et la mort.

Frissonnez à nouveau en lisant des chroniques sur d’autres titres d’Ito : Zone fantôme et Frankenstein.