Critique du manga L’Histoire de l’Empereur Akihito : l’empereur qui voulait être un homme

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L’éditeur Vega-Dupuis, nouveau venu dans le paysage francophone du manga, continue d’étoffer son catalogue d’oeuvres inédites. En éditant le travail de Furuya, Issei Eifuku et d’Hidetaka Shuba sur Akihito, il propose au public français de découvrir la vie de l’ancien empereur du Japon. Ni hagiographique, ni fictionnelle, L’ Histoire de l’Empereur Akihito, dévoile la réalité de la cour impériale et déconstruit nombre de fantasmes et de préjugés. Tout en présentant le parcours d’un monarque atypique, qui abdiqua en raison de l’âge tout en accompagnant la reconstruction du Japon ravagé par la guerre. Il en résulte un récit riche puissamment mis en image.

L’enfant destiné à devenir empereur

Quand Akihito naît en 1933, sa vie est déjà toute tracée. Par son statut il devra présider à la destinée de son peuple. Mais être l’héritier du trône implique une vie de contraintes. Eloigné de ses parents, il suit des cours dans une institution privée sous l’oeil vigilant de ses professeurs et de son précepteur. Il doit sans cesse oublier qu’il est enfant pour se consacrer tout entier à sa fonction divine. Or le déclenchement de la guerre en 1937 plonge son pays dans huit années terribles faites de destructions, de morts et de sacrifices. Qui s’achèvent par la défaite et l’occupation du pays par les Etats-Unis. C’est alors que s’ouvre un nouveau moment dans la vie du jeune prince.

L’empereur son père a perdu son statut divin et a dû accepter la démocratisation de son pays. La société japonaise s’ouvre alors à l’influence américano-occidentale. Un mouvement qu’Akihito accompagne volontiers, heureux d’échapper au carcan de la tradition. Mais ce souffle de liberté amène le jeune héritier à faire face à la lourde tâche de succéder à son père, à porter le fardeau de la défaite et des crimes de l’armée impériale. D’Okinawa au Pays-Bas, le futur empereur emporte son bâton d’émissaire de la paix et entame la difficile restauration de l’image de son pays. Celui qui n’a jamais connu une vie de simple homme devient le symbole de la renaissance nationale et de l’unité retrouvée.

PlancheS 77319 Critique du manga L'Histoire de l'Empereur Akihito : l’empereur qui voulait être un homme

L’Histoire de l’Empereur Akihito, un récit sous forme d’introspection

Ce manga débute par la fin de l’histoire. En 2019, l’empereur Akihito après avoir sondé la population japonaise annonce son abdication. Cette décision forte symbolise le caractère de celui qui a régné 30 ans. Moderne, iconoclaste, Akihito malmène les traditions. Tout le manga va donc s’intéresser à travers le récit de sa vie à dessiner le caractère de cet empereur. Et ainsi d’expliquer une décision en adéquation avec le parcours de ce personnage. Vie privée, mariage, ouverture sur l’étranger, tout dans sa vie conduit à de délicates transgressions. Elles sont autant d’audaces modernes reflétant l’évolution du Japon. Elles symbolisent ainsi un homme en rupture avec l’image de son père : plus proche du peuple, ouvert à l’étranger, profondément pacifiste.

Etre empereur du Japon nous est dès lors présenté dans toute sa complexité. L’homme n’existe pas. Il est le véhicule d’une fonction qui jusqu’en 1945 est religieuse, mystique et politique. Il est certes tout puissant mais il est seul, isolé. La cour, le protocole agissent autant comme marque de respect que comme les barreaux d’une prison invisible. Le manga questionne aussi très tôt la notion de la responsabilité du père dans la guerre de 1937-1945. Une scène aux lendemains du bombardement atomique illustre toute l’ambiguïté de la figure impériale. Intouchable, toute action en son nom est sacrée. Inaccessible, il laisse aux militaires qui l’entourent toute latitude pour agir en son nom. Divin, il n’en est pas moins responsable de tous les actes commis en son nom. C’est conscient des manquements de son père qu’Akihito aborde avec un regard neuf les défis de son temps.

Une double histoire du Japon

Avec Hidetaka Shiba spécialiste de l’histoire des empereurs au Japon comme superviseur, le manga propose aux lecteurs de suivre 80 ans d’histoire japonaise. Celle-ci se décompose en deux grands arcs narratifs entremêlés. Le premier (le plus connu du grand public) rappelle l’évolution des rapports entre le Japon et le monde. Le jeune empereur agit comme observateur de la dérive militariste de son pays. Avec justesse, il suit le grand conflit d’Asie-Pacifique avec son cortège d’exactions, de crimes. Les cicatrices des bombardements se rappellent à lui dans des planches fortes décrivant son retour à Tokyo. L’ouvrage insiste aussi sur le douloureux travail de mémoire et d’excuses mené par le jeune prince. Ses visites diplomatiques aux E.U.A ou au Pays-Bas sont l’occasion d’une difficile confrontation avec le réel. Comme le furent ses nombreuses visites à Okinawa.

Le second arc questionne l’histoire intérieure du Japon. En effet, pendant toute la décennie des années 1960, des mouvements d’extrême gauche secouent le pays. Elles visent entre autres l’institution impériale qui est sévèrement mise à mal. L’Histoire de l’Empereur Akihito met aussi en lumière l’impact de l’occupation américaine. Entre démocratisation, jugement des criminels de guerre et rétrocession des îles Ryu Kyu, le futur empereur questionne sans cesse cette relation. Le manga insiste enfin sur les tragédies qui n’ont pas cessé d’accompagné le prince devenu empereur : tremblement de terre de Kobé, tsunami de 2011. Malgré les drames, l’homme poursuit inlassablement ses voyages auprès de son peuple animé de la même compassion pour autrui.

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Histoire de l’Empereur Akihito : l’éloge de la simplicité

Introspectif et historique, ce manga propose une double narration. Afin de les faire cohabiter élégamment, le dessinateur Furuya adopte un double style s’appuyant sur un découpage simple et des cases très grandes. Il se concentre d’abord sur les individus et la profondeur de leurs questionnements. Les pages laissent la part belle aux visages pour mettre en scène les émotions. Elle accompagnent avec grâce ce récit personnel afin de révéler l’homme derrière la posture impériale.

D’autre part, il adopte pour de nombreuses planches un style réaliste. Celles-ci telles des estampes vont décrire la guerre (Pearl Harbor, la fin du Yamato) en s’inspirant de clichés célèbres. D’autres s’intéressent aux paysages : palais impérial, ville en ruine, Okinawa, Londres. Tandis que les figures historiques  du temps -la reine Elizabeth II, le président Eisenhower, les habitants – défilent devant les lecteurs. L’artiste conçoit ainsi une grande fresque historique, en arrière-plan du récit personnel. Akihito apparaît alors comme une pierre essayant tout autant d’accompagner le cours de l’histoire que de l’infléchir.

Les éditions Vega-Dupuis inaugurent avec éclat leur collection Manga-Histoire par la parution de cette Histoire de l’Empereur Akihito. Biographie documentée, récit personnel, plongée sans concession dans le siècle des extrêmes, ce volume permet de découvrir une figure attachante, moderne qui a su faire passer l’Homme avant l’Empereur.