Rewind : Redécouvrez « Eternal Sunshine of the Spotless Mind » sur Netflix

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Il y a 16 ans déjà, l’intemporel Eternal Sunshine of the Spotless Mind sortait sur le grand écran. Oeuvre majeure de Michel Gondry, avec un casting cinq étoiles (Jim Carrey, Kate Winslet, Kirsten Dunst, Mark Ruffalo, Elijah Wood) et un scénario original, le film n’a pourtant pas pris une ride, et nous transporte toujours avec autant de plaisir dans les souvenirs de Joel Barish, à la recherche du temps perdu et de son amour évanoui. Dans cette autopsie aussi précise que fantastique d’une histoire d’amour incertaine, Gondry nous livre sa vision des souvenirs, de l’innocence et du savoir, du sentiment qui nous rapproche irrémédiablement l’un à l’autre. Retour sur l’un des plus beaux films des années 2000, à découvrir ou redécouvrir dès maintenant sur Netflix.

Joel Barish et Clementine Kruczynski vivent une histoire d’amour tumultueuse, dans laquelle les deux ne semblent plus être heureux. Quand Joel découvre que Clementine a effacé toute leur relation de sa mémoire, il décide de faire de même en se rendant chez Lacuna, le cabinet qui propose un procédé nouveau pour supprimer toute une partie du passé du patient. Nous voici ainsi plongés dans les souvenirs de plus en plus flous d’une histoire d’amour passionnée entre deux êtres que tout semblait opposer, mais qui pourtant s’attirent irrémédiablement. Le gentil Joel va ainsi remonter le temps souvenir par souvenir, tandis que les scientifiques de Lacuna passent eux aussi une nuit mouvementée.

Complexe dans sa structure et riche dans ses émotions, Eternal Sunshine of the Spotless Mind interroge l’importance du passé et des souvenirs, aussi douloureux soient-ils, face à une innocence bien souvent idéalisée. Dans un film d’anticipation tendre et toujours très juste, angoissant comme imprévisible, Gondry livre une vision du monde universelle, à travers seulement quelques personnages aussi forts les uns que les autres.

Jim Carrey efface ses souvenirs

La science des souvenirs

« Un jour je me souviendrai dans la scène, je m’y perdrai au passé«  écrivait Roland Barthes dans ses Fragments d’un discours amoureux. Dans le monde d’Eternal Sunshine, les souvenirs s’effacent comme les pages d’un carnet intime qui s’arrachent, et Joel se perd avec nous pour la dernière fois au passé.

Eternal Sunshine of the Spotless Mind déploie dès les premiers instants une construction décousue, complexe mais pour autant très riche. Obscur au premier abord, le film alterne entre passé et présent, souvenirs modifiés et souvenirs effacés, pour nous perdre toujours plus dans les méandres des sentiments de Joel ; mais au fur et à mesure des visionnages, les morceaux s’assemblent tous, et le film se savoure de plus en plus et se découvre dans chacun de ses détails. Telle une recherche du temps perdu, Joel retourne dans ses souvenirs et, dans des tentatives désespérées, essaie de sauver ce qu’il reste, pour finalement continuer à se souvenir, continuer à aimer. Les fragments de souvenirs s’amassent ainsi comme des grains de sable, pour former une grande plage sur laquelle les deux amants ne cessent de se retrouver.

Et cette plage de souvenirs ainsi présentée nous amène à nous poser plusieurs questions : à quoi tiennent les souvenirs ? Aux objets qui sont présentés un à un à Joel pendant la cartographie de son cerveau ? Aux mots échangés avec Clementine ? Et les sentiments éprouvés ne tiennent-ils qu’aux souvenirs ? Ou encore une fois aux mots et aux objets ? Une usurpation serait donc dans cette théorie possible, et pourtant Patrick, l’un des employés de Lacuna, montre bien que l’usurpation par les mots et les objets ne suffit pas. L’alchimie entre Joel et Clementine est bien un sentiment à part, incontrôlable et inégalable, qui rien ne pourra effacer.

Les voyages dans le temps ont toujours fasciné les cinéastes ; Eternal Sunshine of the Spotless Mind raconte une espèce de voyage dans le temps hors du temps, le voyage le plus humain qui soit, celui de l’homme à travers ses propres souvenirs qui tente de rattraper le temps, comme le thème musical de Jon Brion dont le fond se joue à l’envers.

Joel et Clementine

Autopsie d’une histoire d’amour

Dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Michel Gondry décortique avec tendresse, analyse les ressorts des souvenirs, des sentiments, de l’amour, de la lassitude qui s’installe,  de la rupture, de la peur, du deuil de l’autre parti pour toujours.

On pourrait ainsi voir dans l’histoire de Joel les différentes étapes du deuil de sa relation avec Clementine : le déni, le refus d’admettre que Lacuna puisse exister ; la colère contre Clementine ; le marchandage, à travers la tentative de faire s’échapper le souvenir de l’être aimé dans d’autres souvenirs ; la dépression, le sentiment que tout s’écroule tels les différents décors ; et enfin l’acceptation, qui permet de trouver la clé : rendez-vous à Montauk. Ce parcours de Joel se confronte à la chronologie inversée des souvenirs rembobinés, dans une double lecture du film. On suit ainsi à travers le seul point de vue du personnage le parcours de deux êtres fragiles à leur manière, prêts à se briser à chaque instant telle la fine couche du glace du lac gelée, qui leur permet pourtant de se retrouver dans le plus beau des instants. Pour jouer ce Joel à la perfection, Jim Carrey méconnaissable troque ses grimaces contre des sourires timides, et ainsi s’efface le comédien au profit de son personnage, plus crédible et touchant que jamais.

Si l’on devait dégager une seule émotion, un sentiment plus fort que les autres et omniprésent, ce serait sûrement l’angoisse : l’angoisse de l’abandon, de la disparition. Cette angoisse se décline paradoxalement de deux manières : d’un côté l’angoisse d’effacer quelque chose qui disparaîtra ainsi à tout jamais, pour ne plus pouvoir se reproduire de la même manière. De l’autre, l’angoisse de se remémorer ces moments, ces souvenirs, en sachant qu’ils ne pourront encore une fois plus jamais avoir lieu. L’angoisse du passé à jamais perdu, qu’il soit effacé ou non. La peur du temps qui passe, et qui emporte tout sur son passage, qui installe la lassitude et fait ressortir les ressentiments, exacerbe les défauts.

Ces angoisses et ces peurs, Lacuna prétend les guérir en effaçant tout, en formatant l’esprit, comme si les souvenirs n’étaient que des données matérielles uniquement utilisées par les sentiments négatifs. Ainsi Eternal Sunshine of the Spotless Mind se positionne dans ses premiers instants comme une ode à l’innocence, pour les êtres perdus en quête de guérison.

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L’innocence retrouvée

Alexander Pope, poète anglais du XVIIème siècle, écrit ses quelques lignes qui donneront son titre au film, à travers la citation de Mary, l’assistante du docteur inventeur de Lacuna :

« How happy is the blameless Vestal’s lot!
The world forgetting, by the world forgot;
Eternal sunshine of the spotless mind!
Each pray’r accepted, and each wish resign’d.« 

« Eternal sunshine of the spotless mind« , que l’on pourrait traduire ici par « L’éclat éternel de l’esprit immaculée » résonne comme une ode à l’innocence, une sublimation de l’être qui ignore les maux du monde, qui se préserve de la souffrance en supprimant le mauvais et qui trouve la sérénité et le bonheur dans la candeur. C’est la promesse de Lacuna : effacer la souffrance pour laisser l’esprit comme immaculé de toute peur et tristesse, supprimer les peines amoureuses, les décès, les souvenirs douloureux. Et quelle promesse incroyable pour l’être humain que d’effacer la souffrance qui détruit et enterre l’esprit ! Michel Gondry traduit l’innocence à l’image à travers une multitude de détails et de bricolage dont lui seul à le secret : au fur et à mesure que les souvenirs s’effacent, les livres deviennent des pages blanches, les décors s’écroulent, et au fur et à mesure que Joel s’échappe, les objets et les matières se transposent de souvenirs en souvenirs.

Puis intervient la déconstruction de cette innocence, la désillusion qui remet en place toute l’importance du souvenir. C’est alors que tous les personnages secondaires trouvent leur place, dans des rôles clés qui enrichissent la lecture de l’histoire de Joel et Clementine. L’idéaliste Dr Howard, l’innocente Mary, le sceptique Stan et l’inexpérimenté Patrick portent chacun leur propre vision du souvenir et de la mémoire, et chacun incarne une forme de contestation de cette innocence. Car comment évoluer, grandir, apprendre, si tous les éléments difficiles sont effacés ? Supprimer les souvenirs ne revient-il pas à faire se répéter les évènements indéfiniment, dans une sorte de fatalisme qui attire les êtres humains à reproduire inlassablement les mêmes actions, en espérant secrètement des résultats différents ?

Lacuna Inc

Ainsi l’éclat éternel de l’esprit immaculé est vite assombri par la neige et la pluie qui s’abattent dans la tête de Joel tout au long de ce voyage vers l’oubli, comme un avertissement vers des jours plus sombres et brumeux. Le savoir et le mensonge reprennent irrémédiablement leur place dans le quotidien, le mirage s’effondre. Et pourtant, comme les plans qui ne cessent de séparer et de rejoindre Joel et Clementine, les deux être voués à se retrouver à tout jamais bravent la tempête dans un dénouement plein d’espoir ; l’ode à l’innocence se transforme en une ode au bonheur, car se perdre au passé apporte une nostalgie douce et essentielle, qui transcende les chagrins.

Voyage incroyable au coeur d’une tempête sous un crâne, Eternal Sunshine of the Spotless Mind brille par sa justesse, son audace, l’originalité de son traitement et la prestation de ses acteurs. Un chef d’oeuvre dont on ne se lasse pas, et qui nous emporte à chaque fois volontiers dans l’univers fantastique de Michel Gondry, à découvrir ou redécouvrir dès maintenant sur Netflix.