Samhain : Interview de la réalisatrice Kate Dolan

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A l’occasion de la sortie de son premier long métrage Samhain – aux origines d’Halloween, nous avons discuté avec la réalisatrice Kate Dolan sur son film qui retravaille les limites de son genre, avec en toile de fond l’héritage du folklore irlandais, ainsi que la famille, ses drames et ses secrets.

 

Fête religieuse aux origines celtiques, Samain marque le passage de la saison estivale à l’hiver, dont la célébration atteint son acmé le 1er novembre, faisant écho à notre fête d’Halloween. Mais loin des médiocres déguisements de fantômes et des innocentes tournées de bonbons, Samhain nous raconte l’histoire de Charlotte, jeune adolescente vivant dans la banlieue irlandaise avec sa grand-mère et sa mère, Rita et Angela Delaney. Cette dernière, aux prises avec la dépression, change radicalement d’attitude après avoir disparu une journée complète sans aucune explication. Mais alors que Charlotte s’interroge sur ce changement soudain, le comportement de sa génitrice devient de plus en plus inquiétant.

 

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Hazel Doupe (Char)

 

Pour ce premier long métrage, Samhain (You’re not my mother de son titre originale) se veut être un film d’horreur aux allures de thriller psychologique et de coming-of-age movie. « C’était tout l’enjeu du film, de rester dans le cadre de l’horreur et d’amener tous ces éléments sans qu’on s’y perde. C’était assez délicat [rire]. » Et malgré l’ambiance horrifique du film, c’est bien ce mélange des genres maîtrisé qui en fait tout le charme. Ainsi, les paysages moroses et réconfortants de l’Irlande servent de décor au destin de Charlotte, témoins de sa solitude et de ses relations compliquées avec ses camarades, mais surtout du démantèlement de sa famille.

Perçue comme la famille étrange du quartier, le film dépeint la place que la maladie mentale prend dans le foyer de Charlotte, et son impact sur les liens qu’entretiennent ses membres. « Lorsque vous êtes jeune et que votre famille est confrontée aux maladies mentales, il est difficile de mener sa vie sans en être affecté, donc vous vous construisez sur ces bases un peu malgré vous. À titre personnelle, la vie à la maison était loin d’être parfaite, et d’une certaine façon, j’ai essayé de me créer ma propre petite famille hors du cadre domestique. »

L’enjeu s’avère d’autant plus compliqué pour Charlotte qui, ayant grandi dans un cadre spirituel très affirmé, est imprégnée de ces mythes et légendes qui semblent façonner son destin, mais dont les croyances sont mises à rude épreuve. Alors même que son héritage folkorique tend à s’imposer, Charlotte verra ses certitudes bousculées (« je ne sais plus vraiment ce que je dois croire »), et ce malgré la prédominance émanant du cadre matriarcal. « Les trois générations de femmes du film sont une métaphore de la société irlandaise. C’est un alliage complexe entre la pensée magique de la grand-mère et la croyance en d’autres mondes, avec en toile de fond l’influence du catholicisme. J’ai aussi voulu que ces femmes représentent nos rapports aux traumatismes. La grand-mère est dans un état d’esprit où on ne doit pas parler des choses douloureuses et des secrets. La mère, elle, est plutôt du genre à dire “je ne pense pas que je suis capable de supporter le poids de tout ça”. Alors que Charlotte, qui est assez proche de ma génération, est plutôt dans la volonté de faire jaillir les secrets de l’obscurité et de faire face à ce qui a été mis sous le tapis. »

 

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Carolyn Bracken (Angela Delaney)

 

Dans un contexte de fête où les monstres sont de sortie, Samhain raconte alors la lutte de Charlotte et de sa famille contre leurs propres démons. Et bien qu’elle soit mise en garde contre les créatures démoniaques contre lequel il faut se protéger coûte que coûte, sa mère incarne rapidement la noirceur contre laquelle elle doit se battre, même si cela implique de lourds sacrifices. « Pour moi, la mort d’Angela représente le moyen pour sa fille de se libérer de ses traumatismes. Le feu de joie incarne son ultime décision : laisser cette noirceur la consumer, ou tout recommencer à zéro. Pour Charlotte, c’est une façon de dire à sa mère qu’elle veut mener une vie différente de la sienne, tout en sachant qu’elles doivent rester vigilantes et se protéger des monstres. » En outre, il faut tuer la mère pour s’affranchir de son ombre.

 

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Hazel Doupe (Char)

 

Finalement, Samhain nous apparaît comme un conte sur la quête d’identité et sur comment se (re)construire après une tragédie. Comme deux phénomènes concomitants, Angela voit son corps et son esprit se transformer au rythme de l’évolution de sa fille. « Quand vous luttez contre la maladie mentale, vous êtes presque obligé de toucher le fond pour remonter, et on le voit avec la mère et son passé qui est le plus destructeur de cette famille. D’une certaine manière, c’est comme si elle avait besoin de passer par l’autodestruction pour renaître de ses cendres [rire]. » De l’autre côté du miroir, si Charlotte a du mal à savoir qui elle est vraiment, elle parvient à se trouver en prenant le risque de perdre sa mère à jamais, et ce au nom de sa propre liberté. « Je pense que c’est le dessein même de l’adolescence, d’arriver à se construire une base solide saine. Même si vous essayez de vous réinventer en dehors de votre famille, vous ne pouvez jamais vraiment vous y détacher, le seul moyen étant d’embrasser cette vérité et d’apprendre à vivre avec. »

 

Samhain – aux origines d’Halloween (You’re Not My Mother) est à découvrir dès aujourd’hui en salle de cinéma.