Salamandre ou le voyage en absurdie

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I.N.J. Culbard, dessinateur célébré dans Everything, est dans Salamandre seul au commande d’un vaisseau décrivant un pays étrange et envoûtant, Obélisque. Mais, en lisant notre chronique, vous découvrirez que ce pays est plus réel qu’on ne pourrait le croire…

Un enfant perdu

Le père de Salamandre

Salamandre suit le jeune Kasper Salamandre dans une famille aux nombreuses tensions. Cet équilibre fragile s’effondre à la suite de la brusque disparition du père de famille. Salamandre alors décrit les différentes réactions ou étapes du deuil. Kasper espère le retour de son père. Sans recours, sa mère fait appel au grand-père mais c’est un original. En effet, Salamandre nous présente une famille de créateurs. Si le fils Kasper dessine des aventures comme Culbard, la mère peint. Cependant, Kasper ne dessine plus depuis la mort de son père. Il a perdu son sourire et le livre va suivre sa transformation.

Salamandre est le touchant portrait d’un enfant. Kasper découvre un nouveau pays tout en expérimentant une douleur et une gravité nouvelles. Il va chercher à profiter des opportunité du pays pour oublier mais son attitude maladroite met alors en danger sa famille.

Une biographie imaginaire

En allant chez son grand-père, Kasper découvre un autre monde. Salamandre est une bd géographique. Le père est un explorateur des grands fonds dans un pays où la topographie est absurde : le mont Charlemagne, la tranchée de cadeaux… Un voile de fer sépare hermétiquement l’île principale en deux. Salamandre nous plonge dans un monde imaginaire aux nombreux mystères. En prenant le train Kasper rencontre un homme rondouillard tout de noir vêtu qui peut faire fléchir des douaniers. Comme dans une chasse au trésor, il part à la recherche de tableaux volés pendant la Seconde Grande Guerre.

Paradoxalement, Salamandre est une autobiographie très symbolique. En effet, Salamandre s’inspire de l’histoire personnelle de Culbard, de ses voyages entre l’Angleterre et la Pologne. Tous les détails absurdes qui parsèment le récit peuvent en fait être ses souvenirs d’enfance. Les portraits du dictateur dans le salon montrent le culte de la personnalité du général Jaruzelski. Pourtant, des artistes révolutionnaires continuent en secret à créer.

Si la police espionne partout, la corruption et la débrouillent offrent un espace de liberté dans un pays où tout est interdit. Culbard pousse l’absurdité de cette vie au maximum.

Des dessins et une édition exceptionnels
Le grand-père dans Salamandre

Derrière une mise en page très sage, très franco-belge, I.N.J. Culbard multiplie les inventions. L’enfant croit sa famille d’Obelisque devenir folle en dansant en silence mais les notes apparaissent sur la case quand il comprend les motifs de cette silencieuse célébration. En une case, on passe du réel à l’imaginaire. Malgré le thème du deuil, on évite le banal noir. Au contraire, il y a de très beaux contrastes et une grande diversité selon les pages. Dans la nuit, les yeux jaunes des chats symbolisent l’omniprésence de la police politique.

A nouveau, on ne peut que saluer le travail de l’éditeur 404 comics. L’écrin pour Salamandre est superbe. La couverture granuleuse imite la forme et la texture des albums photos. L’auteur et le titre sont en creux. Cette profusion florale se poursuit à l’intérieur du livre, avant qu’une carte présente ce monde imaginaire. Le lecteur est plongé dans le récit en quelques secondes. Après la dernière page, il reste accroché par les croquis sur les personnages et les couvertures.

Salamandre est un récit à clés aussi facile à lire en surface que d’une redoutable densité en profondeur. D’un côté, on est plongé dans un monde étrange et souvent absurde. Progressivement, le lecteur pense trouver les clés du récit. C’est Kasper qui n’arrivait pas à interpréter la réalité à cause de sa solitude. Culbard nous désarçonne une dernière fois, faisant basculer Salamandre dans le conte. D’un autre côté, l’auteur dessine un portrait de la Pologne de son enfance.

Retrouvez les chroniques sur deux tomes d’Invisible Kingdom venus de la même collection Berger Books.