Après la ressortie des quatre tomes du journal, les éditions Delcourt proposent la suite de l’ambitieux projet de Fabrice Neaud. Découvrez avec Le dernier sergent comment la vie privée et publique d’un homme est bouleversée par son orientation sexuelle.
Le projet d’une vie
Le dernier sergent est à la fois un récit complet et la chaîne d’un vaste projet : Esthétique des Brutes. En effet, depuis 1994, Fabrice Neaud écrit son journal en bande dessinée où il fait un recensement exhaustif de sa vie. Cette exigence de vérité pousse l’auteur à préciser quand il rajoute un invité à une soirée. Pour réaliser ce projet très intime, Fabrice Neaud réalise à la fois le scénario et les dessins. Le dernier sergent prend la suite du cycle précédent et décrit une année ponctuée de disparitions et de tensions familiales. Dans les tomes précédents, Fabrice Neaud, est un adolescent en manque d’argent et en recherche artistique. Dans les premières pages du Dernier sergent, Fabrice termine le tome trois du Journal et sort un peu de la précarité économique mais sa vie personnelle reste précaire.
Fabrice Neaud ne se met pas en valeur. En effet, le personnage principal semble méprisant et hautain quand il s’énerve qu’un ami ait brisé le principe d’indétermination d’Heisenberg. Il n’est pas beau et manque souvent de détermination. Il glisse, au gré des évènements et de ses désirs, sans réussir à se prendre en main. Souvent seul, il vit dans une profonde dépression. Sans permis de conduire, il ne peut élargir son cercle de rencontres. Quand le narrateur trouve l’amour, la relation ne dure pas. Il fantasme sur un type précis d’hommes, mais ces rêves ne sont qu’une illusion. Il aime les brutes n’assumant pas leur homosexualité. Hélas, la douleur de la rupture est bien réelle. Le dernier sergent montre l’échec amoureux et les effets de la rupture. Fabrice semble, inconsciemment ,tout faire pour échouer en amour et rechercher la douleur. Ses séparations sont également un moyen de réfléchir sur le couple. Cherche-t-il l’autre ou juste une béquille pour pallier sa dépression ? On a parfois envie de lui offrir des séances de psy. Cependant on rentre dans son univers et on s’attache à cet homme sensible.
Le récit d’un homo
Plus qu’une simple autobiographie, Le dernier sergent fait avancer la bande dessinée. Ce portrait d’un homosexuel dans les années 1990 est également un regard sur la société et le récit d’une exclusion. Fabrice Neaud multiplie les références aux autres formes d’art : la peinture, la littérature, la musique et la philosophie… Il questionne sa place d’observateur voire de voyeur. Avec le succès critique, l’auteur questionne son engagement politique. En devenant auteur, n’accède-t-il pas à une classe privilégiée ? Le dernier sergent livre sa méthode autant que son intimité. Fabrice regarde sa méthode et se regarde écrire.
Dans Le dernier sergent, le style du dessinateur peut sembler aride. Tout est fait au feutre noir (ou à l’encre de Chine). La mise en page et le style réaliste apparaissent classiques. Cependant, ce jansénisme est un message : Fabrice Néaud vous ouvre son âme sans fioriture et les formes brutes montrent le mal-être du narrateur.
Depuis le vote du PACS puis du mariage pour tous, on pourrait croire que l’égalité et la tolérance sont devenues la norme. Le dernier sergent est un cinglant rappel que ce n’est pas le cas. Si les échecs amoureux sont universels, l’auteur montre bien le poids du secret dans les relations homosexuelles. D’emblée, Neaud saisit le lecteur en montrant la peur du SIDA. Didier Lestrade, cofondateur d’Act Up le souligne en introduction. Son livre est aussi sulfureux en révélant un sexualité extérieure, furtive et interdite. Dans Le dernier sergent, Fabrice n’est pas un militant pour les droits homosexuels22 mais sa vie est la preuve que le combat est nécessaire.
Titré Les guerres immobiles, ce premier tome du Le dernier sergent ouvre avec un immense talent un nouveau cycle accessible à un nouveau lectorat. Ce véritable roman graphique impressionne par la masse de pages, les petites cases, le texte dense et la structure éclatée. Le dernier sergent mêle l’intime et le global comme le prouvent deux pages où Fabrice Néaud met en parallèle les drames familiaux et le contexte global des années 1990.
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