Le retour de Lagaffe : le retour du roi

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lagaffe le retour
dernier album de lagaffe

En 2022,  les éditions Dupuis font  une déclaration surprenante en annonçant la sortie d’un 22ème album des aventures de Gaston Lagaffe, à l’occaion du festival de la Bande Dessinée d’Angoulême. C’est au dessinateur Delaf qu’a été confié ce projet hautement risqué. En effet, André Franquin, le père du célèbre gaffeur est décédé depuis 1997. Et depuis cette triste date, les éditions ont réédité sa célèbre série en ajoutant des inédits. Mais jamais l’éditeur n’a osé proposer une suite (comme cela est arrivé pour l’autre série phare de la maison, Spirou et Fantasio). Et à la lecture de cet album, le constat est sans appel : c’est un vrai bonheur.

Gaston Lagaffe n’a pas pris une ride

Cet album est d’abord un pari artistique totalement réussi. Delaf a su reprendre le dessin de Franquin. Les personnages sont ressemblants à un tel point que l’on croit avoir sous les yeux des originaux de Franquin. Le trait est assuré, le rythme est parfaitement dosé, les chutes finales, les jeux de mots toujours percutants. Le dessinateur québécois a effectué une analyse en profondeur de l’esprit Franquin pour se glisser dans ses souliers et faire honneur à cette œuvre culte.

Le lecteur retrouve avec bonheur tout l’univers de Gaston. Prunelle, Fantasio, ses souffre-douleurs favoris, ses collègues de travail, ses compagnons de gaffe, le pauvre Longtarin, les voisins… Tout cet univers se retrouve dans un album qui, dans sa première partie, accumule les gags à la fois très référencés et tout à fait nouveaux. Delaf trouve ainsi un parfait équilibre entre le passé (les recettes, la voiture de Lagaffe, le Gaffophone) et le présent (les téléphones portables par exemple).

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C’est plus que de la Nostalgie

Dans cet album, l’auteur fait évidemment référence aux 21 albums précédents. L’univers n’a pas pris une ride à commencer par cet étonnant bureau où l’on se demande comment tout tient encore debout. L’amoureuse de Gaston est toujours aussi douce, patiente, avec cet énergumène qui la calcule sans réellement la calculer (voir le gag sur le pique-nique). La super-balle, la super-colle, les appeaux, la ménagerie interviennent régulièrement pour pimenter une journée presque ordinaire.

Mais Delaf se sert de ce passé prestigieux pour oser de subtils changements. Il y a d’abord, en plein album, l’arrivée de Fantasio de retour d’une de ses aventures. Un clin d’œil à l’univers étendu inventé en son temps par Franquin. Il y a surtout le personnage du psychiatre, oreille compatissante qui le temps d’une case, vient remercier son principal fournisseur de clients.

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Le retour de Lagaffe : une seconde partie originale

Delaf a construit son album en deux temps. Le premier reprend le style des albums de Franquin : une page/demi-page pour un gag. La seconde en revanche enchaîne certes les gags mais au sein d’une histoire qui se suit. Entorse intelligente qui donne toute sa saveur à cette B.D. Delaf modifie la matériau originel sans le trahir. Il impose sa patte tout en restant dans l’ombre du créateur de Franquin.

Cette démarche s’inscrit dans un discours « méta » qui irrigue tout l’album. D’abord, Lagaffe fait plusieurs fois références aux héros, super-héros et se pose la question de son identité : dans quel camp est-il, lui qui fait échouer tous les contrats avec De Mesmaeker et manque de provoquer la ruine de la maison Dupuis ? Il y a ensuite le personnage du dessinateur dont les croquis sont constamment rejetés. Il est en réalité le miroir de Delaf : celui qui a osé prendre la suite de Franquin, celui qui va s’exposer à la colère des puristes.

Nous ne pouvons que vous conseiller de dévorer ce 22ème album de Gaston Lagaffe, magnifiquement dessiné et écrit. Il montre que la nostalgie, utilisée à bon escient peut accoucher de vraies réussites.

Si vous êtes curieux de lire d’autres titres de la maison Dupuis, nous vous conseillons de lire notre critique du ministère secret de Joann Sfar et Mathieu Sapin.