Au nom de la République, critique du tome n° 1 : les ombres du 13 novembre

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Les éditions Soleil publient à la fin du printemps le premier tome d’Au nom de la République, une nouvelle série d’espionnage, action sur fond de réflexion géopolitique. Scénarisé par Jean Claude Bartoll, cet album bénéficie des illustrations de Gabriel Guzman et du coloriage de Silvia Fabris. Sans renouveler un genre très fourni (voir l’excellente série Compte à rebours), ce début reste prometteur porté par un dessin énergique.

Les hommes du président

C’est par la presse que le public français apprend en 2018 que les commanditaires des attentats du 13 novembre 2015 à Paris auraient été ciblés par la France. Les auteurs de ces attaques sont les membres d’une unité secrète des forces spéciales (les cellules alpha dans la vie réelle) opérant sur toute la planète. Ils ne relèvent que du président, opèrent sous couverture et une poignée de personnes haut placées connaissent leur vraie identité.

Leur nouvelle mission les emmène sur les traces du dernier responsable des attaques du 13 novembre, un obscur planificateur qui a pu fuir Raqqa et disparaître. Jusqu’à ce qu’il soit repéré à Istanbul entrain d’acheter des armements. Les membres de l’unité sont dépêchés sur place mais l’opération dérape. Le Renard, un agent d’élite des service secrets décide de le traquer de la Turquie au Maroc bien décidé à l’interpeller et à stopper ses futures attaques.

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Au nom de la République : le bureau des légendes

Ce premier album plonge le lecteur directement dans le monde de l’anti-terrorisme. Les nouvelles technologies (drones, espionnage des télécommunications) cohabitent avec les techniques anciennes. Il faut en effet observer, noter les déplacements, infiltrer. Aucune erreur n’est possible. Le moindre relâchement dans la filature et vous vous retrouvez avec des suspects dangereux en liberté dans nos métropoles. L’auteur insiste énormément sur le croisement constant des données. Les services ne manquent pas d’informations. Au contraire, l’enjeu c’est de sélectionner l’indice adéquat, de capter le bon signal.

Entre les terroristes et les agents, tout se joue au niveau du travestissement. Il faut en effet être mobile, ne jamais trahir sa fausse identité. Les deux camps profitent de l’extrême porosité des frontières européennes pour se glisser entre les mailles du filet. Ainsi, dans la pure tradition de la série Le Bureau des légendes, chaque camp joue la carte de dissimulation tentant d’infiltrer le groupe adverse. Les deux utilisent à ce titre le monde du crime pour faire avancer leurs pions. Avec une difficulté majeure pour les services de renseignement : le respect de la loi malgré l’urgence de la situation.

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Un côté 24 heures chrono

Le dessin de Au nom de la République s’inspire énormément de la série 24 heures chrono. Il présente en effet des scènes réalistes insistant sur l’importance des nouvelles technologies. Elles deviennent de vraies actrices de la narration offrant même avec les drones des anticipations glaçantes des menaces à venir. Gabriel Guzman offre également de très belles scènes d’action alternant des plans larges avec des cadres plus serrés. Ce qui dynamise un scénario qui multiplie volontairement les personnages et les points de vue.

L’histoire quant à elle est à la fois très prenante et déstabilisante. Les 3/4 de ce premier album se dévorent en effet d’une traite. S’il n’y a rien de révolutionnaire (les passeurs, les mafias, les faux passeports), l’action se suit facilement au rythme des changements de pays. Elle commence dès la première page et emprunte des chemins tortueux à souhait. L’exposition se déploie au gré des chemins suivis par l’enquête. Ce qui surprend en revanche c’est qu’à deux moments (le métro et l’action des forces spéciales), la narration connaît des raccourcis très brutaux qui laissent l’impression qu’un événement manque. Comme si le scénariste contraint par le temps s’était résigné à des coupes sauvages.

République

Cet enfer nommé Raqqa

Ce petit défaut de la narration est rattrapé par le sous-texte de ce premier volume. Au nom de la république ne se contente pas de raconter une course poursuite, il dépeint en substrat l’horreur du prétendu califat de l’E.I.L. Massacres, tortures, viols, tout est évoqué dans une réalité très abrupte. Le pseudo idéalisme des combattants est battu en brèche, déconstruit pour révéler la bassesses de leur entreprise. Il sert à dévoiler un cancer des esprits qui a infecté toutes les sociétés à commencer par celle des pays du Maghreb et du Moyen Orient.

Dans cette plongée au cœur des violences de l’Etat islamique, les auteurs ont tenu à décrire les parcours individuels de ces djihadistes. Il s’intéresse d’abord aux hommes. Comment de jeunes franco-marocains, parfois de bonne famille ont-ils pu devenir les bras armées de ce totalitarisme ? Quelques planches tentent de décrypter ce basculement où se croise misère sociale, bêtise humaine, lâcheté et endoctrinement. Cet album se penche aussi sur la question des femmes au travers de cette ancienne membre de la police islamique. Comment cette femme a-t-elle pu devenir le tortionnaire des membres de son propre sexe et défendre une idéologie prônant l’asservissement de la femme ?

Ce premier tome d’Au nom de la république est une introduction efficace à défaut d’être originale. Il pose les bases d’une série qui peut devenir un pilier du genre. Retrouvez sur notre site d’autres critiques BD