Quelques mois après le procès des attentats du 13-Novembre, le cinéma français s’empare de ce sujet hautement inflammable. Après la pudeur d’Alice Winocour dans Revoir Paris, place à la tension nerveuse de Cédric Jimenez pour Novembre. Comme à son habitude, le cinéaste fait fi de toute émotion et de toute subtilité au service d’un absolu : l’efficacité.
Novembre : un thriller tendu, mais dépolitisé à l’extrême
Depuis les remous suscités par Bac Nord, Cédric Jimenez s’apparente à un funambule sur sa ligne. Balloté au gré des polémiques, le cinéaste poursuit son chemin sur un chemin sinueux, dévouant son art à la sacro-sainte tension du polar nerveux, sous-genre qui l’a élevé au rang de réalisateur désormais attendu. Avec Novembre, film sur les attentats parisiens d’automne 2015, on peut reconnaître le caractère tête brulée de Jimenez, pas vraiment effrayé par ce qui semble être le sujet social le plus délicat en France depuis de nombreuses années. Dans ce thriller sans réel protagoniste principal, le spectateur s’immerge au sein de la brigade anti-terroriste ayant traqué les terroristes du 13-Novembre, jusqu’à la confrontation avec Abdelhamid Abaaoud dans un appartement de Saint-Denis, cinq jours plus tard. Une plongée fantasmée et toute en tension dans un moment où le cœur de Paris et de la France a cessé de battre.
Tous les ingrédients du cinéma de Cédric Jimenez sont présents. De la nature surarchétypal des protagonistes, à la redoutable efficacité de la mise en scène, le spectateur qui n’a pas raté La French ou Bac Nord ne sera pas en terrain inconnu. Pour autant, ce dernier est miné. Impossible pour le cinéaste d’aborder la question des attentats islamistes de manière trop frontale, n’osant montrer des images des terroristes en plein acte, ou même d’images de dégâts, de victimes, de souffrance. À travers la nervosité, son obsession paradigmatique de metteur en scène, Jimenez ne s’intéresse qu’à la fluidité du récit, éludant autant les témoignages sensibles que les situations les plus subversives.
Cachez cette humanité que je ne saurais voir
Cette question du point de vue distancé, qui sera qualifiée d’idoine par la plupart, notamment par les victimes elles-mêmes (d’ailleurs pas vraiment sollicités en amont, ni montrées dans l’œuvre), pose de nombreuses questions, autant éthique qu’artistique. Faut-il déjà traiter la question du 13-Novembre au cinéma ? Et dès lors, comment ? Dans les salles obscures, deux visions se confrontent en ce moment. Celle humaniste et pudique d’Alice Winocour dans Revoir Paris, traitant du traumatisme d’une femme (Virginie Efira) et d’un homme (Benoit Magimel) victimes de l’attaque des terrasses, et celle, quasi clinique de Cédric Jimenez.
Contrairement à son pendant féminin, le réalisateur marseillais joue la carte de la déshumanisation complète. Car peu ou prou rien ne caractérise les personnages de ce récit, comparables à des marionnettes dont les fils semblent être contrôlés par les forces du destin. Un choix fort (ou paresseux), traduisant l’obligation d’effacement des services de secours et d’enquête, propulsés « héros » symboliques du récit, pris dans un tourbillon infernal auquel ils n’auraient jamais cru devoir être confrontés. Mais c’est également un handicap pour l’histoire, rien ne nous attachant réellement à ses figures et intrinsèquement, à cette histoire, hormis par sa brutalité.
Des comédiens investis
Si questionner la moralité de l’œuvre n’est pas plus pertinent que le choix en lui-même du metteur en scène, la problématique de l’impact, elle, saute aux yeux. Parce qu’à vouloir dépolitiser à ce point un sujet aussi brûlant, à déposséder les corps de leurs âmes, le choc que devrait provoquer Novembre est largement amoindri. Tant est si bien que dans sa complaisante rectitude, Jimenez joue avec nos nerfs à coup d’artifices de montage, de mixage sonore favorisant le caractère immersif.
Sans jamais poser ne serait-ce que la moindre interrogation sociale à son spectateur, il nivelle son nouveau film, certes de bonne facture, à un divertissement bourrin assez prenant. C’est bien là la posture la plus inquiétante de son cinéma, car en se déresponsabilisant de tout engagement politique, Cédric Jimenez distille une dérangeante ambigüité qui met mal à l’aise.
Et ce, malgré toutes les qualités inhérentes à son style. Car Novembre reste, à l’instar de Bac Nord l’an passé, une montagne russe où les palpitations cardiaques se font ressentir plus d’une fois. Grâce à un art assez remarquable du séquençage, le cinéaste prouve de film en film sa capacité à construire des passages mémorables par leur technicité. Force est de constater que ce fameux dessein d’efficacité, tant loué par Jimenez, est encore une fois accompli. Nerveux de bout en bout, Novembre profite également de comédiens investis, Jean Dujardin et Anaïs Demoustier en tête, et d’un sentiment d’ampleur assez louable, notamment dans un cinéma français parfois retissent à lâcher la cavalerie. Un vrai divertissement donc, par un formaliste de talent.
Suffit-il d’effets pétaradants et d’une rythmique endiablée pour choquer ? C’est sur cette question rhétorique que nous laisse pantois Novembre, qui, en s’évertuant à effleurer son complexe sujet, se délaisse de toute ambition dramatique et politique. Entre des personnages dont on ne sait rien et un contexte dont on ne saisit pas l’horreur, difficile de ne serait-ce qu’envisager un regard cathartique sur l’une des pages les plus sombres de la France du XXIe siècle. Le grand film qui aiderait à panser les plaies béantes attendra.