L’écologie surnaturelle à Shadow Hills

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Le développement durable se place au cœur des politiques des villes mais pas à Shadow Hills où une épidémie de goudron bouleverse une petite ville.

Deux sœurs et une épidémie

L'étrange ouverture de Shadow Hills
L’étrange ouverture de Shadow Hills

Le début de Shadow Hills, écrit et dessiné par Sean Ford, peut surprendre. La page de crédits est absente, puis les premières pages montrent une scène étrange, puis le titre arrive comme un générique d’un film. Un ado erre dans un désert hagard et visiblement affamé. Il est proche d’atteindre Shadow Hills mais s’effondre. Plus tard, une fille arrive. Dana le relève et l’accueille dans la grange familiale. Cependant, elle ne peut communiquer que par des dessins car l’étranger ne parle pas. Sans transition, on arrive dans un premier chapitre réaliste où Anne décrit un souvenir traumatique : Anne a été séparée de sa sœur jumelle à la suite de la disparition mystérieuse de Dana. On ne l’a jamais retrouvée, mais ces recherches ont permis de découvrir un gisement d’hydrocarbure. Si la ferme familiale est sauvée économiquement, la famille est brisée tout comme celle des frères Will et Cal Fuller que l’on découvre dans le chapitre deux. Anne est restée dans la ville de Shadow Hills qui survit grâce aux gisements de pétrole mais elle continue à penser à sa sœur. En parallèle, les habitants sont touchés par une épidémie collante.

Progressivement, le lecteur comprend que Shadow Hills suit deux sœurs à des périodes différentes. Dans le passé, le carnet de détective de Dana décrit son enquête pour trouver l’identité de l’inconnu surnommé K. Dans ces pages, le naturalisme intime côtoie le surnaturel. Dana s’enfonce dans une grotte où le noir l’envahit. Au milieu du livre, une cause médicale pourrait expliquer ces pages étranges. Dans le présent, Anne observe l’épidémie foudroyante que subit sa ville. La totalité du corps des malades y compris leurs vêtement se recouvre rapidement d’une matière visqueuse les empêchant de respirer. Les médecins sont dépassés et l’épidémie s’étend. Les autorités nationales prennent des mesures pour en limiter l’extension. Même avant l’épidémie, la ville de Shadow Hills semble maudite car toutes les familles connaissent une histoire tragique.

Une ville rongée par le pétrole

Le dessin épuré dans Shadow Hills
Le dessin épuré dans Shadow Hills

En effet, le livre décrit également la vie d’une petite communauté. Tout le monde se connaît depuis l’enfance ce qui justifie le plan sur deux périodes. Les habitants s’entraident au lieu de créer des tensions. Les gens se retrouvent à certains endroits clés comme le café où travaille Anne. Le portrait de la ville n’est pas pour autant idyllique. Les jeunes s’ennuient et, pour se divertir, consomment et cultivent de la drogue. Shadow Hills semble sur le déclin car une partie des maisons d’un lotissement est inoccupée. La population se divise donc entre ceux qui partent, et ceux qui restent, mais semble condamné à dépérir. L’économie locale repose sur une unique activité : la fracturation hydraulique pour dégager les hydrocarbures. L’entreprise est dirigée par un ami d’enfance d’Anne, Will Fuller.

Cependant, cette activité est liée à l’épidémie. En effet, la maladie est la métaphore de la pollution par le pétrole. Les habitants étouffent de la pollution et, symboliquement, le problème est sous terre, au cœur de la ville. Le rapport à la nature est très présent mais sans analyse scientifique. Dana le comprend en prenant des champignons hallucinogènes. Cette partie peut dérouter comme la conclusion du récit.

Sean Ford adopte un trait simple, habituel dans les romans graphiques. Ce style proche de la ligne claire peut surprendre mais renforce le sentiment d’étrangeté par un paysage très épuré : une plaine dénudée autour d’arbres isolés pour la forêt. On retrouve ces codes dans la colorisation qui utilise une gamme très réduite et non réaliste. Le violet, le bleu clair et le jaune dominent donnant au livre un ton dépressif.

Édité par Delcourt Shadow Hills se présente au départ comme un labyrinthe entre le passé et le présent. Cependant, au fil des pages, le surnaturel prend un sens écologique et fraternel. On y voit comment le deuil n’est qu’une phase mais aussi comment la résurrection d’une ville peut être un leurre.

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