La Vierge noire et le voyou, Xavier-Marie Garcette

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Avec son dernier roman, Xavier-Marie Garcette nous entraîne dans la France de la première moitié du XXe siècle. Et pour découvrir cette période de créativité débridée, quel meilleur guide que l’un des artistes les plus réputés de l’époque, le célèbre compositeur Francis Poulenc ? Un homme mi-dévot mi-voyou dont l’ambivalence illustre à merveille la complexité et le génie de cette époque, et dont la vie palpitante suffit à en faire un merveilleux héros romanesque. Interview de l’auteur lors de sa présentation presse à la librairie gros câlin de Paris.

Pourquoi avoir choisi de raconter l’histoire du compositeur Francis Poulenc ?
J’ai d’abord découvert son œuvre et j’ai été enthousiasmé par sa musique de chambre que je trouve à la fois charmante et, si l’on écoute bien, pleine d’humour. Un humour dont on sent que c’est l’’élégance derrière laquelle se cachent les grands mélancoliques. C’est ce qui m’a séduit. Et, par ailleurs, j’ai déménagé à ce moment-là près de Rocamadour, dont Poulenc est l’une des figures tutélaires.

Vous racontez l’histoire du compositeur français avec une grande rigueur historique, quelle est la part biographique et la part romancée dans votre roman ?
Au début, j’avais imaginé que je pourrais me contenter d’informations biographiques assez générales et que je pourrais faire marcher mon imaginaire de romancier là-dessus. Mais très vite je me suis rendu compte que ça ne marchait pas car je n’avais pas envie de trahir le personnage. J’avais envie de le comprendre, de le cerner, d’approcher au mieux sa personnalité, et dieu sait qu’elle est complexe. Et puis, on dit toujours que la réalité dépasse la fiction, c’est tellement vrai ici. La vie de Poulenc est déjà on ne peut plus rocambolesque. Donc j’ai lu des biographies, et j’ai surtout eu accès à toute sa correspondance, qui est une vraie mine d’or. Mais tous ces éléments biographiques ne disent pas tout. C’est mon rôle de romancier de boucher les trous. Et c’est ce qui était passionnant, d’essayer de comprendre ce qui avait pu se passer.

Est-ce plus facile d’écrire sur un personnage qui a vraiment existé, dont la vie est déjà tracée ?
C’est sans doute plus facile d’avoir une trame et en même temps c’est aussi plus contraignant car je ne pouvais pas emmener mon héros n’importe où au gré de mon imagination. Mais finalement ça n’est pas foncièrement différent. Que ce soit un personnage réel ou un personnage imaginaire, parfois même dans un contexte bien réel comme le héros de mon dernier roman historique, la démarche est la même : rencontrer quelqu’un. Et donc d’essayer de comprendre en profondeur la personne.

Outre le fait qu’il fût un grand artiste, Poulenc fascine par sa dualité : mi-canaille mi-dévot. Est-ce que ça en faisait un personnage parfait pour l’écriture romanesque ?
Poulenc est fascinant et ça aide en tant que romancier, parce que la matière est riche. En même temps, il est quand même bigrement compliqué. C’est absolument incroyable de voir à quel point il est tout et le contraire de tout. Il adore Paris et il adore la campagne. Il est hyper mondain et il adore les ambiances des bals populaires. Et c’est pour tout comme ça. Et donc finalement, il nous prend toujours à contrepied. C’est fascinant d’essayer de comprendre quelqu’un qui est si à part. Et puis c’est quelqu’un d’extrêmement attachant, malgré ses côtés invivables, il est hypocondriaque, égocentrique mais il est aussi adorable, il est d’une candeur incroyable et est incapable de méchanceté.

Une autre dualité qui se dessine très clairement dans votre livre, c’est l’opposition entre ville et campagne. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez vraiment retrouvé dans vos recherches sur la vie de Poulenc ?

D’un côté la campagne évoque la pureté, de l’autre Paris est le lieu de tous les excès. Dans ses correspondances, il parle de “sa sexualité parisienne”. C’est étonnant comme formule mais c’est très très révélateur de la façon dont est structuré sa personnalité. Il refuse de choisir un côté ou l’autre, il veut être mi ange mi démon, mais pour ça il cloisonne ses deux vies et il est écartelé entre les deux.

Comment expliquez-vous cette étonnante révélation religieuse lors de son premier passage devant la vierge noire de Rocamadour ?

Des récits de conversion on en connaît. C’est arrivé à plein de personnes célèbres. Les conversions marquent toujours une rupture. Mais à la limite, chez Poulenc, c’est étonnant qu’elle ne soit pas plus marquée. Avec la Religion, c’est une toute autre dimension qui s’ouvre à lui, ça se ressent très fortement dans son inspiration. C’est un nouvel homme qui se découvre, qui se révèle. Il n’est pas moins torturé pour autant. Curieusement, d’une espèce d’angoisse existentielle qui l’habite avant, on passe à une conviction religieuse très forte qui l’ancre dans une foi rassurante mais qui entraîne aussi un déséquilibre compte tenu de sa vie privée, de sa sexualité. Être en même temps moine et voyou, c’est tout de même compliqué à vivre !

Loin de tomber dans la narration mécanique et rébarbative, cette biographie, menée de main de maître par Xavier-Marie Garcette, captive et tient en haleine ses lecteurs. Une plongée fascinante dans la vie haute en couleurs de Francis Poulenc qui, par ses frasques, ses états-d’âme et sa grande humanité, suscite immédiatement l’attachement.