Critique “Poesia Sin Fin” d’Alejandro Jodorowsky : Un biopic époustouflant qui réinvente le genre avec une magie emplie de juvénilité

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Après le premier volet de son biopic, La Danza de la Realidad, dans lequel il nous relatait son enfance, marquée par le déracinement et l’exil familial ; Alejandro Jodorowsky s’attaque cette fois-ci à son adolescence et à l’éclosion de l’artiste qui se tourne définitivement vers l’art et, plus particulièrement, vers la poésie. “Poésie sans fin” … C’est incontestablement ce qui enivre le spectateur durant cette expérience filmique envoûtante qui nous transporte vers les origines orphiques des arts. 

Transcender la réalité et la réinventer

A l’heure des biopic froids, consciencieux et calculateurs, Poesía sin fin fait figure d’exception parmi ces derniers. D’une générosité incroyable, Jodorowsky nous entraîne dans les recoins les plus intimes de son âme dans laquelle se télescopent plusieurs temporalités : le passé réinventé et le présent des regrets. 
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Se saisissant de la réalité comme matériau originel, le réalisateur réussit avec brio à réinventer sa propre histoire et même l’Histoire avec un grand H. S’ouvrant sur une scène de violence farcesque qui vient ridiculiser et désamorcer les tensions sociales qui traversent la capitale, la réalité est présentée comme maximisée et tendue vers une forme d’irréalité qui, paradoxalement, la révèle. A travers ses personnages burlesques, difformes, lunaire, le réalisateur dévoile le mal être métaphysique qui nous entoure. La quête de soi et de son identité constitue ainsi un des points thématique qui balise cette oeuvre puissante et profondément juste. C’est ainsi que l’on suit un “Alejandrito” adolescent qui se cherche et qui cherche à s’accomplir dans une quête artistique et poétique qui constitue le fil direct dans lequel le drame et l’humour s’entrelacent comme pour synthétiser la vie elle même. Et, s’il fallait retenir une chose, de ce film, c’est bien cette touchante volonté de pardonner au père intransigeant. Ce fantasme de l’absolution. Et quoi de mieux que l’art pour réaliser ce rêve irréalisable dans notre réalité si tangible. Nul étonnement en voyant un Alejandro Jodorowsky himself s’adressant à son fils Adan Jodorowsky, qui l’incarne à l’écran, et dont la théâtralité des discours n’a d’égale que celle de la mise en scène. … Le film s’affiche comme une thérapie onirique, une introspection de soi qui offre à son réalisateur mieux que quelconque séance avec un psychanalyste.

 

Pour l’amour du cinéma et de l’art …

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Des multiples références allant des “Enfants du Paradis” au surréalisme de Breton, le film s’affiche aussi comme une déclaration d’amour au cinéma et à l’art en général dans lequel tous les genres se télescopent. On retrouve, disséminés avec malice, les influences qui ont jalonné la vie de son auteur. Dans une sorte de poésie du bricolage, on reconnaît la poétique de distanciation théâtrale de Brecht, dans laquelle le spectateur perçoit, par exemple, avec amusement ces machinistes de l’ombre. On retrouve Shakespeare et Hugo dans ce télescopage entre les genres dans lequel le grotesque se heurte à l’élégance des mots et des métaphores. Suréférencé, et parfois même à l’excès, Poésia Sin Fin constitue un instant d’extase artistique qui nous extirpe de notre réalité pour mieux la transfigurer. C’est l’art qui donne ce soupçon de singularité à chacun qui nous arrache de notre torpeur et fait éclater ces masques apposés sur tous ces personnages de surface, ces milliers de figurants qui font honneur à la folie des grandeurs de son réalisateur, et qui constituent, une sorte de marasme uniforme gagné par le vide existentiel et par une humanité désincarnée. Le message est fort et libre. 

Poesía sin fin constitue la merveille cinématographique de cette automne. Émancipé de toute contrainte, ce film est une véritable ode à la liberté et à l’art. “La poésie est un acte” entendons-nous dans le film …. Et c’est cette doctrine que Jodorowsky applique minutieusement du début jusqu’à la fin, qui finit par toucher le spectateur pétri d’admiration pour cette homme qui se laisse encore guider par son amour de l’art. Chapeau bas l’artiste ! Précipitez vous donc vers le cinéma le plus proche dès le 05 Octobre !