What if they Went to Moscow : entre théâtre et cinéma

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La metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy présente « What if They Went to Moscow ? », une adaptation des Trois Sœurs, de Tchekov, au Théâtre de la Colline jusqu’au 12 mars 2016.

 

Une version audacieuse, originale et brillante !

On connait ce rêve obsédant des trois sœurs de Tchekhov. Ancrées dans leur vie monotone, Olga, Macha et Irina s’ennuient dans une ville de Province qu’elles n’estiment pas digne de leur faire connaitre une vie grandiose. A la mort de leur père, elles perdent cependant toute certitude de partir. Elles s’enlisent dans une routine provinciale faite de travail inintéressant et d’absence d’amour, ou d’amour impossible.

Christiane Jatahy, elle, a choisi de s’attacher à l’espoir, même menu, de la possibilité d’un nouveau départ :

« Oh ! Mes sœurs chéries, notre vie n’est pas encore terminée. Il faut vivre ! La musique est si gaie, joyeuse ! Encore un peu de temps encore, et nous saurons pourquoi ces souffrances… »

Ces phrases qui concluent la pièce de Tchekhov sonnent comme un espoir de changement. Et si elles y allaient, à Moscou ? C’est ce désir de changement, ce qu’il pourrait engendrer sur les âmes et les relations qui est ici à l’œuvre. Les trois sœurs, alors, deviennent le centre de cette pièce, et elles ne sont accompagnées que de deux autres personnages, alors que la pièce de Tchekhov met en scène une multitude d’individus.

Elles apparaissent ainsi comme des figures de cette potentialité de changement : Olga, l’aînée, semble avoir abandonné l’espérance en l’avenir, car son son passé est déjà trop prégnant. Macha (Maria dans la pièce), est à un moment charnière, où tout peut basculer, avant qu’il ne soit trop tard pour changer. Irina, la plus jeune, porte la figure de l‘enthousiasme de la jeunesse, qui veut décider de sa vie, mais aussi faire évoluer le monde. Et dans toute la pièce, elles oscillent entre la dépendance qui est celle d’une relation entre sœurs et qui peut paralyser les décisions, mais aussi l’aspiration à l’indépendance.

what_if_they_went_to_moscow-cinema_0Julia Bernat, Stella Rabello et Isabel Teixeira, incarnent avec finesse et puissance ces personnages plein de doutes et d’espérances. Portant avec talent les rôles des trois jeunes femmes écorchées, les comédiennes semblent prendre un plaisir absolu à les faire passer de la joie extrême, ou feinte, au plus profond désespoir et à la plus déchirante des désillusions. L’esprit russe de Tchekhov, dont les émotions sont exacerbées, emplissent la scène et le public vibre avec elles. Malgré l’intense noirceur du propos, l’exaltation des comédiennes nous contamine. On ne peut que s’attacher à ces trois personnalités fortes.

Une forme qui interroge les frontières entre les arts

Avec What If They Went to Moscow ?, la metteur en scène brésilienne interroge la forme théâtrale en proposant deux parcours de cette même œuvre. En effet, en arrivant à la Colline, une partie des spectateurs est envoyée dans la salle de théâtre, et l’autre partie est invitée à entrer dans une salle de cinéma, où sera projetée la pièce (dans un mélange d’images prises en direct et d’autres plus anciennes). Les deux représentations présentent deux faces possibles de cette œuvre, déplaçant les perspectives, les centres et les approches de l’histoire. Elles se complètent tout en pouvant exister séparément.

Plus qu’un envers du décor, la version théâtrale intègre totalement le quatrième personnage qu’est le cameraman qui filme en direct la dramaturgie. Notamment grâce au personnage de Verichine qui porte la caméra principale et dont Maria tombe amoureuse. Elle entame une relation aussi bien avec l’homme qu’avec la caméra. Irina, quant à elle, remplie le rôle contemporain de notre relation aux images, aux médias, en tenant elle-même une caméra, cadeau d’anniversaire. La caméra est donc tout à fait subjective.

La place du spectateur réactivée

Au-delà de ces frontières poreuses entre théâtre et cinéma, le point vers lequel tend la recherche de Christiane Jatahy est ici tout particulièrement le spectateur. Elle le fait entrer dans l’histoire en l’invitant sur scène et dans l’espace intime des trois sœurs. Nous devenons les invités de la fête d’anniversaire d’Irina, et notre relation aux comédiens et à l’histoire devient directe. Une interaction qui permet au spectateur de faire l’expérience d’une perte jouissive des frontières et des repères. La fiction et la réalité s’entremêlent dans cette pièce participative et impressionnante !

 

Infos Pratiques

« What if they Went to Moscow ? » au Théâtre National de la Colline
15 Rue Malte Brun, 75020 Paris
01 44 62 52 52

Du 1er au 12 Mars 2016

Du mardi au samedi à 19h30 et le dimanche à 15h30

Spectacle en portugais surtitré en français