Focus sur Marie Ridoux: Honneur aux femmes à travers la peinture

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Marie Ridoux
Marie Ridoux

Bonjour Marie Ridoux !

Bonjour Shana !

J’espère que vous allez bien ! Bienvenue chez Just Focus ! alors tout d’abord est ce que vous pouvez vous présenter ?

Je m’appelle Marie Ridoux, mon nom d’artiste, c’est mArie avec un A majuscule et un petit m. Depuis 2020, j’ai lancé une exposition qui s’appelle « honneur aux femmes ». C’est une exposition mettant à l’honneur plusieurs portraits de femmes activistes, c’est un peu chapitré comme exposition. […]

Il y a des portraits de femmes avec des documentaires sonores, des poésies, des chansons aussi pour certaines d’entre elles. J’ai profité de la période du Covid pour travailler dessus. Par ailleurs, je suis assistante de direction, je suis auteure de films documentaires et j’ai aussi un bar maintenant, un restaurant à Montmartre et je suis moi-même militante dans le milieu associatif.

J’ai une association de lutte contre l’excision pour laquelle je travaille depuis maintenant plus de dix ans, et que je préside depuis maintenant peut-être 7 ans. C’est une association qui organise un festival de Reggae et les bénéfices du festival, une partie, est dédiée à la construction d’un centre dédié aux femmes au Mali à Sanankorobase, un centre médico-sociale avec une salle dédiée à la réparation de l’excision. Voilà pour mes différents métiers. C’est vrai que la peinture est quelque chose que je pratiquais pour moi. Au final, j’ai décidé pendant la période du Covid de montrer ce que je faisais et de rendre hommage à ces femmes, puisque, en fin de compte, toute la partie évènementielle étant en stand-by à ce moment-là, je me suis dit que c’était un autre moyen de sensibiliser à la cause. […]

 

C’est donc  pendant la période de confinement que vous avez décidé de partager votre art ?

Oui, avant ça, j’avais déjà une petite exposition. Les personnes qui m’avaient suggéré de montrer mon travail étaient essentiellement des gens de la famille donc il faut se méfier ! (rire).

C’est pas très objectif !

C’est ça! Mais j’ai vu que les gens étaient intéressés par ce que je faisais. Après, ça reste des portraits. Ils ressemblent plus à des illustrations peintes.

 

C’est un peu votre vision couchée sur la toile c’est ça ?

Ouais, c’est ça ! Maintenant, je brode un petit peu sur les toiles. Il y a des nouveautés, je mets des perles, des tissus, c’est ce qu’on pourra voir à la fin de l’année. À la fin de l’année, j’expose à espace Maurice Rollinat à Vierzon, un musée national en partenariat avec la Villette. Tout l’espace est dédié à « Honneur aux femmes » donc je peux encore plus m’exprimer. Pour que ce soit bien rempli, j’ai dû imaginer d’autres portraits et rendre hommage à d’autres femmes. Ça n’a pas été très difficile parce qu’il y a beaucoup de femmes inspirantes. La particularité de cette exposition maintenant, celle qui aura lieu à la fin de l’année, c’est qu’il y a toute une partie sur les femmes qui ont marqué l’Histoire de France.

 

Vous peignez, mais vous sculptez aussi des femmes du monde entier qui vous inspirent ?

Oui ! Ce n’est pas que la France, mais comme c’est un musée national, je me suis dit que c’était bien de faire un espace dédié aux femmes qui ont marqué l’Histoire de France. D’autant qu’elles n’ont pas marqué que l’Histoire de France. À travers leur combat, elles ont inspiré des femmes dans d’autres pays, notamment la lutte pour l’avortement, le droit à l’IVG en France : Giselle Halimi, Simone Veil et bien d’autres parce qu’elles sont nombreuses en fait […]

Toutes les femmes du mouvement de libération des femmes, des années 70, m’ont beaucoup inspirées pour cette partie-là. Mais pas que, il y a Louise Michel, Georges Sand, Colette, Joséphine Baker. Il y en a beaucoup qui ont marqué l’Histoire de France. Joséphine Baker aussi, qui est au Panthéon, elle aura d’ailleurs un emplacement spécial au musée, je compte faire une toile de 2 mètres sur 2 mètres 20. Elle et son guépard !

Je suis passionnée par les animaux. De base, j’ai fait des études de biologie pour être éthologue. Finalement, j’ai fini par faire des neurosciences, et m’éloigner de l’éthologie. Au final, je n’ai pas travaillé dans le milieu de la biologie, mais j’ai toujours aimé le monde animalier. Et, depuis peu, je travaille sur une autre exposition qui s’appelle « Les printemps silencieux » qui rend hommage à Rachel Carlson. C’est une militante écologiste américaine qui, dans les années 70, a écrit un livre. Elle prédisait qu’à cause de l’utilisation des pesticides, il y aurait moins d’insectes et moins d’oiseaux et donc que les printemps seraient silencieux. […] Et j’ai donc fait une série de toile sur les oiseaux en voie de disparition et leur symbolique. En même temps, je traite de Rachel Carlson. J’aime vraiment mettre des animaux sur mes toiles. Par exemple, je mets le guépard de Joséphine Baker, mais aussi Zoé Kravitz qui a une colombe sur son épaule.

 

C’est un peu votre parcours scolaire qui vous rattrape dans vos toiles !

On peut dire ça oui, je n’ai jamais cessé de m’intéresser au monde animalier, à l’écologie. Donc comme je m’en étais éloignée à travers mes différents métiers, c’est une manière de peut-être revenir aux sources.

 

Comment choisissez-vous les femmes que vous peignez ? Oû trouvez-vous l’inspiration? combien de temps vous prend un tableau.

Ce sont souvent des rencontres, j’ai été émerveillé par ces femmes, intimidée !
La première que j’ai faite, c’est Oksana Chatchko, une des fondatrices des Femen[…]. Elle m’a vraiment interpellé. Elle m’a raconté son histoire et ça m’a bouleversé, j’ai compris son combat. Ce n’est pas né de rien. Elle est morte dans une forêt, elle s’est faite violée, torturée. Ce qui lui a permis de survivre, c’était son combat pour les femmes.[…] Le regard qu’elle avait, cette espèce de regard de guerrière complètement déstabilisant, j’ai essayé de le peindre, de rendre hommage à ce regard. Celui qui moi m’a déstabilisé, et je me suis dit, elle a l’âme d’une conquérante, elle peut tout faire et malheureusement non elle avait une fragilité énorme. […] c’est pour ça que j’ai voulu lui rendre hommage. J’ai fait ce portrait puis je me suis dit que ça pourrait être sympa de continuer à en faire d’autres.

Il y a aussi des femmes fictives. Quand c’est que des portraits de gens qu’on connaît, c’est aussi intéressant de parler d’autres sujets sans pour autant avoir une figure de proue de l’activisme en question. J’ai imaginé des portraits de personnes qui incarnent un activisme en particulier.

C’est la personnification d’une idée ?

Oui, c’est exactement ça. Par exemple, Féline incarne toutes les femmes parce qu’elle interroge. Elle introduit l’exposition. Après, pour parler du conflit au Yémen, j’ai dessiné une femme yéménite, je l’ai imaginée […]

 

Vous choisissez les femmes en fonction de leur militantisme, de leur combat ? ou au niveau de leur regard ?

Voilà, c’est au niveau de leur combat. Pour moi, elles sont les figures de proue d’un activisme en particulier. Adèle Haenel, c’est pour la libération de la parole. J’ai récemment peint Leïla Sy, réalisatrice de clips de rap, et qui a évolué dans un milieu très masculin. C’est l’ex-femme de JoeyStarr, elle a aussi réalisé les Banlieusards. Je lui ai fait un portrait et elle m’a dit que je devrais dire figure de « prouge » au lieu des figures de proue, parce qu’il y a du rouge sur tous mes tableaux !

 

C’est très parlant ! c’est vrai que vous peignez beaucoup sur fond rouge. C’est difficile à manier ?

C’est une couleur qui est très dure ! Ça agresse un peu, ce n’est pas facile à poser quelque part. C’est d’ailleurs en cela qu’on voit que je ne peins pas pour vendre mes toiles, mais pour sensibiliser. Ça attire le regard ! […] Le rouge, c’est la couleur des luttes, des contrastes, ça évoque plein de choses. Ce n’est pas évident à poser quelque part. Et quand on les voit toutes alignées, c’est fort ! Je fais maintenant en sorte d’avoir le même rouge, pour qu’il y ait une uniformité. On oublie presque le fond, on ne voit qu’elles ! C’est ce qui est difficile concernant le rouge, c’est de l’oublier. Je fais en sorte qu’il ne soit pas parfait, et que ce ne soit pas vraiment intéressant sur la toile. Quelques fois, on voit des traces de pinceaux et ça me va très bien ! C’est assez dur de peindre en rouge parce qu’une fois qu’il est posé, c’est compliqué de l’enlever. Moi, je pose d’abord le rouge, je dessine puis je peins le contour. Pour l’oublier et faire en sorte qu’on se concentre sur la femme qui est peinte, ce n’est pas évident. En ça, c’est difficile. L’autre particularité, c’est que je peins aussi au sol.

 

On voit que le regard des femmes qui sont présentes sur vos tableaux sont forts. Comment arrivez-vous à capturer cette vitalité dans le modèle que vous recréer sans l’avoir devant vous ?

Je prends plein de photos de la personne et j’essaie de trouver le regard qui me convient. Je dessine aussi, je vois les photos qui me plaisent le plus, je fais aussi un mix sur ordi et je vois ce que ça peut donner et après, je me décide. Il y a un gros travail de recherches avant la peinture.

 

Comment vous faites quand vous créez un visage ?

Quand je crée un visage, je m’inspire beaucoup. C’est des visions dans ma tête, ou alors des photos que j’ai vu passer, des visages qui me semblent intéressants. Puis, je les retranscris à ma manière, mais oui, ça part toujours d’une photo ou de quelque chose que j’ai pu voir. C’est un mélange de plein de visages quand ce sont des femmes qui n’existent pas. D’ailleurs, elles ressemblent toujours à quelqu’un quand on les regarde.

 

Une femme représente toute les femmes! Comment la musique vous aide dans votre peinture ou pendant le processus de peinture?

La musique, c’est vraiment ma vie. J’ai été manageur d’artistes, là, je préside un festival de Reggae. J’ai toujours de la musique dans mes oreilles. Cette idée saugrenue de faire des chansons pour ses femmes alors que je n’avais jamais chanté, c’est grâce à mon équipe. J’ai été poussé par mes amis avec qui j’ai mis en place l’exposition, qui m’ont dit que j’avais une voix intéressante. En fait, j’écris les chansons en pensant que d’autres vont la chanter. Mais le son n’est pas parfait, il a été fait pendant le Covid. J’enregistrais chez moi, le musicien travaillait chez lui, mais on ne pouvait pas se voir.

 

La période COVID a donc vraiment été déterminante dans votre art?

Oui, vraiment pour tous ! L’écriture, la peinture, la chanson. Il y a aussi des documentaires où je récupérai les voix des femmes. Je mettais aussi un point d’honneur à ce que cette expo soit inclusive donc chaque toile avait une audio description. C’était vraiment difficile à écouter parce que c’était toujours la même voix, donc j’ai fait en sorte que toutes les voix soient enregistrées par des voix différentes. Certaines sont faites par des hommes, d’autres par les femmes illustrées sur les tableaux. Pour l’audio description, c’était très intéressant parce que je travaillais avec un aveugle pour la description des visages. Décrire de cette manière, c’était vraiment très intéressant parce qu’on redécouvre vraiment le tableau une deuxième fois.

 

Votre exposition monopolise donc les sens ! entre la vue et l’ouïe !

Oui ! On s’attache beaucoup à la réalisation ! L’enregistrement est vraiment primordial, la qualité du son aussi, de la musique. Pour accompagner l’image, on travaille vraiment. Les toiles bougent presque en fait grâce au son. […]

 

C’est venu naturellement le son ?

Oui, parce que je me suis mise à écrire naturellement pour elles. Les mélodies aussi, je les ai trouvées moi-même. Après les arrangements sonores, je travaille avec une équipe exceptionnelle ! Mais oui, tout ce travail-là, avec les podcasts, est énorme. C’est vraiment hyper beau quand on arrive au résultat et qu’on est immergé dans l’art ! J’étais super contente ! J’ai vu aussi la réaction des gens, c’est beaucoup d’émotion.

 

Est-ce que vous avez eu des retours de femmes qui vous disaient que votre art les aidait. Est-ce que votre art a guéri ou cicatrisé certaines blessures de femmes?

Alors, je ne pense pas qu’il ait cicatriser des blessures. Je pense que beaucoup de femmes étaient contentes de voir que des choses de ce genre existaient. Elles se sont retrouvées en certaines des femmes qui étaient peintes. Elles ont donc voulu en découvrir plus pour apprendre leur histoire et après, ça leur a fait du bien. En fait, beaucoup de soutien de féministes et d’activistes qui m’ont écrit que c’était un travail utile et qu’il fallait continuer de sensibiliser comme ça. Je travaille aussi avec les alliances française (organisation française dont l’objectif est de faire rayonner la langue française et la culture française à l’extérieur de la France). En Espagne, c’est un peu plus avancé que nous dans le droit des femmes. J’ai été vachement touché de voir leur réaction et leur soutien. Elles me proposent aussi le témoignage d’autres femmes, des suggestions de portraits. Ça devient vraiment interactif ! On me dit que telle femme serait bien à peindre et qu’elle serait parfaite pour faire partie du parcours de mon exposition ! J’ai eu des rencontres incroyables, des femmes qui ont été violentées et qui m’ont dit merci. Leur art m’a fait du bien, elles se sont senties soutenu. […]

 

C’est vraiment une consécration !

C’est ça ! il y a des gens qui sont tombés en amour sur mes toiles et qui les ont achetés. Ils étaient très émus par le regard. Malgré d’autres gens qui n’ont pas apprécié les tableaux, ça fait vraiment plaisir de voir que mes tableaux touchent autant. C’est super parce que quand on a donné autant dans quelque chose et que les gens estiment ce que l’on fait, ça donne envie de continuer !

 

Est-ce que votre art, vous aide en tant que femme et aussi en tant que femme artiste?

Oui, parce que c’est un excellent exutoire.  Je ne me suis pas lancé dans la lutte contre la violence faite aux femmes, j’ai moi-même une histoire compliquée à gérer. Toutes ces femmes que j’ai pu rencontrer m’ont beaucoup aidées dans mon parcours personnel pour aller mieux, et le fait d’aider les autres à travers l’association lutte contre l’excision, ça m’a beaucoup toujours apporté. En fin de compte, cette expo m’a beaucoup apportée, dans le sens où j’ai eu des rencontres magnifiques. Les femmes qui sont venues m’ont fait part de leur histoire, c’est trop beau, il y a un truc de sororité qui est presque jouissif. Ça m’a apporté plus que j’imaginais, et elle continue de m’apporter. Elle me fait voyager, je rencontre des gens d’un peu partout en Europe pour l’instant, et c’est bien de voir comment les luttes évoluent un peu partout, de voir que nous ne sommes pas seules, qu’on se soutient et qu’il y a des choses qui ne s’effaceront jamais de nos mémoires, mais voir que c’est aussi une résilience. C’est une manière d’accéder à la résilience.

 

Vous avez aussi le point de vue de plusieurs féministes, à travers le monde mais aussi à travers les époques avec vos expositions qui mettent en valeur des femmes des années 70 etc.

Oui, c’est très intéressant. Les personnes que je découvre dans d’autres pays me racontent les difficultés que les femmes rencontrent qu’il n’y a pas forcément en France. Comment s’inspirer des femmes d’ailleurs, c’est une question fondamentale, parce qu’au sexisme on peut rajouter, le racisme, etc…

 

Merci beaucoup Marie pour votre temps et félicitations pour vos projets actuels et futures !

 

Merci à vous, Shana, c’était cool!