Rap : la stratégie de l’univers singulier

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“Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu’il y ait d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition.”. Tels sont les mots de Marcel Proust dans son livre Le Temps retrouvé. C’est en voyant le clip Poizon de Laylow, ou encore Marché Noir de SCH et Tout Seul de Kekra que nous saisissons le sens de ces mots. Des artistes aux univers singuliers, nous y projetant un peu plus au travers de visuels. Loin d’être une nouveauté, ils sont pourtant de plus en plus nombreux à repousser les murs de l’expérience. Mais comment les artistes procèdent-ils pour façonner cet univers si singulier ? 

Construire un univers 

Pour Gwen Briant, chef de projets rap chez Island Def Jam, lorsqu’il travaille avec un artiste la première chose à faire est d’analyser son environnement, écrire son histoire en assemblant le puzzle de sa carrière. Réussir à écrire l’histoire d’un artiste, c’est mettre des mots sur ses particularités, ses forces et éventuellement ses faiblesses. Pour le faire ressortir auprès du public, il faut que cet univers soit lisible, aussi complexe soit-il. Avoir cerné un univers, c’est en définir des axes principaux d’identités, sur lesquels il va falloir insister auprès du public pour que l’artiste soit facilement rattaché à ces derniers.” 

D’après le producteur, directeur artistique et manager Powe, pour construire cet univers : c’est de la composition tout simplement, savoir ce qu’on met, à quelle dose, le timing est très important, c’est de la cuisine finalement.” Il ajoute : comme pour la cuisine, chaque ingrédient a son importance, du plus gros au plus petit, qui fera office de game changer. Dans ce processus, la prod est une grosse partie du travail, mais sans le reste ça ne sera pas efficace. Une bonne recette vaut mieux qu’un très bon aliment.” 

Un avis que partage Tim, compositeur et réalisateur musical, membre de Basement Beatzz “Pour pouvoir composer pour un artiste, il faut déterminer dans quel style il se situe. Sur quel genre de sonorités/accords il évolue dans ses précédents tracks, et surtout visualiser ce que pourrait être son prochain track. ” 

La place du visuel 

Avoir du son c’est bien, avoir du visuel c’est mieux… et presque indispensable de nos jours. A l’heure où les vendredis sont synonymes de projets à foison, il faut se démarquer, donner envie, attirer des nouveaux auditeurs.

C’est d’ailleurs ce qu’explique l’équipe de Biscuit Studio, spécialisé dans la création de contenu original, la réalisation de séries d’animation et le motion design. La team est composée de Louis, directeur de production, Adrien, réalisateur et directeur artistique, et de Quentin, réalisateur. Ils ont notamment réalisé le clip Pas d’I Love You d’MV7 feat Naza ou encore le clip Tout seul de Kekra et la série Skuuu. D’après eux : avec les réseaux on peut voir et suivre l’artiste quand on veut. Maintenant, il faut pouvoir envoyer beaucoup de visuels. Des artistes ont acquis le principe de ‘j’existe par qui je suis, par ma musique, mais aussi des visuels’. C’est une stratégie importante pour se démarquer et exister. Un auditeur peut être interpellé par une cover par exemple, et donc vouloir écouter l’album. Le visuel est un facteur qui donne envie de découvrir l’artiste. Raison pour laquelle ils y travaillent de plus en plus. Il y a cette plus-value du personnage. Est-ce qu’il est sympathique ? Est-ce que je m’identifie à lui ?” A ce sujet, ils ajoutent : “par exemple Laylow, s’il n’a pas un visuel pour expliquer son délire, la personne est moins immergée dedans.” 

 

Le visuel renforce donc le sentiment d’identification et permet à l’artiste de pouvoir expliciter ce qu’il a en tête. Reste à savoir comment transposer une idée musicale en un clip. mx player for windows 10

Aussi réalisateur du clip Tout seul de Kekra, et plus récemment la cover de son nouvel album Kekra, Biscuit Studio explique le processus. “Dans un premier temps on va vouloir rencontrer l’artiste, se poser, discuter, même jouer à la console (rires). Échanger est important pour comprendre un univers. On regarde tous les clips qui ont déjà été faits, on se fait une culture autour de l’artiste.” Concernant la création du clip Tout Seul, Biscuit Studio détaille :”On a grandi avec les consoles, les Nintendo. Avec Kekra on partage à peu près les mêmes références. Lors du processus, on avait des discussions autour des jeux qu’on a kiffé gamin ou en étant ado, qui nous ont marqués. Cette discussion nous a amenés à imaginer ce clip. C’est basé sur des expériences réelles, c’était fluide et surtout, c’était un kiff de fou. C’est un petit clin d’oeil à notre enfance.” 

 

Développer une fanbase 

Avoir un univers, un visuel travaillé. Telles sont les stratégies pour fidéliser sa fanbase et toucher de nouveaux auditeurs. Plus un artiste est radical, de niche, plus il va toucher des personnes qui vont s’identifier à son personnage et à sa musique. Si un auditeur adhère, il y a de grandes chances qu’il suive chaque projet de l’artiste avec attention, comme ça pourrait être le cas pour la trilogie JVLIVS de SCH. Xender for PC

Pour autant, un univers ne sort jamais de nulle part, comme l’explique Biscuit Studio : “ils ne créent pas un univers. C’est une idée qui est déjà présente en eux. Seulement ils l’amplifient. Ils peuvent être bien guidés par un manager, par un studio de création, etc. Mais un Kekra c’est Kekra. Ces artistes sont honnêtes dans leur démarche, ils ne font pas semblant de proposer quelque chose juste pour la com. Et c’est ça qui permet de fidéliser autant de fans. Ça paraît moins froid qu’un artiste classique.” 

Univers singulier, visuel travaillé, honnêteté de la démarche. Voici les ingrédients de ces fameux artistes. Bon après c’est comme pour la recette du Ketchup : il restera toujours un ingrédient secret qui fait qu’un Laylow reste un Laylow, et un SCH reste un SCH.