[Interview] Rencontre avec les enchanteurs de Black Lilys à Paris

0
827

Nous avons eu la chance de rencontrer les Black Lilys la veille d’un petit showcase. Plus qu’une interview, ce coup de cœur musical s’est transformé en coup de foudre humain et ce moment s’est prolongé dans une discussion sans fin.

Si cet article vous semble être une déclaration d’amour, sachez que je l’assume complètement. Mais si vous tendez l’oreille et vous laissez porter par la musique de Black Lilys, vous ne pourrez pas résister longtemps à leur univers bienveillant. Et sachez que ce n’est pas qu’une bulle artistique dans laquelle ils se fondent pour créer… 

Black : sombre et lourd / Lilys : plus aérien et léger. C’est cette dualité là qu’on retrouve dans leur musique. Ce contraste saisissant qui va chercher au plus profond de nous les choses les plus enfouies. Que ce soit plus dans le Black, dans le Lilys ou dans l’équilibre parfait, Boxes, leur premier album, est le parfait dosage de chaque éléments.

Difficile de vous parler de cette interview en se limitant à un jeu de questions réponses traditionnels. En fait l’interview avait déjà commencé dès que nous nous sommes présentés. Désireux de vouloir échanger, communiquer, partager…

Le cheminement de Black Lilys

Camille et Robin Faure son frère et sœur. A l’origine, Robin terminait son BAC et Camille était en école d’infirmière. Le besoin d’écrire et de composer ensemble, de se rapprocher est devenu très fort. Elle finissait son diplôme et revenait d’un travail en Afrique, lui était en fac de musicologie et donnait des cours de guitare. La musique les a rattrapé, puis les dates de concert. Il a fallu faire un choix. La musique a fini par prendre le dessus, leur prenant toute l’énergie qu’ils avaient à dépenser. 
Dust of you, c’est leur premier titre… Ils ne s’attendaient pas à en faire d’autres après celui-là, mais il fut le premier de cette aventure. Ce fut aussi grâce à lui et son clip que Robin et Camille ont pu démarcher les salles ; les gens ont commencés à se relayer ce titre.

Quand je revoie ce clip, je repense au début de notre conversation, aux premiers mots échangés alors que l’interview n’avait pas vraiment commencé. Nous avons parlé de danse. Camille m’avait raconté leur rencontre avec une danseuse classique du ballet de Lyon qui avait tout de suite senti l’énergie, la vibration de leur musique dans son corps et son potentiel expressif. Nous avions aussi évoqué la musique Pagan Folk et j’y retrouve quelques codes vestimentaires… Tant de connexion intéressantes à explorer !

La musique comme thérapie

Très vite, Camille prend conscience qu’elle ne peux pas combiner son travail d’infirmière et la musique, mais ensemble, ils trouvent le moyen de faire de leur musique un soin. Ils trouvent des projets où ils jouent en prison, dans des hôpitaux… des bâtiments froids où ils leur semblent essentiel d’apporter de la chaleur humaine.
Ils nous racontent leur expérience en prison : dans un gymnase, juste à deux. Ils appréhendaient énormément… « C’était génial, on est ressorti épuisé, surtout par le stress. Pour rentrer, il y a plein de portes qui se referment derrière toi, c’est tellement hermétique comme endroit. Verrouillé, verrouillé. Tu arrives au cœur, tu as comme un malaise et en fait tu rencontres ces gens et c’est magnifique ! On oubliera jamais« . 
Un combat qui touchent leur public, que ce soit dans ces lieux particuliers ou dans de simples salles de concert. Souvent les gens viennent les voir pour les remercier et leur dire à quel point leur musique fait du bien. Camille aime la fragilité des lieux comme l’hôpital où il n’y a plus de frontière sociale, où les gens sont mis à nu, face aux mêmes peurs et où l’humilité prend le dessus.

Dans la musique c’est pareil : une fois qu’on s’ouvre on est tous les mêmes. 

Je me suis demandé alors si Boxes avait été leur thérapie à eux ou s’ils avaient souhaité offrir cet album comme un remède. Certains titres avaient en effet le besoin d’être lâchés. D’autres en revanche ont pour but de faire passer un message. Chaque titre correspond en fait à une période de leur carrière naissante : écris lors une période joyeuse ou dans une période introspective, à se poser des questions et ruminer… On retrouve alors le clair obscur de Black Lilys !

« Les titres ont évolués pendant un temps, il a fallu les figer pour passer à autre chose. Aujourd’hui, ils sont là, mais on peut aussi créer autre chose et ça fait du bien ! » Oui en c’est en cela que Boxes est une thérapie.

Une carrière, des rencontres

Certains titres quant à eux ont été écrit au fil des scènes, grâce à des rencontres, inspirés par des gens d’ailleurs. Et on a senti cette progression. Depuis leur premier EP, Memory Of Blind Mind, leur son a évolué au moment où ils expérimentaient le plus la scène. Les voyages n’y sont pas pour rien. Les tournées leur ont beaucoup appris : rencontrer des gens qui vivent la musique différemment, des accents, des publics qui réagissent de façon surprenante, froids ou chaleureux, présents ou absents… Ils se rendent compte alors qu’il écrivent beaucoup sur les être humains et tentent de décortiquer toutes ces émotions et ces rencontres. On sent que cette source d’inspiration est infinie et que Camille y voit déjà d’autres albums : c’est enthousiasmant ! 

On parle du titre Istanbul, un titre puissant qui transporte. Camille raconte qu’il est né d’un voyage qui la complètement bouleversée. C’était au moment où la jeunesse se révoltait à Istanbul et où les rues, qui ne semblait pas sûre, était surtout porteuse d’une énergie folle et magnifique ! Elle y a trouvé un désir de rencontrer l’autre, avec une ouverture incroyable par rapport à ce qu’on en dit en occident.

Qui sont « les sensibles » ?

Boxes, parlent des sensibles, des gens qui n’arrivent pas à trouver leur place dans la société. On a pu voir en effet que le groupe parle à ses fans en les qualifiant de « sensibles ». Quand ils ont cherchés qui est leur public, ils se sont rendus compte qu’il y avait toute génération confondue : de 6 ans à 90 ans. C’est toujours un étonnement et magique de voir ce mélange et les réactions de chacun. Du petit garçon qui vient demander un autographe à la vieille dame qui vient pour son premier concert. Recevoir les mêmes mots d’amour de la part de gens qui écoutent leur sensibilité.

Parce que la sensibilité est associé à quelque chose de faible… J’ai senti qu’il fallait que j’assume ça… Faisons de nos faiblesses quelque chose de puissant !

Qu’est-ce que Boxes ?

« Boxes, c’est un ensemble de boîtes qui s’incarnent, qui s’ouvrent en live pour raconter leurs histoires et quand le concert se termine elles retournent se fermer à l’intérieur… Boxes, c’est un peu tout ce qu’on a à l’intérieur, lorsqu’on a du mal à être transparent. Bien entendu, c’est aussi important de laisser certaines boîtes fermées, mais il faut assumer les autres pour ne pas être lisse, s’affirmer ». Camille parle par exemple de son végétarisme qu’elle a mis du temps à assumer et revendiquer.

Assume ce qui vibre en toi ! Les boîtes c’est ces petits trucs qu’on enferme et que parfois il serait bon de lâcher pour qu’on soit tous très unique.

Retrouvez notre critique de l’album Boxes

Color My Soul

Voilà un titre qui m’a beaucoup touché parce qu’il est universel, mais murmuré comme si Camille l’adressait à chacun de nous en particulier, presque en privé. Je me posais alors la question de la difficulté de restituer l’intimité de ce titre, si personnel à chacun, lorsqu’on est sur scène et qu’on s’adresse à une multitude.
Les Black Lilys me confient alors que ce titre, comme quelques autres, prennent une autre dimension en live. Ils cherchent à leur donner une autre résonance. Il y a parfois eu plusieurs versions. Pour Color My Soul, s’ils ont choisis de la faire sans fin sur l’album ; en live la fin prend des tournures d’apothéoses et de communion avec le public. Cette chanson parle de bienveillance, des gens que l’on rencontre quelques minutes mais qui nous font du bien et nous inspire. En concert, ils aiment jouer des titres très calme, surtout dans les lieux qui ne s’y prêtent pas : dans des bars, là où les gens n’écoute pas forcément. Robin explique que souvent les titres calmes ramènent l’attention bien plus que ceux qui envoient où les gens parlent par dessus. « Le fait de parler de façon frontal et personnel amène le public à tendre l’oreille. »

En concert

Sur scène ils sont souvent deux, mais de plus en plus trois, avec un percussionniste, Jean-Noël Godard qui est vraiment la personne qu’il leur fallait : « Quelqu’un de très fin et précis ». Dans les salles qui ne sont pas assises, ce troisième membre du groupe aide à fédérer l’audience. A deux, entre le pad de Camille qui lance des séquences et le kick de Robin, ils arrivent à redonner l’ampleur de leur titres. Robin confie que c’est plus facile d’être à trois, même si à deux l’exercice est différent et qu’ils aiment faire sonner leur musique ensemble. Ce sont en final deux expériences différentes aussi pour le public qui redécouvre certains titres.

On aime bien adapter notre musique au lieu

Le lendemain nous avons pu assister à un showcase privé pour l’agence Circonflex.
Dans le brouhaha de cette soirée de networking très animée, la voix de Camille s’est élevée et la guitare de Robin est venue la rejoindre. Peu attentif, l’assistance s’est laissée petit à petit happer par leur bulle bienfaitrice. Camille réussit à capter quelques regards, récolte des sourires. Nous sommes complètement sous le charme qui opère peu à peu et s’insinue progressivement en chacun de nous comme un doux poison. On regrette que la petite demi heure de concert passe aussi vite. Les conditions ne sont pas optimales, mais le son est plutôt bon. On a hâte de les entendre dans un contexte qui s’y prête mieux.

Inventer un langage

Mama Bi Mena est un titre qui m’intrigue aussi : de quelle langue s’agit-il ? C’est en fait un mélange. Camille est allé au Burkina Faso où elle donnait des cours d’anglais et de français. Les enfants lui apprenaient un mot de sa chanson et elle leur apprenait d’autres mots en échange. C’est en parti du Dioula. Camille explique : « Je ne sais pas si ça veut dire exactement tout ce que je voulais dire. Une fois quelqu’un du Burkina Faso m’a dit qu’il avait compris ce que je voulais dire. Même si la prononciation n’est pas la bonne c’était chargé de tout ce que je voulais raconter de ce voyage.« 

J’ai encore ce rêve d’écrire des chansons dans un langage qui est le mien, de l’inventer. Pour dire que, que ce soit en anglais, français… en langage oiseau… quand on y met quelque chose à l’intérieur on peut le communiquer à tout le monde !

Ce sera sûrement le cas d’une de leur future chanson : « Yalakta, ça ne veut rien dire mais il fallait que cette chanson porte ce nom« . Ils ont commencé à inventer des mots qu’ils chargent d’émotions. « La langue parfois limite l’émotion. S’il n’y a qu’un mot pour dire « je t’aime » il y a pourtant plusieurs façon de le dire et de le charger d’une émotion différente ».

Création de sons

Dans Boxes, on réalise qu’il y a un langage sonore aussi. De multiples sons hantent les morceaux. Ils ne sont pas instrumentaux. Mais d’où sortent-ils ?
C’était le défi de l’album. De créer plein de bruits, de sons organiques et de les transformer en les enregistrant de façon plus électronique. Wrong Timing par exemple, où l’on entend le bruit d’un frottement de pantalon. « On devenait presque fou parce que chaque bruit qu’on faisait même par accident devenait un nouvel instrument, un nouveau son pour tel ou tel titre. » Le gravier, le bruit d’une goutte d’eau dans une bassine…  » Tu regardes ta vaisselle différemment. » Ils se sont enfermés avec Jean Bertrand André, leur réalisateur, qui les pousse à parler de leur titre, trouver la sonorité exacte avec ce qui les entoure, leur voix… et à tout enregistrer sur le vif.

Le folk et l’atmosphérique comme source d’inspiration

Robin adore la musique calme ; c’est ce qui l’inspire le plus. Patrick Watson, Daughter… beaucoup de musique islandaise comme múm, Ólafur Arnalds (qui les a beaucoup inspiré), Cosmo Sheldrake… Ben Howard… Mais aussi Thylacine, Ry X !

J’adore ces artistes qui ont une aura, qui disent « j’arrive avec mon truc et vous allez prendre le temps si vous voulez écouter ma musique. Il n’y aura pas d’efficacité ! » Tout est sur un fil, il faut être à l’écoute et le moindre bruit peut changer le concert.

S’en suit une longue discussion et un échange musical sur les tendances du moment et l’importance de s’en détacher ; sur les artistes qu’on aime, qui font une sorte de crise d’ado… Asaf Avidan, Feist… On parle de progressif, de psyché… on dérive… on découvre Deux Boules Vanille une recommandation qu’on note. On parle aussi de Buridane, une autre artiste lyonnaise que nous affectionnons par la qualité de ses textes et sa faculté à manier la langue avec brio et sensibilité.

La suite…

Beaucoup de dates à venir, notamment de petits festivals :

  • 27/04/18 @ Zamaï Ostatia | BAYONNE (64)
  • 05/05/18 @ Le Caméléon | PONTOISE (95)
  • 17/05/18 @ Le Marché Gare I LYON (69) – Release Party
  • 30/05/18 @ Le Ferrailleur | NANTES (54)
  • 14/06/18 @ Les Valseuses | LANNION (22)
  • 16/06/18 @Fête de la Musique I TREGASTEL (22)
  • 22/06/18 @ Balade en Musique | LA CHAPELLE SAINT-MESMIN (69)
  • 16/06/18 @ Festival sur la Remorque de Pat I MAIZEROY (22)
  • 07/07/18 @ Crussol Festival | CRUSSOL (26)
  • 10/08/18 @ Nunabar | SIX-FER-A-CHEVAL (74)
  • 11/08/18 @ Les Apéros de Besle I BLESLE (42)
  • 13/08/18 @ Rock N’ Camp I GOUDET (43)

Et puis on devine rapidement que la tournée sera une nouvelle opportunité pour composer.
On est curieux, on a hâte d’entendre de nouveaux titres pour les laisser colorer notre âme qui reste une page blanche à peine esquissée lorsqu’on les quitte.