I Came Home Late, le nouvel album d’Ama Lou confirme ce qu’annonçaient son premier single TBC (acronyme de To Be Confirmed) en 2016 et tous les autres titres qui ont suivi. Ama Lou occupe une place à part au rang des artistes qui portent le RnB vers un rap alternatif, une pop hybride et un style néo soul assumé.
Sa musique fait résonner une pensée juste, elle inspire et respire une humanité emblématique de toute une génération bien ancrée dans notre époque. Artiste engagée, qui s’est démarquée avec ce premier titre TBC qui dénonçait les tueries policières contre les afro-américains, en référence à Éric Garner mort le 17 juillet 2014 dont les derniers mots I can’t breathe préfigurent hélas la mort de George Floyd le 25 mai 2020. Mais ne nous méprenons pas, Ama Lou ne se résume pas à un engagement politique.
Son style mixe, condense l’excellence à la fraicheur, la nostalgie à l’efficience, la modernité à l’héritage. Les sources d’inspirations s’étendent de Gil Scott-Héron à Ella Fitzgerald, Billy Holiday, Dolly Parton pour n’en citer que quelques-unes.
Cette jeune artiste qui vient des quartiers du Nord de Londres, en plus d’avoir une solide culture musicale, (avec une prédilection pour le RnB des années 90), dispose d’une intelligence dans l’écriture de ses textes, ainsi qu’une esthétique cinématographique dans ses clips.
Le clip tryptique, qui illustre l’EP DDD, écrit et réalisé par Ama Lou et sa grande sœur Mahalia John inaugurait un sens de l’image et de l’humour, qui puise ses références dans l’univers de Quentin Tarantino. L’idée du clip a précédé le titre, ce qui révèle un processus créatif singulier. Ama Lou est intervenue à toutes les étapes de ce projet artistique, d’où le caractère abouti et inventif.
Ama Lou a étudié la musique dès l’âge de 8 ans. À 11 ans, elle a pris des cours de chant puis après l’université elle s’est rendue à Los Angeles pour étudier le rap dans son environnement naturel. Ce cheminement nous donne les grandes lignes d’une vocation, d’une réflexion et d’un travail artistique perceptibles dans ses œuvres.
Adoubée par Drake, qui cite Ama Lou comme la muse de son album Scorpion en 2018, elle fait la première partie de Jorja Smith lors de sa tournée aux Etats-Unis la même année. C’est pour cela qu’on l’associe souvent à cette chanteuse et à Mahalia, qui comme Olivia Dean, Rachel Chinouri, Greentea Peng entre autres…représentent la scène féminine anglaise très charismatique. Elle fait partie de cette mouvance des artistes londoniens qui font entendre un RnB contemporain, avec cette touche britanique si audacieuse.
Silence, extrait de l’album I Came Home Late, sorti en août 2023, suspend ce souffle créatif, porté par cette voix au timbre rauque, qui résonne de façon si particulière. Un titre éloquent qui évoque la force que l’artiste puise dans le silence « Silence don’t bring me down. It’s got that kinda charm that resurrects. So bring me silence » confie-t-elle. On peut traduire par le silence ne me déprime pas. Il a ce genre de charme qui ressuscite. Alors apporte-moi le silence.
Le silence qui précède la création, représente en même temps l’intuition qui fait naître une oeuvre et donne vie à ce qu’on ne soupçonne pas de soi. Avant le chaos, le tumulte, l’agitation, s’intalle dans l’instant la paix. Le clip illustre bien ce paradoxe, Ama Lou y apparaît seule au premier plan, la nuit. Puis, elle trône au centre d’une formation de danseurs, qui font, avec elle, la même chorégraphie. C’est le premier clip qui met autant l’accent sur la danse. On retrouve cette notion de clan, de « crew » qu’elle met toujours en avant. On peut y lire une référence avec certains clips de Michael Jackson, dans l’énergie, la composition d’ensemble,l’ambiance, les effets spéciaux et le travail sur la lumière.
Avec cet album, Ama Lou creuse son sillon, à chaque fois ni tout-à- fait la même, ni tout-à-fait une autre, citation empruntée à Paul Verlaine, qui lui rend justice.