Eliud Kipchoge : Le Maestro de la course de fond

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Qu’est-ce qui, en dehors d’un objectif à atteindre, vous pousse, vous motive à vous investir dans la pratique de votre sport ? Certainement que vous êtes un(e) passionné(é) ou que vous l’êtes devenu(e) ! Mais nous voulons parler ici d’un investissement personnel qui dépasserait le cadre du simple loisir. Pour quelles raisons se faire violence, repousser ses limites jour après jour, pour un objectif qui pourrait sembler hors de portée ? Le véritable trésor du sportif se trouve-t-il ailleurs que dans la performance pure ? Chers amis sportifs, tournons-nous vers Maître Eliud Kipchoge pour le savoir.

Car s’il y a bien un maître de la course à pied sur Terre à l’heure actuelle, c’est bien lui ! Pour les coureurs et les adeptes du marathon, c’est un nom incontournable. Une fois n’est pas coutume, les terres Kenyanes ont donné naissance à une machine à dévorer les 42 kilomètres de l’exercice sur des allures stratosphériques pour la distance…plus de 20 Km/h !

Alors certes, ils sont déjà quelques-uns à pouvoir tenir ce rythme de course effréné pendant un peu plus de deux heures. Mais Eliud a décidé de marquer de son empreinte sa discipline, avec une performance que certains pensaient impossible à réaliser sans tuer un être humain !

Revenons un peu plus en détail sur cette performance du Maître ; et tentons de découvrir, à la lumière de sa sagesse, où se trouve le véritable trésor de l’amoureux du sport.

 

Le défi de l’impossible

Le défi fou tenté par Eliud, est à l’origine d’un projet lancé par l’équipementier Nike en 2016, ayant pour but de répondre à cette question : « L’être humain peut-il courir un marathon en moins de 2 heures ? ». Car dans le monde des marathoniens, les athlètes sont aussi bien connus par leur nom que par leur temps. Si vous courez en 2h05, vous êtes connu comme un coureur en 2h05. Avant 2016, les meilleures performances mondiales se situaient autour de 2h04. Le monde ne portait qu’un seul homme sous la barre des 2h03, un autre Kenyan décidément, un certain Dennis Kipruto, (2h02min 57sec en 2014 à Berlin).

Alors certes, selon les conditions de course notamment la température extérieure, l’altitude du terrain et le vent, les coureurs se retrouvent dans des configurations plus ou moins idéales pour établir un record. Mais ces chiffres sont tout de même révélateurs de la limite humaine en course à pied. En résumé, si on parvenait à réunir toutes les conditions favorables à la réalisation d’un nouveau record du monde sous la barre des 2 heures, cela reviendrait à battre la meilleure performance de l’époque de 3 minutes ! Rendez-vous compte, en 3 minutes, à 21km/h, le coureur parcourt plus d’un Kilomètre. Courir en moins de 2 heures signifierait battre Dennis Kipruto en 2014 avec un kilomètre d’avance ! Et lorsqu’on connait la marge de progression des athlètes de ce calibre qui est extrêmement faible, cet objectif tient plus de la folie que du projet !

Et pourtant, Nike n’abandonnera pas l’idée. Dès 2016, 3 athlètes triés sur le volet par des experts de la performance sont sélectionnés pour participer au projet de l’impossible. Tous sont nés sur les plateaux d’Afrique de l’Est. La terre sacrée des marathoniens ! Parmi eux, on retrouve inévitablement notre homme Eliud Kipchoge et aussi les dénommés Lelisa Desisa et Zersenay Tadese.

Originaire d’Ethiopie, Lelisa, 26 ans en 2017 est le plus jeune des trois. C’est aussi le plus jeune coureur de l’histoire a remporté un marathon à seulement 22 ans en 2013 à Dubaï. Un athlète très prometteur donc et qui impressionnera très vite lors des tests de performance effectués par Nike, révélant sa capacité hors normes à utiliser l’oxygène pour produire de l’énergie pendant son effort.

Zersenay, lui vient d’Érythrée. Jeune, c’est le cyclisme qui l’intéressait mais les vélos étaient trop chers pour qu’il puisse en obtenir un. Il déclare ne jamais avoir voulu courir mais on ne lui a pas trop demandé son avis. En effet, pour aller à l’école, pas d’autre choix que de s’y rendre à pied et en courant bien sûr, car sinon, faire 14 kilomètres de marche l’aurait souvent mis en retard ! Une habitude prise très tôt qui l’amènera à devenir le recordman du semi-marathon à l’époque et le premier médaillé Olympique de son pays. C’est aussi le vainqueur du marathon de Boston en 2013 lors de l’attentat qui le poussera à remettre sa médaille d’Or à la ville et revenir en gagner une pour lui l’année suivante !

Et enfin, bien sûr, nous retrouvons, le Kenyan de 34 ans en 2017, qui était déjà pressenti favori pour se rapprocher du nouveau record. Il faut dire qu’Eliud s’élançant d’un marathon c’était une médaille d’or quasi assuré à chaque fois. Sur neuf marathons courus, il en remporta huit ! Mais en dehors du palmarès du Kenyan qui fit ses armes plus tôt dans sa carrière sur les pistes d’athlétisme (avec du 5000m au programme notamment), il possède une économie de course jamais vue ! En d’autres termes et pour faire simple, Kipchoge, même sur des allures démentes, dépense relativement peu d’énergie pour le rythme qu’il impose à son organisme. Mais certes, cela n’évite pas au coureur de souffrir lors de son effort. Et tout comme Lelisa et Zersenay capables d’assimiler de grandes quantités d’oxygène en courant tout en sécrétant peu d’acide lactique, les analyses physiologiques des 3 champions sont le reflet d’un talent et d’un travail physique phénoménal.

Et pourtant, malgré cela, Eliud et ses acolytes ne partent pas gagnants pour vaincre le chronomètre. Car bien qu’on réunisse toutes les conditions favorables en les faisant prendre le départ sur le circuit mythique de Formule 1 de Monza en Italie, il faut encore faire ce qu’aucun humain n’a jamais réalisé. Courir pendant 1h59 et 59 secondes à plus de 21Km/h. Car même si les capacités physiologiques de ces athlètes semblent suprahumaines, il n’en demeure pas moins qu’ils vont devoir marteler leur corps pour garder ce rythme surréaliste. Et effectivement, passer la mi-course, les premiers signes de fatigues apparaissent.

Lelisa, le plus jeune décroche petit à petit du groupe et quelques kilomètres avant l’arrivée, c’est Zersenay qui ne parvient plus à tenir ce train d’enfer. Eliud était donc le dernier espoir pour faire tomber le record mais à cette vitesse maintenue pendant plus d’une heure et demie, même le maître finit par serrer les dents. Le champion Kenyan va employer toutes ses ressources physiques et mentales pour démentir l’opinion scientifique selon laquelle aucun homme ne pourra descendre sous les deux heures avant 2075. Et à l’arrivée, Kipchoge termine son effort 25 secondes après la barre « infranchissable » des 2 heures. Une performance inouïe, un nouveau record mais un échec relatif au vu du projet fou de vouloir repousser les limites humaines. Mais comment Eliud a-t-il fait pour améliorer un record du monde de 2 min 30 lorsqu’en théorie à ce niveau, il ne devrait être possible de l’améliorer que de quelques secondes ?

 

L’approche mentale du Kenyan

La réponse se trouve peut-être dans l’approche mentale du Maître, car même si une excellente préparation physique est fondamentale pour établir ce genre de performance (et autant dire qu’il n’y a pas grand-chose à améliorer dans le programme d’entrainement du Kenyan), il accorde une importance au moins tout aussi sérieuse à sa préparation mentale.

Il est possible d’évaluer l’impact de notre entrainement physique sur nos performances, mais pour ce qui est du mental c’est une autre histoire. C’est peut-être pour cette raison que cette préparation est souvent négligée ou du moins pas aussi prise au sérieux que l’entrainement pur. Mais pourtant, s’il y a bien une des deux préparations que le Maître de la Course semble privilégier c’est bien celle qu’on ne peut pas mesurer avec des outils scientifiques. Surprenant, mais rassurant pour le commun des sportifs, car on ne peut pas tous être au niveau de forme physique d’un athlète de niveau international, mais il est plus accessible de parvenir à leur niveau de détermination mentale.

Lorsqu’on analyse le point de vue d’Eliud Kipchoge, on comprend bien que le mental est la base de l’entrainement dans sa globalité. Le point de départ c’est de savoir qui nous sommes, de prendre le temps de nous connaitre, de nous analyser, de comprendre pourquoi nous faisons ce que nous faisons et où nous espérons aller en le faisant. Une démarche mentale qui dépasse déjà le cadre du sport. Mais dans le cas de Kipchoge, ce schéma l’amènera à découvrir que sa quête la plus profonde dans la course n’est pas le succès ou la reconnaissance d’autrui, mais le fait de pouvoir devenir une source d’inspiration dans l’idée que nous sommes capables de plus que les autres peuvent penser de nous, ou que l’on peut penser de nous-même.

Sa devise et sa conviction est qu’aucun homme n’est limité par son physique, sa culture ou son passé pour repousser ses propres limites en se concentrant sur un objectif à atteindre et en y employant toute sa force. Pour le Maître, le succès ne se trouve pas à la ligne d’arrivée mais dans notre propre cheminement qui nous y amènera. Un cheminement qui est l’image de nos convictions que nous cherchons peut-être à vérifier. Se prouver à soi-même que ce qui est notre source d’inspiration est réelle. Et qu’elle peut devenir porteur d’un message pour d’autres.

Pour y parvenir, Eliud Kipchoge explique que les sacrifices sont incontournables. Mais il nous dévoile une clé pour que ces derniers ne soient pas aussi pesants qu’ils le laissent entendre. Cette clé, c’est la motivation de trouver la « vraie liberté » grâce à la discipline. Le Maître explique que sans être rigoureux, on ne peut pas prétendre être libre mais qu’on reste au contraire esclave de ses humeurs.

Voir les sacrifices et les efforts comme la clé d’un accomplissement réel, voilà peut-être où se trouve la force du Kenyan. Courir non pas après une médaille ou des titres, mais pour changer l’esprit humain et défendre une idée qui est sa source d’inspiration « Nous sommes capables de plus que nous l’imaginons ».

Une mission à terminer : Un marathon en moins de deux heures

Alors quand on connait le Champion sous cet angle, on n’est pas surpris qu’après sa tentative infructueuse à Monza et de retour à son camp d’entrainement à Kaptagat au Kenya, il a continué de travailler. Il considère paradoxalement la course comme un sport d’équipe. Lors des entrainements, les coureurs en meilleure forme tirent vers le haut ceux qui le sont moins, et ainsi l’énergie et la force du groupe forgent chaque athlète mieux qu’il ne le pourrait seul. Cette forme d’humilité en reconnaissant qu’on a besoin de l’aide des autres, transparait aussi dans la vie quotidienne des athlètes dans ce camp d’entrainement.

Tous sont des athlètes de niveau international, certains sont médaillés olympiques, détiennent plusieurs records ou sont millionnaires. Pourtant, chacun semble rester fermement attaché à la simplicité et au partage. En effet, dans le camp où il passe six jours de leur semaine, ces mêmes athlètes assurent l’entretien des lieux et toutes les tâches ménagères que d’autres pourraient juger être une perte de temps dans le cadre de leurs objectifs sportifs. Et pourtant, cette philosophie semble resserrer les liens entre les coureurs qui prennent le temps d’échanger entre eux.

Une philosophe de vie humble qui rapproche le jeune athlète sans palmarès d’un coureur comme Eliud qui pourrait se considérer meilleur que les autres. Voir les meilleurs, donner l’exemple de cette manière inspire remarquablement les jeunes Kenyans qui admirent et respectent leurs ainés qui ne semblent pas rechercher cette admiration. Un état d’esprit aussi relayé par le coach et « père adoptif » d’Eliud Kipchoge, l’ancien Champion et aussi coureur Kenyan Patrick Sang.

Le 12 Octobre 2019, Eliud Kipchoge nous donne rendez-vous à Vienne en Autriche pour retenter l’impossible. Et même s’il avouera par la suite qu’après le 30ème kilomètre son esprit ne laissait pas le choix à son corps de garder le rythme, le Kenyan, durant toute la course, donna une impression de facilité déconcertante dans ses foulées. Une performance sportive saluée par la foule Autrichienne venue en masse pour être témoin d’un évènement historique car c’est le sourire aux lèvres qu’Eliud Kipchoge franchira la ligne d’arrivée en 1h59min et 40 sec. Pari gagné pour le Maître qui démentit l’idée selon laquelle il faudrait attendre encore 55 ans avant d’assister à un tel exploit. Et surtout, preuve donnée que nos limites ne nous limitent pas mais que nous avons le pouvoir de les fixer.

A son retour chez lui au Kenya, il sera attendu pour être fêter comme un héros, mais fidèle à lui-même Eliud passera presque inaperçu à sa sortie de l’aéroport, il voulait simplement rentrer chez lui avec sa famille. Mais il ne cachera pas son émotion devant les réactions du public. Pour lui, le plus important est accompli, son message a été transmis avec une preuve en chair et en os ! L’importance de la force d’une idée et non de la gloire personnelle, pour faire évoluer l’état d’esprit de chacun vis-à-vis de sa propre vision de lui-même, voilà la plus grande réussite d’Eliud Kipchoge.