Ori and the Blind Forest: le jeu est un art (TEST)

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Alors que la sempiternelle guerre des consoles fait rage, Ori and the Blind Forest arrive à point nommé sur Xbox One. D’une nature polymorphe, Ori se veut être un jeu 2D du type « Metroidvania » avec des phases de plateforme bien marquées. Cette exclusivité réalisée par les petites mains du modeste Moon Studios s’annonce comme une plume délicate et avec elle, s’envole les doutes de Microsoft.

C’est l’histoire de la vie !

L’Arbre-Esprit a perdu l’un des siens pendant une tempête, cette petite créature orpheline s’appelle Ori. Alors qu’elle est seule et abandonnée dans la forêt Nibel, cette tendre frimousse, à mi-chemin entre un renard blanc et un écureuil, est recueillie par le pataud Naru. Ces deux êtres si différents vont se soucier l’un de l’autre et vivre en parfaite harmonie jusqu’à ce que de sombres événements entrainent le trépas de la forêt… Cette entrée en matière paraît enfantine, et ce n’est pas anormal car Ori and the Blind Forest fait du rêve et de la féerie une des ses forces. Mais loin d’être débilitante, l’histoire saura vous rappeler dès les premières minutes de jeu que la mort n’épargne personne. Moon Studios frappe fort, en créant d’abord l’émerveillement pour mieux le briser net ensuite, déstabilisant par là même le joueur. Un vent de désespoir et de destruction souffle sur la forêt, mais Ori renaît et avec, l’espoir. L’aventure commence alors, et comme dans tout cheminement initiatique, le joueur se retrouve guidé en la personne de Sein, une boule d’énergie. Avec Sein, Ori va s’éveiller, découvrir sa nature profonde et affronter courageusement la terrible chouette Kuro. Pour ce faire notre « écureuil » blanc devra braver monts enflammés, marais et tropiques, pour libérer les éléments et permettre à la forêt de revivre. Ori and The Blind Forest n’est pas un conte pour enfants, il est bien plus. C’est une allégorie du passage de l’enfance à l’âge adulte, avec des interrogations sur la place de chacun dans le monde. Le jeu fait résonner en chacun de nous les grandes émotions universelles telles que la solitude, le courage et l’amour. Certes, vous n’aurez pas ici des cinématiques clinquantes et démonstratives, mais la narration suffit à elle seule à vous prendre aux tripes. La voix-off de l’Arbre-Esprit narre avec mystère, à cela s’ajoute la puissance des flashbacks et le tout est sublimé par des images à la qualité artistique très soignée. Il n’en faut pas plus pour que la magie du jeu opère. La musique parfaitement orchestrée est magnifique, elle véhicule avec justesse les émotions et les ambiances de chaque environnement.

Une rencontre touchante !
Une rencontre touchante !

Ori and The Blind Forest épure son casting, il n’y a que peu de personnages et certains sont plutôt en retrait. Loin d’être un défaut, ce choix s’avère même judicieux. Plutôt que de se perdre dans la multiplicité des personnages, Moon Studios a privilégié la qualité à la quantité. Outre l’adorable Ori, le joueur peut compter sur l’omniprésence de Sein, l’un des rares personnages parlants. A la fois mentor et compagnon de combat, Sein est à l’image de l’Arbre-Esprit, douée de parole. Naru à l’instar d’Ori est plutôt silencieux, son caractère se dégage principalement de sa gestuelle et de sa morphologie. Cette peluche rondouillarde respire la bienveillance mais aussi la force, qu’elle n’use que par nécessité. Moon Studios est passé maitre dans l’art de rendre ses personnages attachants par l’esthétique et l’animation, s’inspirant de films d’animation cultes comme Le Roi Lion. Gumo n’est peut-être pas la créature que l’on prendrait dans ses bras au premier abord, surtout quand sa forme nous rappelle l’araignée tapie sous le lit, mais ses grands yeux ronds expressifs et ses mouvements affolés, la rendent sympathique. Le joueur en vient à la prendre en pitié, à éprouver de la compassion et Ori n’est surement pas indifférent à cette démarche. S’il fallait décerner la palme de l’interprétation animale, elle irait sans conteste à la chouette géante Kuro. Contrairement à Ori, sa présence est reconnaissable par des cris à la fois très « volatiles » et spectraux. Ses positions, ses griffes et ses yeux luminescents la rendent hostile. Pour autant, Ori and The Blind Forest n’est pas manichéen, la démarche de Kuro pourrait en surprendre plus d’un…

Kuro embrasse le monde de la nuit.
Kuro embrasse le monde de la nuit.

Sortez vos pinceaux !

Avec la génération actuelle de consoles, les joueurs en oublieraient presque que le jeu est aussi une affaire d’esthétisme. Certes, il existe bien des jeux qui dépensent des millions de dollars dans des graphismes à la pointe du réalisme. Mais combien irradient vraiment d’émotions ? Un jeu ne doit pas être seulement une vitrine, il doit provoquer des remous, bousculer nos habitudes visuelles et toucher l’âme. Les détracteurs des jeux vidéo diront qu’un jeu est visuellement fade, se contente de diffuser de la violence et que la portée pédagogique se limite à « taper sur des touches ». Ori and The Blind Forest leur donne tort, car la première chose que l’on retient d’Ori, c’est cette beauté folle, mélancolique et onirique. Ces Illustrations peintes à la main avec des couleurs chatoyantes, détaillées et dont les nuances ne cessent de nous étonner. Le jeu de profondeur entre premier plan animé et second plan fixe fonctionne très bien, l’un vient renforcer le pouvoir de l’autre. L’idée de Moon Studios était d’élever la 2D au rang d’art, de faire d’Ori and The Blind Forest «une peinture qui prend vie » et c’est une parfaite réussite. La végétation agitée par le vent, les ondulations de l’eau, le bruissement de la lave en fusion paraissent naturels et limpides, la vie s’anime devant nous et en ressort grandie. Ori and The Blind Forest nous fait voyager grâce à ses environnements divers et variés. Une zone ne se limite pas à une atmosphère, elle évolue peu à peu dans ses couleurs et dans sa forme. Ainsi le Marais Malépine va nous accueillir par des tons verts et des cocons pour nous faire atterrir droit dans un endroit tropical, alimenté par une magnifique cascade, peuplé de poissons agressifs et de « rhinocéros ». Le Bosquet Creux, le Bois Brumeux et la Grotte Sélénienne sauront tout autant vous surprendre ! La direction artistique a fait un travail magistral dans Ori and The Blind Forest, les effets de lumière sont incroyables.

Ori and The Blind Forest Tropiques
Les paysages varient à l’intérieur même d’une région

Une beauté exigeante et ORIginale

Ori and The Blind Forest aurait pu tomber dans le travers de la facilité et de l’égocentrisme, se contentant d’exposer sa vitrine artistique. Mais le joueur comprend très vite à ses dépens, que le jeu ne sera pas toujours une partie de rigolade. Disons-le clairement, vous n’avez pas fini de mourir. Les statistiques pour une première partie ne sont pas glorieuses, et pour cause, votre Ori va connaitre bien des morts et parfois assez violentes. Ori and The Blind Forest est un Metroidvania qui ne fait pas dans la demi-mesure, bien au contraire, d’une zone à une autre, la difficulté vous donnera des sueurs froides. La caméra ne sera pas toujours votre amie, certaines créatures hors champs, à la limite de votre perception, seront bien contentes de vous mitrailler à distance. La faute au recul de la caméra, un parti pris de Moon Studios pour souligner la grandeur de son monde. Le studio n’attend pas que le joueur progresse pour lui mettre un coup de pression. Et le vice ne s’arrête pas là ! Ori and The Blind Forest vous propose un système de sauvegarde sur mesure. Vous êtes libre de sauvegarder quand bon vous semble (excepté devant des ennemis, cela va de soi), rien de plus normal me direz-vous… Et pourtant à chaque fois que vous conservez votre progression, vous faites le choix de dépenser de l’énergie, énergie qui s’avère précieuse pour attaquer ou déverrouiller des portails. Le jeu vous pousse donc à choisir entre être prudent ou avancer efficacement. Comme tout Metroidvania, les zones se débloquent à mesure que vous apprenez de nouvelles aptitudes. Du saut sur les murs à la flamme attisée en passant par le double saut à la capacité d’écraser ou la plume de Kuro… Le gameplay s’enrichit constamment, vous demandant d’être un as de la manette, car l’approximation ne sera pas tolérée. Les phases de plateforme sont nombreuses, elles peuvent paraître évidentes quand elles se présentent à vous, et pourtant, elles vous demanderont de la justesse, un sens parfait du timing et de savoir combiner les différentes capacités d’Ori au bon moment. Pour libérer les éléments (l’eau, le feu et le vent), Ori doit surmonter les terribles épreuves d’un « donjon », qui aura surement raison des nerfs des plus coriaces d’entre vous. Mais l’enjeu en vaut la chandelle, car le joueur se retrouve gratifié d’une cinématique enchainant parfaitement et sans transition avec votre prouesse.

Préparez-vous à la montée des eaux !
Préparez-vous à la montée des eaux !

Moon Studios définit Ori and The Blind Forest comme un Medroidvania avec « des éléments RPG », effectivement, à chaque progression de niveau, vous pouvez dépenser des points de compétence dans trois branches différentes : l’une boostant l’attaque, l’autre vous conférant des avantages vie / énergie / et la dernière valorisant les bonus généraux (comme respirer sous l’eau). Explorer a donc un double intérêt : se faire de l’expérience en tuant des monstres et dénicher des cellules de compétence mais aussi augmenter vos chances de progresser plus facilement. Celui qui fait des allers-retours pour trouver des cellules d’énergie et de vie pour les accroître, qui déverrouille un maximum de compétences dans les trois branches, sera moins embêté que celui qui trace en ligne droite avec peu de cordes à son arc. Certains joueurs ne se sentiront pas motivés par l’enjeu, d’autres en revanche voudront percer tous les mystères de la forêt. Entre les fragments de carte, les passages secrets, les cellules de compétence inaccessibles, il y a largement de quoi faire dans Ori and The Blind Forest. Il est parfois complexe de savoir dans quelle direction aller, l’absence d’indication peut parfois vous pousser à tester des voies infranchissables vous conduisant à des morts absurdes. La durée de vie du jeu s’étend entre 7 et 12h selon votre motivation, si vous êtes un fonceur en ligne droite ou un curieux invétéré. Ori and The Blind Forest devrait être un défi de choix pour les chasseurs de Trophées : entre finir le jeu sans dépenser de points de compétence et terminer le jeu sans mourir, les challengers seront servis.

Ori and The Blind Forest avait éveillé l’attention à l’E3 2014 et ce, à juste titre. Loin de défaillir, le jeu tient ses promesses, transportant le joueur dans un monde enchanteur où les menaces sont légions. Esthétiquement émoustillant, Ori and The Blind Forest fait la part belle à son gameplay, diversifié et exigeant pour mieux servir son propos car le jeu dans sa totalité incarne avec brio le passage de l’enfance à l’âge adulte, un cheminement essoufflant, éreintant, truffé de pièges mais toujours teinté d’une note d’espoir.

N’hésitez pas à regarder notre capture réalisée sur la Xbox One du début d’Ori (pas de spoilers)