Serve the people, film érotique aux émotions fortes

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Serve the people

Serve the People est un film dramatique, érotique et romantique sud-coréen de 2022, réalisé par Jang Cheol-soo. Le film se déroulant dans un pays socialiste fictif très similaire à la Corée du Nord dans les années 1970, est sorti en salles le 23 février 2022 en Corée du Sud.

Synopsis

Serve the People dépeint une romance entre Mu Gwang, un soldat modèle dont le seul but dans la vie est d’être promu, pour subvenir aux besoins de sa femme et de son enfant, et Su-ryun, la jeune épouse du commandant de division.

Distribution

Yeon Woo-Jin – Mu-Gwang
Ji An – Soo-Ryun
Cho Seong-Ha – Commandant de division
Ri Min – Sang-In

Titre

Le titre, Serve the People fait référence à une phrase créée à l’origine par Mao en 1944, dans un article du même nom qui commémorait la mort d’un soldat de l’armée rouge. Pendant la Révolution culturelle, cet article était une lecture obligatoire pour des millions de Chinois et le slogan était largement utilisé.

Le film est basé sur le roman éponyme de l’écrivain chinois Yan Lianke. Publié en 2005, le roman a été immédiatement interdit après sa publication par le gouvernement chinois, pour insulte et satire de la pensée Mao Zedong. Hors de question que le slogan politique Serve the People annoncé par Mao Zedong soit employé dans le cadre d’un jeu sexuel. Il a été publié dans environ 20 pays et a reçu un excellent accueil.

La petite planche en bois semble être le centre et le fil conducteur de toute la trame. Le devoir de tout bon soldat donné par le chef suprême est de servir le peuple. Le sens de cette petite plaque est très vite expliqué : La faucille et le marteau représentent la révolution du prolétariat, les épis d’orge gravés à côté symbolisent une récolte abondante et l’étoile rouge représente un avenir brillant. Le commandant de la division accorde plus d’importance à ce signe qu’à sa vie. Ce même commandant choisi Mu-gwang pour servir sa femme. Impossible de ne pas faire le rapport avec les concubines qui couchaient avec le roi. « Qui le servaient ».

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Serve the People

L’affiche

Du moment où Soo-ryun, l’épouse du commandant, utilise cette plaque comme une lumière derrière une fenêtre qui avertirait les bateaux, la porte entrouverte de l’affiche nous presage ce que le soldat regarde si attentivement. Il s’agit d’une toute petite fissure mais, comme la petite plaque, elle représente le désir interdit. Le danger. L’excitation. On ne peut presque pas s’empêcher d’entendre dans notre tête, les accords de cette composition extraordinaire de Shigeru Umebayashi, le thème principal du film du réalisateur hongkongais Wong Kar-wai, In the mood for love.

Impressions

Une obsession qui tourne en rond et qui touche de trop près la folie ? Ou s’agit-il plutôt d’une vampirisation sournoise en bonne et due forme ?

La femme d’un très haut gradé, se sert d’un soldat pour assouvir ses désirs refoulés. Le huis clos ferme ses portes très très vite, au sens propre et au sens figuré, et après toutes ces scènes magnifiques des deux corps faisant l’amour, on se dit… mais encore ? Le sujet déclencheur est abordé si subtilement que même si le spectre du film « A frozen flower », film érotique sud-coréen réalisé en 2008 par Yoo Ha, est plus qu’omniprésent, on n’arrive pas tout à fait à faire la liaison. Cela semble un calque mais il manque quelque chose d’essentiel.

On pourrait se dire tout simplement que cette femme ne s’éclate pas avec son mari. Ou qu’elle est « en chaleur » et qu’elle veut se faire ce soldat innocent. Mais du moment où l’on comprend que le mari en question est impuissant, le film prend une toute autre tournure. Une nouvelle explication s’ouvre à nous, qui ne comprenons pas pourquoi elle n’a pas peur du retour de son mari, ni des conséquences. Oui, d’accord, si on rationalise, on se dit que si elle tombe enceinte, elle fera croire à son mari qu’il s’agit de son enfant. Non, mais, attendez, ce n’est pas possible…

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Yeon Woo-Jin et Ji An

Ces minuscules bouts de mie de pain que le Petit Poucet laisse tomber pour retrouver son chemin, sont très vite avalés par les oiseaux. Un tout petit commentaire qui donne plus d’importance au fait que le commandant ait deux balles dans son corps à cause d’un incident, qu’à l’endroit où elles se sont logées. Une balle reçue dans l’aine ne veut pas dire que. Pourquoi y a-t-il du sang sur le lit lors de leur premier rapport ? Ces deux éléments absolument basiques passent presque inaperçus. Une maladresse de la part du réalisateur ou une volonté consciente de sa part de nous cacher, à nous et au soldat, qu’il est en train d’être utilisé, justement, pour une éventuelle grossesse. (D’ailleurs, l’étonnement du soldat en apprenant qu’elle est probablement enceinte, nous fait penser à la blague : « vous avez couché ensemble, tu t’attendais à quoi ? À un Smart Phone ? »)

On se rappelle très bien de ce qui se passe dans le film « A frozen flower » quand le roi comprend que son amant est tombé amoureux de la reine. La tension ne semble atteindre que nous. On dirait que les deux amants se croient seuls au monde. Leur imperturbabilité nous insupporte. Et c’est le but. Impossible de se lâcher. L’excitation se sublime encore plus à cause ou grâce à cette épée de Damoclès.

Acteurs

Yeon Woo-Jin

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Yeon Woo-Jin

Yeon Woo-Jin se détache complètement de ses rôles précédents, quitte son côté feutré, presque glamour des films comme « The table » ou  » Shades Of The Heart ». Il s’affirme dans le rôle de ce soldat maladroit qui veut être promu coûte que coûte et qui est prêt à tout pour y parvenir. La transformation n’est pas seulement flagrante par rapport à ses autres films mais plus incontestable encore concernant son personnage. Ce jeune homme immature qui ressemble à une balle en caoutchouc qui rebondit selon les ordres de ses supérieurs et même de ses collègues, devient à ses dépens, ce qu’on demande de lui. Il perd son âme en essayant de ne pas oublier son but ultime d’être promu. Il prend illusoirement ses marques et son destin finit quand même par le rattraper. Sa performance nous transmet ses états d’âme, son besoin impératif de faire de son mieux. Il est capable de nous faire ressentir toutes les émotions de ce soldat choisi méticuleusement par le mari de sa maîtresse.

Ji An

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Ji An

Ji An donne un côté rigide (Trop ?) à Soo-Ryun, l’épouse esseulée du commandant. L’actrice, qui avoue avoir suivi un régime très strict pour son rôle, manque d’une certaine émotion, de chaleur humaine. Parce qu’elle est la femme du commandant ? Parce qu’elle aussi est un soldat, de ce pays qui ressemble drôlement, qui plus est, à la Corée du nord ? Parce qu’elle veut un gosse et que tous les moyens sont bons, même si elle doit séduire ce « pauvre » soldat ? C’est seulement quand on comprend de quoi il s’agit, que l’attitude de son personnage devient plus en phase.

Cho Seong-Ha

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Cho Seong-Ha

Cho Seong-Ha joue un rôle qu’on oserait pas traiter de secondaire car, comme la plaque en bois, il enveloppe tout le film. Malgré le peu de temps concret sur l’écran, son charisme remplit l’espace. C’est vraiment l’acteur coréen, comme tant d’autres de sa génération, capable de donner toute une ambiance à lui tout seul. Le scénario nous rappelle à chaque instant qu’il existe, d’accord, mais ce n’est pas seulement ce fait la cause de son omniprésence. Il remplit l’écran, il rayonne. Sa classe, son goût pour le détail, rendent le film encore plus puissant. L’histoire, les autres acteurs, les scènes de sexe, tout se joue au même niveau.

Réalisateur

Jang Cheol-soo en a fait du chemin depuis son « Secretly Greatly », ce film qui parle des jeunes nord-coréens qui sont envoyés en Corée du Sud en tant qu’espions, et qui finissent par s’habituer à la vie dans le sud. Si Serve the People excelle dans une volonté du détail et une intention d’aller entièrement jusqu’au bout, il garde quand même ce côté légèrement décousu propre au réalisateur. On constate des progrès, même des très grandes améliorations mais, si le réalisateur déplore la focalisation du public sur les scènes érotiques, ce n’est pas pour rien. Déjà parce qu’elles sont magnifiques mais surtout parce que le sujet principal passe trop inaperçu. Et c’est bien dommage.

Yeon Woo-Jin et Ji An arrivent très adroitement à nous faire passer leur ressenti. Les préoccupations de chacun, la façon d’aborder leur but. Les scènes érotiques sont absolument merveilleuses même si un tout petit peu… répétitives ? Obsessionnelles ? Mais si le spectateur s’en lasse c’est seulement parce que le couple aussi s’en lasse. La technique géniale du réalisateur nous amène à ressentir chacune des secondes de l’histoire, comme si nous étions dans la peau des personnages principaux.

L’espace restreint, confiné, dans lequel ce couple improbable se retrouve, donne l’impression d’une bombe à retardement. Ils peuvent s’explorer et explorer tous les coins de la maison, il n’en reste pas moins que la limite est lourde. Des vues d’ensemble qui rendent les premiers plans beaucoup plus saisissants. Les gouttes de transpiration qui coulent, la couleur de la peau, bronzé par le soleil. Les expressions que Yeon Woo-Jin donne à ce soldat quelconque, choisi soigneusement pour une raison bien précise. Sa façon de chérir le raisin. Son dévouement. Ce slogan inculqué et approprié comme la seule raison de vivre. L’ombre du commandant qui plane. Nous l’avons vu que très peu mais il est toujours là. Comme un faucon qui guette depuis le ciel. Cette femme presque nue aux crocs invisibles. Ce tissu qui les enveloppe, telle une toile d’araignée. Ce réalisateur est un vrai génie de la mise en scène.

Conclusion

Serve the People garde avec adresse, pour notre grand régal, le même ton que le roman éponyme. Une sensualité se dégage des premiers mots du livre donnant directement une atmosphère propre aux auteurs chinois. Les espaces, les odeurs, les saveurs. Cette impression que nous sommes en train de voyager dans un pays lointain, et qu’on peut même entendre les bruits de fond. Jang Cheol-soo a réussi à en recueillir l’essence et nous la transmettre à travers des images riches en émotions et sensations. Ce film nous touche. Nous empêche parfois de respirer, comme quand nous marchons en face du vent. Une merveille.