La Minute Yaoi #7 : One Room Angel, par Harada

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Ce mois-ci dans la Minute Yaoi, pas de conte horrifique revisitant La Divine Comédie de Dante, ni d’ostéopathe un tantinet trop entreprenant. Mais plutôt une histoire douce-amère entre deux êtres perdus . Partez à la découverte de One Room Angel, par la talentueuse Harada !

L’histoire

Kôki est un célibataire trentenaire vivant aux marges de la société. Sans avenir ni rêves, il est rejeté par les autres à cause de son air effrayant. Et sa propension à éclater de rage face aux injustices ne l’aide pas à nouer des relations… Alors qu’il tente péniblement de survivre en travaillant dans un konbini, il est pris à partie par des clients, dont l’un parvient à le blesser cruellement. Au moment même où il s’évanouit, Kôki aperçoit un ange chuter depuis le ciel.

Mais cette vision mirifique n’est en réalité pas une hallucination ! En effet, lorsque Kôki rentre chez lui, il y retrouve le jeune garçon aux ailes blanches. Sans aucun souvenir de sa vie d’avant ni de sa mort, l’ange y a en effet trouvé refuge. Le temps que ses ailes retrouvent assez de force pour lui permettre de s’envoler, ces deux écorchés vifs vont devoir apprendre à cohabiter…

One Room Angel : portrait d’écorchés

Harada, aussi connue sous le nom de Paraiso, est une mangaka active depuis le début des années 2010. Elle a rapidement imposé son style à la fois acéré et sensible au travers de nombreux doujinshis, notamment de Gintama, mais surtout avec ses mangas courts mais percutants. Cette auteure est en effet capable de proposer des œuvres plutôt légères et délurées (Happy Shitty Life, Celui que j’aime ou presque) tout comme des drames poignants et dérangeants, à l’instar de Nii-chan ou encore Yatamomo.

One Room Angel, one-shot publié en 2019 et disponible en France chez Boy’s Love IDP, se pose à la limite entre ces deux styles. En effet, Harada nous propose ici le portrait de deux écorchés vifs. Kôki tout d’abord. Dès les premières pages, on sent ce personnage empêtré dans un désespoir chronique. A la fois victime des préjugés de son entourage ainsi que de son caractère entier, le trentenaire vivote, n’ayant pour seul horizon que le lendemain. Rien ne semble le raccrocher à la vie, jusqu’à l’arrivée de l’ange. Celui-ci, qui restera anonyme pendant plusieurs chapitres, amène un sursaut de vie, une impulsion. Voire un but à cet homme qui semble avoir tout perdu.

Mais l’ange n’est pas exempt de blessures. Harada distille intelligemment des indices jusqu’aux révélations finales, percutantes. Par ailleurs, à travers la métaphore de l’ange aux ailes trop faibles pour voler, elle englobe la condition de tous ses personnages. Kôki, sa mère (aux allures de gyaru sous amphétamines), son frère, l’ange… Tous paraissent plier sous un poids, invisible mais impitoyable. De là à y voir une dénonciation, il n’y a qu’un pas.

Harada, mangaka engagée

Que l’on apprécie ou non son style, personne ne peut nier l’évidence. Harada est une mangaka qui n’hésite pas à prendre le taureau par les cornes. Quitte à déranger voire à choquer. En parlant par exemple de pédophilie (Nii-chan), d’homophobie (les débuts de The Song of Yoru & Asa) ou bien de prostitution (Yatamomo). Que ce soit à travers ses séries ou bien ses recueils (Poji, Nega), Harada nous offre à chacun de ses livrées une ribambelle de personnages frappants de réalisme. Aucun détail n’est laissé au hasard. Que ce soit dans leur psychologie ou bien dans leur environnement.

Si One Room Angel se rapproche d’une nouvelle du recueil Henai, le récit développe sa véritable identité au fil des pages. Kôki et l’ange se font écho. Que ce soit dans leur physique (anguleux ou bien plus rond), leur personnalité (pessimiste ou bien ronchon mais optimiste), leur façon de voir le monde. Il est extrêmement touchant de voir Kôki se laisser peu à peu atteindre par la tendresse de son étrange colocataire. Tandis que l’extrême sensibilité de ce dernier aux émotions du trentenaire laisse présager qu’un lien fort les unit.

Cette dimension se retrouve dans le style graphique de la mangaka. Les visages, et notamment les yeux, sont joliment mis en avant. Des enchaînements de cases sans dialogues se révèlent aussi « impactants » que les scènes de flash-back où les informations pleuvent. Si la violence gangrène à la fois le passé et le présent des protagonistes, elle ne les empêche pas d’ouvrir leur cœur à un futur plus clair.

En conclusion, One Room Angel est une porte d’entrée idéale pour découvrir l’univers de Harada. Entre amertume et espoir, elle nous livre ici un manga d’une grande force morale, où les émotions ont la part belle, et où l’espoir d’une vie meilleure n’est jamais loin.