Dans Dororo aidez le héros à retrouver son corps

0
1305

Osamu Tezuka, présenté comme le père du manga peut avoir une réputation impressionnante. Cependant, le néophyte peut toujours trouver des portes d’entrée faciles. Dororo dont le premier tome, publié par Delcourt/ Tonkam dans une très belle édition vient de sortir, en est une.

Un puzzle humain

Les démons de Dororo

Hyakkimaru n’a pas eu un début de vie facile. Il est né amputé de 48 parties de son corps. Ce handicap ne vient pas d’une maladie génétique mais de la magie. En effet, des démons sont venus dans l’utérus maternel et ont subtilisé ces différents membres comme salaire pour avoir aidé le père d’Hyakkimaru. Comme si ce n’était pas déjà assez compliqué, il a la malédiction d’attirer les monstres tel un aimant magique. Malgré ces difficultés, une fois devenu adulte, Hyakkimaru décide de retrouver ses parties et rentre donc dans une quête de vengeance. Accompagné du petit voleur Dororo, il veut aussi trouver un havre de paix mais cette quête initiatique est parsemée de combats de plus en plus titanesques contre des yōkai.

On peut très grossièrement résumer l’œuvre foisonnante de Tezuka en deux courants. D’une part, il a commencé par des séries fleuves publiées régulièrement dans des revues reposant sur une action débridée et foisonnante. C’est pour cela que des critiques ont souvent présenté l’artiste comme le Hergé nippon. D’autre part, il a proposé des œuvres plus courtes avec un propos religieux ou social. On pourrait alors dire qu’il est le Moebius du pays du soleil levant. Dororo empreinte à ces deux courants et c’est pour cela qu’il est une très bonne porte d’entrée pour découvrir le génie de Tezuka. Par les différents combats et le voyage du duo de personnages principaux, le lecteur est captivé ce qui permet au scénariste et au dessinateur de placer un propos politique sur la différence.

Un récit historique en plein dans l’actualité

Dororo n’est pas un manga historique car les monstres sont nombreux. Néanmoins Tezuka place ce récit fantastique dans une période bien particulière. Le Japon est plongé dans une période sombre. Le pouvoir de l’empereur est dépassé par des seigneurs de guerre qui se battent pour agrandir leur domaine. Les paysans se retrouvent au milieu de ces guerres privées. Même si on est loin du gore, le mangaka n’hésite à montrer cette souffrance du peuple et la violence des samouraïs.

Une période sombre dans Dororo

Si ce manga a débuté sa publication en 1967, il se trouve aujourd’hui sous les feux de l’actualité. D’une part, il fait l’objet d’un remake par Atsushi Kaneko dans Search and Destroy dont deux tomes viennent de paraître. Preuve s’il en était besoin de l’acuité des thématiques de Tézuka ; et de la modernité de ses récits qui continuent d’inspirer directement ou directement de nombreux mangakas. A noter ainsi  la parution toujours chez Delcourt de Tezucomi, anthologie d’oeuvres du maître revisitées par des pointures de la bande dessinée et du manga.

D’autre part, le thème principal de l’œuvre est très contemporain. En effet, derrière la succession des combats, Dororo est avant tout une défense de la diversité humaine. Aujourd’hui comme à l’époque, il est très rare de placer au centre du récit une personne porteuse d’un handicap et une autre de petite taille. Hyakkimaru est méprisé pour son handicap. Il doit faire deux fois plus d’efforts pour démontrer ses talents de sabreur. Dororo est un orphelin rejeté de tous. Dans ce pays en pleine guerre civile, il doit voler pour survivre. De plus, si dans ce monde imaginaire, il existe de vrais monstres, la plupart des personnes rencontrées sont profondément sensibles. Ce sont surtout des êtres rejetés, exclus en recherche de reconnaissance et de respect.

Dororo est donc un récit majeur du manga par un génie du scénario et du dessin mais cette importance ne doit pas vous impressionner. Il est d’abord un récit d’action amusant. Il est aussi bien plus. C’est un  portrait des exclus que Tezuka  ancre dans la réalité contemporaine. La nouvelle édition prestige par Delcourt fait honneur à cette série.

Si cette chronique vous a plu, vous pouvez aussi jeter un œil sur Search & Destroy et Pluto, deux relectures récentes des œuvres de Tezuka.